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Travailleurs détachés : la détermination française fait bouger les lignes
©Reuters

Mammouth

Lundi 23 octobre, les ministres de l'Union européenne se sont retrouvés au Luxembourg pour discuter d'un accord sur la réforme de la directive sur les travailleurs détachés. En août dernier, le président français avait effectué un tour d'Europe pour rallier le plus de pays à sa cause.

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot est économiste et chercheur associé à l’IRIS. Il se consacre aux défis du développement technologique, de la stratégie commerciale et de l’équilibre monétaire de l’Europe en particulier.

Il a poursuivi une carrière d’économiste de marché dans le secteur financier et d’expert économique sur l’Europe et les marchés émergents pour divers think tanks. Il a travaillé sur un éventail de secteurs industriels, notamment l’électronique, l’énergie, l’aérospatiale et la santé ainsi que sur la stratégie technologique des grandes puissances dans ces domaines.

Il est ingénieur de l’Institut supérieur de l’aéronautique et de l’espace (ISAE-Supaéro), diplômé d’un master de l’Ecole d’économie de Toulouse, et docteur de l’Ecole des Hautes études en sciences sociales (EHESS).

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Atlantico : Emmanuel Macron a fait bloquer, peu après son élection, le vote à Bruxelles de la proposition de la Commission (sous présidence maltaise alors) de notamment ramener à deux ans le statut de travailleur détaché. Que contenaient ces accords élaborés refusés par la France?

Rémi Bourgeot : Il s’agissait d’une réforme du cadre du travail détaché allant dans le sens d’une durée limitée à deux ans pour les missions et de contrôles plus poussés ; ceux-ci étant aujourd’hui très lacunaires. Emmanuel Macron a voulu aller plus loin dans ces réformes, sur la base de ces propositions, en avançant l’idée d’une durée maximale d’un an plutôt que de deux. Il existe en Europe de l’Ouest un consensus assez large en faveur d’une réforme du travail détaché. Le caractère problématique de ce dispositif est reconnu par la plupart des gouvernements.  Surtout, le travail détaché correspond à tout ce qui est le plus souvent reproché à l’Union européenne, en particulier la compression exercée sur les salaires par mise en concurrence des travailleurs. Le travail détaché étend la concurrence instaurée par le libre-échange en Europe à l’offre de services qui nécessite une présence physique dans le pays destinataire.

Il n’existe pas de divergences importantes sur la question du travail détaché entre les pays d’Europe de l’Ouest car l’instabilité politique, la montée des mouvements populistes, bien qu’elle prenne une forme différente d’un pays à l’autre, amène une prise de conscience des limites à apporter aux dispositifs qui accroissent la pression sur les salaires. Il faut noter cependant que le travail détaché va précisément dans le sens des politiques menés, par ailleurs, dans la plupart des pays européens où la compression salariale et le nivellement par le bas en général ont tendance à faire office de stratégie économique.

N'était-ce pas un pari trop ambitieux sachant que les accords proposés par une Commission sous présidence estonienne sont nettement moins en phase avec la vision française de la réforme ? (et qu'il faudra attendre du temps avant d'avoir une présidence en phase avec cette vision française et/ou ouest européenne)

Mieux vaut avoir une présidence européenne de son côté pour mener à bien une réforme. La présidence d’un pays comme la Bulgarie qui profite assez largement du système malgré l’ouverture d’un dialogue avec Macron lors de son voyage du mois d’août, pourrait mettre sur le devant de la scène les divisions européennes sur cette question. Les pays d’Europe centrale et orientale sont inquiets de l’impact de la réforme sur leurs entreprises nationales qui en profite pour gagner des parts de marché à l’Ouest.

Néanmoins, il existe un assez large consensus au sein des pays d’Europe de l’ouest et cette réforme ne nécessite pas l’unanimité. De plus, la Commission, bien qu’elle ait fait une proposition de réforme moins ambitieuse dans un premier temps, soutient aussi cette révision. Emmanuel Macron a saisi l’opportunité de la remise en cause assez large de la directive, notamment en Allemagne, pour montrer sa volonté de réformer l’Union européenne, en s’attaquant à un dossier symbolique qui devait en principe pas être bien moins compliqué à traiter que celui de l’euro par exemple. Comme il est confronté à une impasse sur la réforme de la zone euro, avec les concessions très limitées qu’Angela Merkel pourra accepter, la réforme du travail détaché lui offre la possibilité d’agir sur un dossier symboliquement important en évoluant un terrain en principe praticable sur le plan de la politique européenne, malgré le désaccord entre l’Est et l’Ouest.

Quel sont les enjeux de la réunion des ministres aujourd'hui à Luxembourg au sujet de ce dossier ? La France est-elle capable de rassembler une majorité suffisante avec notamment le soutien éventuel de Madrid ?

L’enjeu principal en ce qui concerne le travail détaché consiste à se mettre d’accord sur une révision qui susciterait l’accord des pays de l’Europe de l’Ouest mais surtout de pouvoir rallier un certain nombre de pays d’Europe centrale et orientale, en échange de concessions sur d’autres dossiers. Il s’agit non seulement d’avoir une majorité suffisante pour passer les différentes étapes de confirmation de la révision entre le Parlement, la Commission et le Conseil européen, mais aussi de dépasser la division entre Est et Ouest. Les négociations sont rendues compliquées par l’instabilité politique qui affecte de nombreux pays européens où les élections ont de plus en plus tendance à produire des résultats surprenants. On est loin de l’idée défendue au lendemain de l’élection de Macron selon laquelle la vague populiste se serait échouée sur les rives d’Europe continentale après l’élection de Trump et le Brexit. En Allemagne, Angela Merkel cherche à former une coalition compliquée notamment avec un FDP devenu eurosceptique (selon la variante allemande de l’euroscepticisme, orthodoxe sur le plan fiscal). En Autriche, l’extrême droite s’apprête à rejoindre une coalition emmenée par les conservateurs. La République tchèque a vu un parti mené par un milliardaire eurosceptique gagner les élections. Il ne s’agit guère actuellement de négociations entre gouvernements bien en place avec une ligne politique clairement établie.

Pour les gouvernements d’Europe de l’Ouest il s’agit de montrer qu’ils cherchent à remettre l’UE sur une voie plus équilibrée et plus viable économiquement. Mais pour les gouvernements d’Europe centrale où une vague eurosceptique prend de l’ampleur, des concessions trop fortes risquent de donner l’impression auprès de leur électorat qu’ils se laissent dicter cette réforme par l’UE et les pays les plus riches, sans égard pour les affaires de leurs entreprises.

Ce dossier est un des plus simples à traiter en termes de réforme du cadre européen, comme l’Allemagne est également en faveur de cette réforme, et ça n’est pas le dossier le plus important, malgré son caractère symbolique fort. Alors que la réforme de la zone euro voulue par le gouvernement français n’a aucune chance d’aboutir, si ce n’est sous une forme quelque peu microscopique, les blocages sur le dossier plus simple du travail détaché montrent l’étendue du problème en ce qui concerne la réorientation pratique de l’Union européenne.

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