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Et s’il fallait augmenter les impôts de ceux qui gagnent nettement plus que leur contribution économique réelle à la société (et baisser ceux de ceux qui sont dans la situation inverse) ?
©Pixabay

Moins d’impôts pour les profs, plus pour les avocats ?

L'allocation du talent dans l’économie joue un rôle important dans la croissance. Un plus grand nombre d’ingénieurs ou d’entrepreneurs est favorable à la croissance, tandis que la prolifération des avocats lui est nuisible.

Gilles Saint-Paul

Gilles Saint-Paul

Gilles Saint-Paul est économiste et professeur à l'université Toulouse I.

Il est l'auteur du rapport du Conseil d'analyse économique (CAE) intitulé Immigration, qualifications et marché du travail sur l'impact économique de l'immigration en 2009.

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Atlantico : Aux Etats-Unis, des recherches font état du manque de valorisation des métiers à fortes retombées sociales (enseignement, recherche), au détriment de métiers plus rémunérateurs (avocat par exemple). Cela aurait pour effet de ralentir la croissance. A quel point ce phénomène peut avoir un impact sur l'économie d'un pays?

Gilles Saint-Paul :Il est certain que la question de l’allocation du talent dans l’économie joue un rôle important dans la croissance. Selon la manière dont la société est structurée, les individus les plus talentueux vont choisir des carrières différentes. En France, par exemple, ou dans la Chine des mandarins au quatorzième siècle, c’est traditionnellement vers la haute administration que ces personnes se tournent, c'est-à-dire une activité peu productrice. Aux Etats-Unis, ils ont plus qu’ici tendance à devenir entrepreneurs (songeons à Gates, Zuckerberg, ou aux fondateurs de Google, qui ici auraient peut-être atterri dans les « grands corps »), ce qui est favorable à la croissance. Certains travaux ont montré que la croissance économique dépend positivement ou négativement de la proportion d’individus dans tel ou tel métier ; un plus grand nombre d’ingénieurs ou d’entrepreneurs est favorable à la croissance, tandis que la prolifération des avocats lui est nuisible. A cet égard, si les Etats-Unis ne souffrent pas du détournement des meilleurs talents vers la haute administration, en revanche le poids excessifs des professions juridiques leur est nuisible. En ce qui concerne l’enseignement et la recherche, ces activités n’ont pas d’effet immédiat sur la production ; leur effet est diffus et passe par les « externalités » associées à la production de nouveaux savoirs et au fait que le niveau général d’éducation dans la population soit plus élevé. Je serais hésitant à en conclure qu’il faille nécessairement « plus d’enseignants » et « plus de chercheurs ». La massification de l’enseignement supérieur s’est traduite par une baisse du niveau et le maintien d’une proportion croissante de la jeunesse dans des études de plus en plus longues me paraît avoir un coût humain et économique certain. D’autant que, d’après les travaux de Heckman, le meilleur investissement en éducation se situerait au niveau de la petite enfance ! Quant à la recherche, il est difficile de mettre en évidence des effets des dépenses de R et D sur la productivité des entreprises. Il est certain que ces secteurs sont moins rémunérateurs que la profession d’avocat, du moins aux Etats-Unis, ce qui peut paraître injuste. Mais je ne pense pas qu’il faille augmenter leur taille ; les personnes supplémentaires qui devraient choisir ces professions ont un talent plus faible que celles qui s’y trouvent déjà, et la qualité de la recherche et de l’enseignement se trouveraient réduite, ce qui limite l’intérêt « social » de stimuler ces métiers. 

Pour inciter les jeunes diplômés à se tourner vers des métiers à forte retombée sociale, deux solutions sont suggérées aux gouvernements. Attribuer des bénéfices fiscaux à ces emplois, ou taxer les emplois plus rémunérateurs mais à la retombée sociale négative. Laquelle des deux serait la plus efficace? En voyez-vous une autre? 

Ces métiers sont d’ores et déjà subventionnés, soit à travers des mesures comme le crédit d’impôt recherche ou l’implication générale de l’Etat dans la recherche et l’enseignement. Ces encouragements sont bien entendu financés par l’impôt, et se font donc au détriment des autres emplois, notamment des emplois marchands. De plus, dire que ces métiers sont à « forte retombées sociales » est un acte de foi qui ne nous dit rien quant à la quantité optimale de ressources que l’on doit consacrer à ces secteurs. La question n’est pas celle de leur utilité moyenne mais de savoir si les choses s’amélioreraient en investissant encore plus dans ces domaines. Est-ce que les chercheurs supplémentaires que l’on pourrait recruter au CNRS si la taille de celui-ci augmentait publieraient de manière satisfaisante, sachant que par définition, ils ne passent pas la barre dans l’état actuel des choses ? Faut-il des profs supplémentaires alors qu’il y a en moyenne 15 élèves par professeur dans l’éducation nationale, que tous les postes au CAPES ne sont pas pourvusà cause de la médiocrité des candidats, et qu’aucun effort sérieux n’a été fait pour réduire les coûts grâce aux nouvelles technologies de l’information ? 

Ce constat est-il valable en France? Quels sont les corps de métier qui mériteraient d'être revalorisés?

Pour nous résumer, on voudrait que les meilleurs talents se tournent vers les secteurs les plus importants pour la croissance. Dans le cas de la France, la mauvaise allocation du talent peut résulter de deux phénomènes : d’une part, certains peuvent choisir des métiers moins intensifs en innovation mais plus rémunérateurs, sans doute parce que ces activités permettent d’extraire des rentes importantes : haute administration, professions réglementées, finance… D’autre part, pour un métier donné, certains peuvent préférer l’exercer à l’étranger plutôt qu’en France, parce que c’est plus rémunérateur là-bas. Pour changer l’allocation du talent et la rendre plus favorable à la croissance, il faut donc changer la structure de rémunération. Je ne crois pas trop à des méthodes comme le crédit d’impôt recherche car on sait qu’il est très facile à manipuler par les entreprises. En revanche il existe des rigidités qui jouent un rôle important dans l’allocation du talent tout en ayant par ailleurs été épinglées pour leurs autres effets néfastes. On peut penser au capitalisme de connivence, qui incite les jeunes talents à préférer des administrations comme l’inspection des finances à un emploi dans une PME innovante ; aux rentes associées à certaines professions : greffier du tribunal de commerce, notaire, commissaire-priseur, etc… ; et enfin à la fiscalité (impôt sur le revenu, charges sociales, plus-values) qui pénalise particulièrement les entrepreneurs et les travailleurs qualifiés. Agir sur ces leviers permettra en même temps d’inciter les meilleurs talents à choisir des carrières plus utiles socialement. Cependant, le débat sur la taille des externalités positives exercées sur le reste de l’économie par la recherche et l’enseignement reste entièrement ouvert. 

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