Harvey Weinstein et notre responsabilité dans la culture de la complicité<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
Harvey Weinstein et notre responsabilité dans la culture de la complicité
©Reuters

Questions qui fâchent

L'affaire Weinstein révélé jeudi 12 octobre lève le voile sur les pratiques peu reluisantes du monde d'hollywood.

Virginie Martin

Virginie Martin

Virginie Martin est Docteure en sciences politiques, habilitée à Diriger des Recherches en sciences de gestion, politiste, professeure à KEDGE Business School, co-responsable du comité scientifique de la Revue Politique et Parlementaire.

Voir la bio »

Virginie Martin est l'auteur de "Garde-Corps" paru aux éditions Lemieux Editeur en 2016. 

Atlantico : Vous avez twitté : "Alors que le cul, les fantasmes au masculin et le sexisme sont presque La base du cinéma façon. Hollywood (et pas que), on s'étonne que des producteurs et des réalisateurs soient des gros porcs ! Naïveté et hypocrisie " sur l'affaire Weinstein. Pensez-vous qu'il existe une culture sexiste sous-jacente qui "conforte" ce type d'agression à Hollywood ?

Virginie Martin : Est-ce que cela conforte, je ne sais pas, mais la culture sexiste n'est pas à démontrer. Déjà il y a des plafonds de verre réels pour les perspectives de carrière pour les femmes dans le milieu et être autre chose que des actrices. On se souvient d'il y a deux ans le propos de Meryl Streep qui disait que Hollywood était le lieu par excellence du sexisme.  Des propos portés notamment par Emma Watson également. Il y a eu cette émergence, mais là on est toujours dans le politiquement correct si je puis dire.  Parfois aussi il y a eu quelques tentatives de dire, comme Sharon Stones qui l'avait fait, qu'il était difficile d'avoir des rôles passés 40 ans contrairement aux hommes qui n'ont aucun problème. Là aussi, l'âge pèse plus sur les femmes que sur les hommes.

Dans le spectacle grand public, on voit souvent le cas d'un homme beaucoup plus âgé que la femme qui l'accompagne et rarement l'inverse. On voit bien qu'il y a une pression de l'âge très forte sur les femmes.

Troisième point ce que l'on dit moins souvent, c'est combien le cinéma est le réceptacle de fantasmes masculins. Il n'y a pas une scène de. Cameron Diaz où sa plastique n'est pas mise en valeur… La scène de la fille sous la douche est un classique… Quand les femmes travaillent, elles travaillent toujours avec des talons très hauts…  On voit bien qu'il y a une imagerie très stéréotypée et sexualisée du féminin.  Une fois que l'on en a conscience, on voit bien que l'œil derrière la caméra, réalisateur et producteur, c'est le fantasme masculin qui est projetée. Une fois que l'on a décrypté le cinéma, notamment hollywoodien (mais aussi français dans une moindre mesure) comme étant des réceptacles du fantasme masculin, on peut se douter que derrière tout cela, il y a des producteurs et réalisateurs qui voient les femmes de cette manière et veulent les laisser dans leur condition unique de réceptacle à fantasmes. Si le potentiel sexuel n'est pas important, ce n'est pas intéressant.

Dès lors on a du mal à imaginer que ceux qui sexualisent de cette manière la femme dans leurs films aient une tout autre approche dans la vie réelle et personnelle. L'univers du cinéma malheureusement est une culture à domination masculine et est une culture éminemment sexiste et sexualisée qui nous donne, à nous spectateurs et téléspectateurs  à intérioriser ce que doit être le féminin et ce que doit être le masculin. Le féminin peut être une proie, la proie de tout le monde. On est dans une logique prostitutionnelle au sens strict.

Même s'il n'est pas ici question de nier le fait qu'il est difficile de prendre parole face à ce genre d'agression, ce type de cas connus de longue date et étouffé par de nombreuses personnes ne pose-t-elle pas la question d'une responsabilité collective ? Comment est-ce qu'un tel homme a pu maintenir un tel silence malgré des agressions répétées ?

Je crois qu'il y a une intériorisation des pratiques en plus d'une responsabilité collective. Quand on est une femme dans le monde du cinéma, c'est presque normal de se faire un peu charmer, un peu séduire… Et puis plus…Et puis plus… On accepte parce que c'est le jeu, on se dit que si l'on ne joue pas le jeu, on ratera le rôle…

Dans le milieu tout le monde joue ces jeux-là. C'est une vie où la drogue est présente, le sexe est très présent et tout le monde y va de son couplet. Mais en même temps qui a la force de dénoncer cela ? Des hommes qui ont le pouvoir qui sont tellement poussés par une conscience féministe qui iraient dénoncer cette situation ? Pour dénoncer, il faut y avoir un intérêt. Qui aurait pu dénoncer et pour quelle raison à part les femmes éventuellement ? Dans la réalité le système se maintient malgré tout. Il y a une acceptation collective de la situation. Weinstein est l'arbre qui cache la forêt. Je pense qu'il paiera pour tout le monde d'une certaine manière et qu'il ne se passera rien derrière.

L'hypocrisie majeure n'est-elle pas celle d'un milieu qui se protège ? II était un démocrate proche de tous les milieux de pouvoir et d'argent qui ont tous fermer les yeux tant que l'affaire n'était pas dévoilée. Et qui aujourd'hui agit comme s'ils ne l'avaient jamais côtoyé…

On peut le supposer, en tout cas il y a une tolérance. Parce que "c'est comme cela que ça marche". À un moment donné, je pense qu'il est difficile de dénoncer quelque chose qui va apparaître comme étant de l'ordre de la morale. Je m'explique. Finalement, on sait que l'homme avait des mœurs particulières, mais était-ce condamnable d'un point de vue extérieur à part moralement ?

Il y a une espèce de "coolitude" aussi dans ces amours hollywoodiennes. C'est une responsabilité floue, collective et surtout l'absence d'éthique qui est à condamner. Continuer, en 2017, à encore offrir une image sexualisée du féminin à tout bout de film.

Dans le milieu hollywoodien, il n'est intéressant que ces "chartes éthiques" soient allées très loin vers la question raciale, mais la question du sexe est restée un angle mort. Si la question sexiste était passée au même rang que la question raciale, on en serait plus loin depuis bien longtemps. Sexualiser la femme, c'est la biologiser. Si l'on "biologise", une personne de couleur cela reviendrait à les cantonner à des rôles de sportifs où que sais-je et leur interdire d'incarner des savants, des intellectuels… Hollywood a fait très attention à cet écueil sur la question raciale en occultant la question du sexe.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !