De quoi la confusion idéologique dans laquelle baigne la vie politique française est-elle le symptôme ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
De quoi la confusion idéologique dans laquelle baigne la vie politique française est-elle le symptôme ?
©Reuters

Purée de pois

Dans un théâtre parisien lundi 2 octobre, Florian Philippot s'est retrouvé à débattre avec Dominique de Montvalon et Jean-Louis Bourlanges, respectivement journaliste assez favorable à Emmanuel Macron, et député européiste (critique mais convaincu). Loin de s'écharper, même civilement, sur les sujets politiques divers qu'ils durent aborder lors de cette soirée, "Le Monde" a rapporté que les différents intervenants sont presque toujours tombés d'accord.

Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

Voir la bio »

Atlantico : Comment expliquer cette anomalie et confusion des idéologies ? Qu'est-ce que cela dit de la perte de repère idéologique des hommes politiques?

Vincent Tournier : Il faut relativiser l’importance de cet événement, même s’il s’agit peut-être d’un premier pas de la part de Florian Philippot pour effectuer une reconversion politique ou trouver un point de chute, ou peut-être même pour lancer un nouveau mouvement. Pour l’heure, ce n’était qu’un débat confidentiel, qui s’est tenu sans caméras de télévision, entre gens de bonne compagnie. Organiser un tel débat n’était pas très risqué, surtout pour quelqu’un comme Philippe Tesson, le directeur du théâtre, qui n’a pas peur de provoquer. De plus, Florian Philippot ayant quitté le FN, il a perdu une bonne part de son aura de pestiféré, laquelle était de toute façon limitée puisqu’il incarnait une ligne plus proche du gaullisme ou du chevénementisme que du FN historique. Et puis Philippot est quelqu’un de cultivé, de pondéré ; il est donc très à l’aise dans les débats feutrés et policés, surtout face à un public qui a acheté sa place 26 euros.

Du coup, est-ce qu’il faut voir ce débat comme un signe de recomposition idéologique ? On peut faire l’hypothèse inverse : c’est justement parce que quelqu’un comme Philippot s’en va que la diabolisation et le rejet du FN vont connaître une nouvelle jeunesse. Les opposants du FN vont en faire des gorgées chaudes pour prétendre que le FN est un parti irrécupérable. La preuve : les modérés s’en vont.

Comment un souverainiste ex-FN anti-Europe peut-il se trouver sur la même ligne que Jean-Louis Bourlange et Dominique de Montvalon ?  Faire parti d'une famille idéologique a-t-il encore vraiment un sens aux yeux des Français ?

Encore une fois, il serait mal venu d’accorder trop d’importance à ce qui reste pour l’heure un micro-événement. Les participants de ce débat ne sont que des seconds couteaux de la vie politique. On pourra vraiment épiloguer si Florian Philippot se rapproche de Laurent Wauquiez ou d’Arnaud Montebourg.

Par ailleurs, Bourlanges et Philippot ne sont pas encore sur la même ligne. Au cours du débat, Jean-Louis Bourlanges a bien rappelé que l’Europe constitue un point de clivage très important entre eux. Pourtant, ce dialogue est peut-être significatif d’une inflexion autour de l’idée européenne. On voit bien que, avec le Brexit ou Trump, le principe des souverainetés nationales revient en force. On pourrait aussi citer l’Espagne puisque la défaite des séparatistes est finalement une victoire éclatante des souverainistes. En tout cas, le projet européen a du plomb dans l’aile. Même les partisans les plus forts de l’intégration européenne, dont Jean-Louis Bourlanges fait partie, sont conscients que le projet ne peut plus continuer comme avant. L’ironie de l’histoire, c’est que les principaux blocages viennent aujourd’hui des pays de l’Europe de l’Est, ceux-là même dont l’intégration en 2004 avait été saluée comme une victoire définitive de l’Europe. Aujourd’hui, le désenchantement est sensible. Même si Emmanuel Macron entend donner une place solennelle au drapeau européen, on voit bien que le vent tourne. Il y a encore dix ans, aucun leader de gauche n’aurait osé s’en prendre aussi frontalement au drapeau européen, même si Jean-Luc Mélenchon a été astucieux en laissant planer un doute sur la nature de sa critique : est-elle menée au nom de la nation ou au nom de la laïcité ?

Qu'est-ce qui fait qu'il est si difficile aujourd'hui de distinguer les courants politiques et qu'une fois l'étiquette retirée du politique, on a souvent l'impression de découvrir un nouvel homme avec des idées souvent éloignée de celles de la ligne du parti à laquelle il était attaché ?

C’est tout le problème des partis politiques, qui sont d’abord un phénomène collectif. Les personnes qui s’engagent dans un parti doivent subir les conséquences de leur adhésion. Elles sont tenues à une obligation de solidarité, elles doivent assumer tout ce que fait ou dit leur mouvement. Or, un parti vise le pouvoir, ce qui est une contrainte lourde car cela oblige à définir une stratégie et des priorités ; cela conduit à passer des alliances et à désigner ses adversaires. Ces contraintes collectives s’imposent à chacun des membres, si bien que les membres d’un parti apparaissent souvent plus riches et plus subtiles lorsqu’ils abandonnent leur rôle. Les électeurs ont du mal à accepter cette dimension sacrificielle, et c’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles peu de personnes adhérent aux partis politiques.

Malgré tout, il faut voir le côté positif des partis. Aucune démocratie n’a réussi à fonctionner sans avoir des partis plus ou moins structurés. Ces groupements sont nécessaires pour organiser la vie politique, proposer des clefs de lecture pour les électeurs, sélectionner et former les futurs dirigeants. La difficulté pour les partis est de parvenir à évoluer lorsque les conditions changent, comme c’est le cas aujourd’hui. La séquence électorale de 2017 a bien montré que les grands clivages qui structurent la société française se recomposent. Par exemple, on a vu surgir un clivage entre les grandes métropoles et les zones rurales qui n’est pas pris en compte par les partis traditionnels. Une recomposition est donc nécessaire. Mais ce n’est pas facile car les partis sont des machines lourdes, marquées par une forte inertie. Le paysage politique va donc certainement évoluer, mais il est encore trop tôt pour savoir si les partis qui vont organiser les élections de 2022 seront exactement les mêmes que ceux qui ont organisé celles de 2017.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !