Il n’y a pas que les insultes
Ces redoutables stratégies que déploient ceux qui veulent faire taire les critiques de l’islamisme politique
Un article de Benoit Rayski portant sur l'agression d'une famille juive au nom des préjugés sur la "richesse des juifs" a provoqué la critique immédiate de certains observateurs.
Céline Pina
Née en 1970, diplômée de sciences politiques, Céline Pina a été adjointe au maire de Jouy-le-Moutier dans le Val d'Oise jusqu'en 2012 et conseillère régionale Ile-de France jusqu'en décembre 2015, suppléante du député de la Xème circonscription du Val d'Oise.
Elle s'intéresse particulièrement aux questions touchant à la laïcité, à l'égalité, au droit des femmes, à la santé et aux finances sociales et a des affinités particulières pour le travail d'Hannah Arendt.
Guylain Chevrier
Guylain Chevrier est docteur en histoire, enseignant, formateur et consultant. Ancien membre du groupe de réflexion sur la laïcité auprès du Haut conseil à l’intégration. Dernier ouvrage : Laïcité, émancipation et travail social, L’Harmattan, sous la direction de Guylain Chevrier, juillet 2017, 270 pages.
Après la publication dans nos colonnes d'un article de Benoit Rayski portant sur l'agression d'une famille juive au nom des préjugés sur la "richesse des juifs", Gilles Bruno, fondateur de l'Observatoire des médias s'en est alors pris à Atlantico.fr, demandant en premier lieu à France Info de ne plus inviter Jean-Sébastien Ferjou, directeur de la rédaction, sur son antenne. Quand à Judith Weintraub, journaliste au Figaro, elle est mise en examen pour des tweets opportunément interprétés comme islamophobes. Comment décrire de telles stratégies d'intimidation ?
Benoît Rayski, comme cela fait partie de son style, traite les choses par l'absurde en ne banalisant nullement la violente et ignoble agression subie par une famille juive qui est le sujet de sa livraison. Il tente d'attirer l'attention sur un événement tragique, et de faire réfléchir, en l’éclairant autrement à l’aune de ce constat que celui-ci n'ait tenu curieusement qu'une lointaine seconde place dans l'actualité. Pourtant, il y a de quoi s’inquiéter relativement à cet antisémitisme, bien réel celui-là, qui fait florès dans les banlieues sur fond de préjugés. Le trait d'esprit peut passer pour retors, il n'en révèle pas moins et fréquemment de façon savoureuse bien des contradictions que, sinon, on étoufferait sans sourciller, Il requière occasionnellement une certaine dose de provocation, d’exagération. Vouloir l’interdire selon le sujet, ce serait retirer à la « liberté de la presse » une de ses expressions favorites des plus riches, en rayant d'un trait de l'histoire certaines de nos plus belles plumes passées et à venir.
Gilles Bruno a, pour justifier ses attaques, sorti une phrase de son contexte du texte de l'auteur : "Les juifs sont réputés influents, surtout dans les médias. Ils devraient par tous les moyens faire savoir que les arabes aussi ont de l'argent", laissant entendre que cela aurait pu être écrit au premier degré, doublant en quelque sorte l'attaque contre les juifs, d'une attaque contre les arabes. C'est là faire preuve d'une sacrée dose de manichéisme ! Il est évident qu'ici on traite un préjugé en en lui opposant l'invention d'un autre, renversant la charge, ce qui en quelque sorte les annule, pour servir à une prise de conscience, celle de l'absurdité des préjugés. Une méthode forgée dans le trait d’esprit qui désamorce, pour peu que l’on souhaite l’entrevoir, bien des malentendus, et ouvre des angles quelle seule peut dévoiler. On y retrouve « l'esprit français », dans le prolongement d'un Montaigne. Sans vouloir être grinçant, définitivement contre les réactions primaires à ce titre d'un article de Benoît Rayski, c’est qu’à s’y méprendre, une fois qu’on a lu l’article, c’est typiquement de l’humour juif!
Il semble qu'ici le second degré soit devenu tabou, jusqu’à en arriver à désigner à la vindicte un directeur de publication qui a permis que soit publié cet article, pour justifier un tweet qui met en cause sa participation à des débats médiatiques, à Franceinfo ou ailleurs, ce qui porte un nom : « censurer » ! Sans vouloir exagérément insister, on signalera qu’Atlantico est l’un de ces rares médias à aborder sans concession, et un certain esprit de défi, tous les sujets, avec une audace qui manque à beaucoup.
Concomitamment, l'usage du terme "islamophobie" est sans doute le plus symptomatique de ce climat, qui a envahi le débat politique sur la place de l’islam dans notre société. Il servirait la défense des musulmans, présentés comme y subissant une hostilité permanente, ce qui est une pure falsification. Une victimisation largement sujette à caution, au regard d’un concept d’islamophobie systématiquement mobilisé pour contester les lois de la République, dont la laïcité est la principale cible (2). La mise en accusation d'"islamophobie" se révèle ainsi bien plutôt servir une conception agressive du religieux, que de défendre la non-application du droit commun à des croyants. Ce terme est l'un de ces fers de lance du retour du cléricalisme religieux qui se cache derrière les fausses bonnes intentions qu'on veut y accrocher, comme la lutte contre le racisme. Bien au contraire, il tourne le dos à cette lutte qui elle, concerne l’ensemble des individus par-delà, précisément, leurs différences, de façon universelle. Il s'agit ici en réalité avant tout, pour ceux qui jouent sur ce terme en cherchant à intimider, d'imposer les normes d'une conception du religieux qui refuse toute adaptation à notre société.
La poursuite de la judiciarisation du terme islamophobie est sans doute l'attaque la plus dangereuse et la plus violente pour un retour du religieux dans le politique, et contribue à l'encouragement de la radicalisation contre notre modèle républicain. On s'inquiétera que dans ce climat, la Commission nationale consultative des droits de l'homme, qui apporte son travail à la protection de nos libertés fondamentales, face dans son dernier rapport sur l‘état du racisme et de l’antisémitisme en France, un dangereux parallèle entre "antisémitisme" et "islamophobie". D’autant plus, que ce rapport souligne que l’indice de tolérance des Français en la matière n’a jamais été aussi bon, dans un contexte d'attentats qui y est, de prime abord, peu favorable.
Comment interpréter ce type de stratégies visant à disqualifier "l'adversaire"? Peut-on parler de stratégie "d'épuisement" ?
Il en va d'un ré-encadrement des esprits par le religieux que voit d'un bon oeil une partie de nos élites, dans cette période de crise morale d'une France dont l'Etat entend de plus en plus s'effacer devant le culte du marché. Ce qui donne au passage les coudées franches aux bienpensants et aux communautaristes. La montée en puissance de l'influence du FN souligne aussi, à l'autre bout, l'état des dangers qui pèsent, à l'aune d'un l'affrontement identitaire que certains recherchent au sein de notre société.
Il y a, dans l'arc politique en ce moment aussi, un excès dans ce domaine bien palpable. L'accusation porté ces jours derniers par Jean-Luc Mélenchon contre Manuel Valls, de faire partie aujourd'hui de la "fachosphère", sous prétexte que l'ex-premier ministre parle d'islamo-gauchisme à l'égard de la France insoumise, participe de ce climat délétère. Même si l'ex-Premier ministre généralise un peu vite, la FI apporte de l'eau à son moulin. Il suffit de s'en référer à la polémique embarrassante de la députée de Paris, Danièle Obono, ex-militant de la LCR, qui a estimé sur le plateau de BFMTV qu'un chauffeur de bus refusant d'en prendre le volant après une femme, ce n'était pas de la radicalisation... L'accusation porté avec colère sinon haine, vise avec violence à vous défaire moralement dans le débat politique, tout en confinant à l'usage de sentiments qui flattent dangereusement le populisme. Le terme "faschosphère", dont on ne sait plus très bien très bien à présent, à l'aune de ce type d'accusation, où elle commence et où elle s'arrête, vaut, comme instrument d'intimidation et d'amalgame, le terme "islamophobie".
C'est dans ce contexte que le Collectif Contre l'Islamophobie en France (CCIF) s'étonne d'être la cible d'attaques aujourd'hui. On croit rêver ! Mais comment pourrait-il en être autrement alors que cet organisme insulte en permanence les laïques qui résistent aux accommodements déraisonnables en faveur de l'islam revendicatif et communautariste, systématiquement assimilés à l'extrême droite, selon une technique bien connue de la souillure par amalgame, pour tenter de leur faire perdre tout crédit, tout en échauffant dangereusement les esprits? Un organisme qui passe son temps à encourager les musulmans à imposer la règle religieuse partout, tout en intentant tous azimuts, des procès aux journalistes et aux intellectuels, comme contre Pascal Bruckner ou Jeannette Bougrab, qu'il perd heureusement. Ce fonctionnement met en danger directement les conditions de l'exercice de la libre pensée en France. Un certain nombre d'associations se réclamant de "la gauche" ou de "l'extrême gauche", ont leur part de responsabilité dans cette situation, en pratiquant le même genre d'attaque, parce que le pauvre serait aujourd'hui avant tout l'immigré mythifié dans la figure du musulman, justifiant tout, en se trompant totalement de combat. Attaques qui culminent dans l'indigence du discours (3).
La disqualification de l’adversaire passe par l’identification de l’autre comme tel, et ici par la disqualification morale, qui à l’avantage de rendre celui visé comme infréquentable. C’est par la réputation sur laquelle on va médire qu’on entend atteindre l’autre, à défaut de pouvoir le défaire par l’affrontement sincère des idées, en le désignant ainsi comme l'ennemi à abattre. L'argument d' "antisémitisme" utilisé à mauvais escient ou celui d' "islamophobie", justifient même de le faire sans sommation. La simple accusation en est déjà meurtrière, au vu de l'émotion déclenchée, avec quoi il ne faut donc pas jouer ou laisser jouer.
Quelles sont les conséquences de ce genre de procédés pour un média ?
Cinq personnes ont été interpellées par les services antiterroristes après la découverte samedi de plusieurs bonbonnes de gaz avec un dispositif de mise en feu dans le hall et à l'extérieur d'un immeuble du 16e arrondissement de Paris. Les terroristes pensaient viser "un associatif militant contre l'islamisme radical". De son côté Gérard Collomb, a déclaré : "Est-ce que faire sauter un immeuble dans un quartier chic de Paris, c'était pas aussi un signe que personne n'est en tranquillité et que cela ne se passe pas simplement dans la banlieue et les quartiers un peu populaires, mais que cela peut se passer partout en France?" Par rapport aux stratégies d'intimidations évoquées précédemment, comment en est-on arrivé à de tels extrêmes ? Quelles peuvent être la conséquence de ce genre de procédés ?
Il y a une tendance à la peur qui crée de mauvais réflexes, comme de croire qu’en modérant toute réaction, en intimant de faire le dos rond, ça va passer. Mais ce n’est qu’une façon de préparer le pire, car prévenir les risques de ceux qui ont dans l’idée de commettre des attentats passe par alerter, dénoncer, un usage du religieux qui pousse au crime, même si cela met en cause certains musulmans. C’est la condition pour que la réprobation publique puisse jouer son rôle de contrepoids moral face à ces nihilistes, pour prévenir du danger ceux qui risqueraient de les suivre.
1-"Et si les Juifs, au lieu de se plaindre, popularisaient l’idée que les Arabes aussi ont de l’argent?" http://www.atlantico.fr/
2-"Pour en finir avec le procès permanent en islamophobie", Agoravox, 14 juin 2017 https://www.agoravox.fr/
-Désaccords, oui. Attaques indignes, non ! (CLR, 8 sep. 17) http://www.laicite-republique.
3-"La Fédération Nationale de la Libre pensée réduite à l’indigence du discours, pour étouffer tout débat sur la laïcité" https://www.agoravox.fr/
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