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Référendum en Catalogne : comment l’alliance entre une droite affairiste et une gauche ultra-idéologisée a refermé le piège sur Madrid
©PIERRE-PHILIPPE MARCOU / AFP

Interêts communs

Le vote pour l'indépendance de la Catalogne, dénoncé comme irrégulier par Madrid, vire au désastre. Depuis l'intervention de la police on, ne compte pas moins de 91 blessés parmi les électeurs. A l'origine de ce référendum, une étrange alliance entre droite affairiste catalane et une gauche ultra-idéologisée.

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle est un géopolitologue et essayiste franco-italien. Ancien éditorialiste (France SoirIl Liberal, etc.), il intervient dans des institutions patronales et européennes, et est chercheur associé au Cpfa (Center of Foreign and Political Affairs). Il a publié plusieurs essais en France et en Italie sur la faiblesse des démocraties, les guerres balkaniques, l'islamisme, la Turquie, la persécution des chrétiens, la Syrie et le terrorisme. 

Son dernier ouvrage, coécrit avec Jacques Soppelsa, Vers un choc global ? La mondialisation dangereuse, est paru en 2023 aux Editions de l'Artilleur. 

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Atlantico : Le vote pour l'indépendance de la Catalogne, dénoncé comme irrégulier par Madrid, vire au désastre. Depuis l'intervention de la police on, ne compte pas moins de 91 blessés parmi les électeurs. A l'origine de ce référendum, une étrange alliance entre droite affairiste catalane et une gauche ultra idéologisée. A elles deux, elles ont réussi à tendre un piège à Madrid. Comment en est-on arrivé la ? Que dire sur ce désastre d'image pour le gouvernement espagnol ?

Alexandre Del Valle : Tout a commencé avec des anciens du centre droit avec M. Pujol. Cette droite affairiste qui venait du centre-droit avait vu dans le catalanisme un moyen de s'émanciper et de faire des affaires. Pujol a donc commencé ce mouvement de manière assez modéré. C'était avant tout dans le but d'aller approfondir le statut d'autonomie. Car à la mort de Franco, l'Espagne a été reconstituée sur une nouvelle démocratie. Et comme Franco avait réprimé les Catalans et les Basques, pour faire l'inverse, l'Espagne d'aujourd'hui a été fondée sur l'autonomie des régions. Donc les différentes régions ont eu un pouvoir énorme comparable à celle de véritables Etats fédérés. La région catalane (Generalitat) a bénéficié de pouvoirs très poussés, notamment en termes de police et d'éducation.

C'est par la culture que les catalanistes de droite et d'extrême gauche ont progressé. Et ils y sont allés par étapes. Dans les années 1980-90, tout le travail qui a été fait était moins indépendantiste qu'aujourd'hui. Il a consisté à imposer dans les écoles le catalan. Ce que les catalanistes ont appelé le « bilinguisme » n'était pas des écoles ou l'on apprend et le catalan et l'espagnol, mais bien des écoles entièrement en catalan. Il était impossible de trouver une école ou l'on étudie toutes les matières en espagnol. Le bilinguisme consistait ainsi à dire que « puisque l'Espagne et la langue castillane sont hégémoniques et coloniales, le ‘vrai’ bilinguisme, ce sont des écoles entièrement en catalan qui vont rectifier ce « déséquilibre ». O va donc ne donner que quelques heures d'espagnol comme on en donnerait à une langue « étrangère ». Dans l'administration, on a également imposé le catalan et interdit la communication officielle en espagnol. Même les commerçants avaient des amendes lorsque qu'ils mettaient sur leur devanture une inscription en espagnol. Dans les années 1990-2000, cette police politico-linguistique et culturelle a initié un début de lavage de cerveau anti-espagnol et de « déshispanisation ». Mais elle était essentiellement linguistique et identitaire. On a fait alors croire que c'était un combat pour la langue. L'idée était ensuite d'instrumentaliser l'anti-franquisme et le passé de la guerre civile, dans lequel la Catalogne paya un fort tribut humain en tant que région à la pointe du combat républicain puis d’extrême-gauche-anarchiste. Cette rhétorique anti-franquiste permit de justifier, au nom d’une martyrologie revancharde, une « exception » catalane et de diffuser dans la société un sentiment de persécution des Catalans victimes permanente de l’Espagne post-franquiste.

Et c'est là que l'extrême gauche est entrée en action. Au départ, elle n'était pas spécialement catalaniste. Mais au même titre que l'extrême gauche a investi l'écologie en Allemagne ou en France, en Espagne, elle a choisi le régionalisme qu’on appelle «le nationalisme » et qui est tourné contre Madrid et son « hispanité », jugée étrangère, allogène, néo-fasciste et néo-coloniale, surtout quand la droite est au pouvoir (parti populaire) . Ça s'est donc passé d'abord par le culturel, par le contrôle de l'éducation, puis par l'orientation des cours, et progressivement par la politisation de l’identité et la révision de l’histoire nationale dans un sens toujours plus radical et revendicatif. On a alors fini par apprendre dans les cours d'Histoire que la Catalogne avait toujours été un Etat séparé, souverain et indépendant, et que l'Espagne avait « réduit» la « nation-Etat de Catalogne » à une simple « région ». Ce qui est complètement faux, car la Catalogne n’a jamais été autre chose qu’une composante du royaume d’Aragon dans le passé, royaume qui créa l’Espagne en s’alliant avec celui de Castille au XV ème siècle... On est donc passé à un nationalisme catalan révisionniste et revanchard, idéologisé, qui devenait de plus en plus radicalement antiespagnol, voir hispanophobe, d’où la diabolisation de Madrid, l’interdiction des corridas, assimilées à l’Espagne franquiste, la ringardisation des traditions espagnoles, etc. Après la culture, on est arrivé à une politique de plus en plus « nationaliste ». Mais ça ne suffisait jamais…

Cette dérive est devenue folle et confine depuis des années à une paranoïa collective porteuse de dangers futurs. Tout ce que faisait Madrid était donc mauvais. L'extrême gauche a alors joué, d’un point de vue idéologique et culturel, un jeu de plus en plus important, et elle a investi le régionalisme en le radicalisant et en en faisant une arme pour détruire l'Etat-nation honni puis pour le déstabiliser. En Espagne, l'un des vecteurs de destruction de l'Etat nation est donc depuis des années l'anti franquisme de facture séparatiste, très puissant en Catalogne mais aussi au pays basque et même en Galicie, dans une moindre mesure. L'idée de base, c'est que le franquisme est une réalité « fasciste » et « colonialiste » ; que la Catalogne a été victime du « fascisme de Madrid », et par conséquent que la seule façon de «réparer » les humiliations passées et de combattre le « néo-franquisme » oppressif - allié à l’Eglise de l’opus dei assimilée de façon caricaturale à l’inquisition - c'est de couper tout lien avec Madrid. Ainsi, dans les années 2000, on est passé d'un autonomisme relativement conforme à la constitution à un nationalisme haineux qui revendique de plus en plus l'indépendance et lave les cerveaux de façon très officielle en retournant les pouvoirs de la région catalane conférés par les lois de décentralisation - quasi fédéralistes - accordées par Madrid, contre l’Etat espagnol lui-même, désormais menacé de fragmentation .

De son côté, la droite n'y croyait pas vraiment au départ. Elle a joué ce jeu « nationaliste » par opportunisme et même par bluff pour séduire les forces d'extrême gauche devenues alliées face à Madrid et pour masquer ses objectifs économiques et fiscaux. Ce qu'elle voulait vraiment, c'est en effet l'autonomie fiscale, donc pouvoir jouir de façon très autonome de ses rentrées fiscales en reversant le moins possible aux régions pauvres. En fait, c'est depuis le début de ce point de vue une affaire de riches opposés aux régions pauvres et « fainéantes »: « Nous sommes les riches de l'Espagne, nous travaillons plus et mieux, et nous en avons marre de payer pour les pauvres qui produisent moins de richesses » –c'est ainsi que les Catalanistes de droite ou non membres de l’extrême gauche radicale raisonnent. Et ils vous le disent tous les jours à Barcelone, Gérone ou Puigcerdá. Cela rappelle en Belgique les Flamands indépendantistes « néo-riches », qui veulent leur indépendance vis-à-vis de la Belgique francophone « néo-pauvre » et qui prennent par là même leur revanche, car jadis, les zones flamandes rurales étaient plus pauvres et moins industrialisées que les zones francophones citadines. Dans les deux pays, la nouvelle bourgeoisie appartient à l’ancien prolétariat ou aux zones pauvres rurales de jadis désormais plus riches.

La droite catalaniste a de la sorte poursuivi un dessein purement financier à travers le séparatisme, qui a d’ailleurs masqué un autre dessein, dont on parle peu mais qui est flagrant: la corruption gigantesque qui a permis à M. Jordi Pujol, le précurseur de ce catalanisme de « droite », l’ex charismatique président de la Generalitat, de s’enrichir en milliards grâce aux marchés publics contrôlés par Barcelone... L’affaire est notoire, jugée et reconnue, mais l’omertà des nationalistes catalans, tous unis contre Madrid, protègent Pujol qui a échappé jusqu’à aujourd’hui à la prison, sachant qu’il « tient » toute la classe politique catalane, compromise jusqu’à la moelle dans ces affaires de méga-corruption…

En réalité, cette droite catalane affairiste et corrompue pensait qu'elle arriverait un jour à faire plier Madrid, qui céderait tôt ou tard et accorderait l’autonomie fiscale en échange d’un maintien apparent d’une unité espagnole sur le papier et en échange de prérogatives quasi-étatiques pour la Generalitat. L'idée c'était de faire croire qu'ils ne revendiqueraient l'indépendance de façon définitive « que » si on leur refusait l'autonomie fiscale, dont le pays basque et la Navarre bénéficient d’ailleurs, ce qui justifie une certaine jalousie, car pourquoi les uns y ont-ils droit et les autres non. Les Catalans voulaient avant tout gérer leurs richesses eux-mêmes, afin de ne plus rien reverser à l'Etat espagnol, et cela correspondait à la stratégie de la bourgeoisie catalane au départ favorable à une négociation.

Toutefois, Madrid a toujours refusé cette « autonomie fiscale », et la droite espagnole du PP est restée arc-boutée sur ses positions de refus. L'extrême gauche et le clan Pujol ont alors fait croire qu’il s’agissait d’une « persécution ». On est alors passé d'un simple chantage à un mouvement encore plus radical et plus réel de revendication d'indépendance, mouvement qui a rencontré celui, encore plus idéologique et anti-espagnol de l’extrême gauche anti-franquiste revancharde qui a instrumentalisé l’autonomisme catalan comme une arme fatale contre Madrid et contre les partis modérés PP et PSOE, dès lors marginalisés en Catalogne car assimilés à des relais de la domination « néo-coloniale » espagnole..

Le mauvais calcul de la droite catalane, c'était de croire que Madrid céderait tôt ou tard. Suite à ça, elle s'est elle-même radicalisée au contact de son allié d’extrême gauche anti espagnole. Cette alliance reposait sur les intérêts financiers des uns et les intérêts idéologiques des autres. Et cet alliage était chaque année un peu plus pris dans une spirale de fuite en avant. Tant que l'Espagne ne céderait pas, ils menaceraient de devenir indépendantistes. Lorsque l'Espagne a déclaré qu'elle ne céderait jamais, et lorsque les Catalanistes en ont été convaincus, ceux qui étaient modérément autonomistes ou faussement indépendantistes ont fini par le devenir vraiment. Même la droite catalaniste a fini par croire à son propre discours.

Et voilà comment on en est arrivé à la situation actuelle. Pour essayer d'obtenir les résultats financiers de ce chantage, les nationalistes catalans ont utilisé les écoles, le gouvernement local, les radios, les télévisions catalanes, très hégémoniques sur le plan culturel, ou toute autre forme de propagande, pour distiller un jusqu’au-boutisme anti-espagnol de plus en plus délirant. Le chantage est devenu une réalité, et les Catalans, mêmes fils d’Andalous, de Castillans ou de Valencianos ou Murcianos, ont appris à l’école à haïr d’Espagne de leurs propres parents.

Aujourd'hui, les Catalanistes sont complètement fanatisés. J'ai moi-même observé cette évolution-radicalisation depuis 20 ans. On est arrivé à un point de non-retour. Quand vous parlez avec des indépendantistes, pourtant souvent d’origine valenciana, andalouse, galicienne, etc, leur idée-force est que « tous les espagnols les détestent », qu'il y a un « complot de Madrid pour ne pas redistribuer l’argent des contribuables catalans »… Ils prennent des exemples très controversés, font des calculs farfelus sur les infrastructures non payées par Madrid, les lignes de chemin de fer et les travaux publics moins ambitieux en Catalogne qu’ailleurs, etc. Bref, ils ont donné un sentiment de persécution à la population catalane qui y croit de plus en plus. De nombreux catalans –peut-être 50% de la population- sont dès lors prêts à aller jusqu'au bout, voir même jusqu'à la guerre civile.

Et peu importe que depuis des années, des sièges sociaux de grandes sociétés quittent Barcelone pour Madrid, peu importe les risques économiques, les conséquences pour les retraites des Catalans, pour les relations avec l’Union européenne, la Défense, les traités internationaux, l’espace économique de libre-échange et le marché européens, etc, les Catalans sont persuadés que plus rien ne pourra plus arrêter la marche vers l’indépendance quelles qu’en soient les conséquences.

Aujourd'hui la droite affairiste-opportuniste catalane corrompue héritière de Jordi Pujol, pourtant reconnu coupable de détournement de milliards d’euros, est devenue prisonnière de son propre discours et otage d'une minorité néo-gauchiste ultra-radicale qui lui sert d’alibi-complice idéologiste-idéaliste. Après avoir fanatisé une population entière, on est arrivé à quelque chose d'absurde et de très dangereux pour toutes les parties. De très nombreux catalanistes anti-espagnols sont eux-mêmes de non-Catalans, sans parler des latinos très nombreux aussi et autres extra-européens. En effet, plus de la moitié des « catalans » de souche ibérique-espagnole résidant dans les villes de la région ont au moins un ou deux parents espagnols non-catalans. Ainsi, les enfants de ces « immigrés » andalous installés en Catalogne ont appris à l'école à détester le pays de leurs propres parents. Il y a eu un véritable lavage de cerveau par le gouvernement régional qui a de plus en plus augmenté son discours paranoïaque et anti espagnol. 

Ce référendum a été interdit par la justice mais l’exécutif catalan a tenu à le maintenir. Si le oui l'emporte, ça semble parti pour,  quelles conséquences pour le pays ?

Il faut savoir que Madrid est dirigé par M. Rajoy qui n'est pas le plus intelligent de son parti, le Partido popular, si vous voulez mon avis... Rappelons que son mentor, M. José Maria Aznar, ex-président du Conseil espagnol, comme beaucoup d'hommes politiques un peu cyniques, s'était entouré de gens beaucoup plus bêtes que lui pour rester le chef... Quand Aznar a quitté la politique, au moment de l’attentat islamiste de 2004 à Madrid, Rajoy est devenu le leader de cette droite, par ailleurs héritière du franquisme. Donc pour les Catalanistes de gauche et d’extrême-gauche, très activistes et influents idéologiquement, l’Espagne de Madrid est toujours dirigée par une droite d'origine franquiste et par quelqu'un qui incarne une rigidité et peu de subtilité.. bref, l’ennemi épouvantail rêvé...

Le piège du 1er octobre c'était donc de provoquer un sentiment de persécution, de pousser les forces de l’ordre espagnoles nationales à réprimer les partisans du référendum illégal, en filmant ces répressions « fascistes », afin de diaboliser Rajoy et Madrid, ce qui est très réussi. C'est ce que j'appelle le « syndrome des révolutions de velours ». C'est à dire provoquer les forces de l'ordre de l’Etat central pour les pousser aux bavures et donc à l'erreur puis médiatiser ces répressions impopulaires pour susciter l’émotion internationale afin de se poser en victime et d’isoler l’Etat central répressif. Diaboliser la force légale de l'Etat nation et légitimer la violence pourtant illégale de celui qui ne doit pas la posséder (celui qui est contre l'Etat).

Ce referendum ayant été maintenu, les opposants à l'indépendance ayant refusé eux même d'aller voter, le gouvernement ayant donné pour indications de ne pas aller voter, Madrid est ainsi tombé dans un premier piège, démocratique, qui consistait à donner la majorité à son propre ennemi. Chose faite, puisque plus de 70 % des votants, même s’ils sont moins de 7000, ont exprimé leur choix en faveur de l’indépendance.

L'Etat Espagnol a trop cru en la légalité et a oublié le principe de légitimité. Etre légal c'est bien, mais lorsque vous êtes légal sans être légitime, ça ne fonctionne pas. L'histoire moderne montre que celui qui est du côté du légitime, l'emporte sur le légal. Ajoutez à cela la médiatisation telle que l'on a pu l'observer ce dimanche 1er octobre, et vous obtenez une légitimité quasi unanime en faveur des séparatistes, que mêmes les non-séparatistes hors d’Espagne saluent comme des courageux résistants victimes de répression. Je pense que, du point de vu de la guerre psychologique, les Catalans ont gagné la bataille médiatique. Ça va être très difficile pour Madrid d'avoir l'air légitime désormais. Ils devront faire d'énormes concessions. Peut-être l'autonomie fiscale dont rêvaient les catalanistes. Mais n'est-il pas trop tard ? Il est possible que cela ne suffise plus.  En réalité, les séparatistes m’ont souvent dit que le deal était valable jusqu’au milieu des années 2000, mais depuis la première consultation pro-indépendance catalane qui fut un semi échec, nous sommes arrivés à un point de quasi non-retour, en tout cas avec les deux gouvernements actuels, celui de Catalogne, prêt à tout, et celui de Madrid, diabolisé à jamais.

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