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"Fils d'Adam" ou Tout le monde n'a pas eu la chance d'avoir des parents communistes…
©Reuters

Bonnes feuilles

Des pages faites de rage, de passion et d'amour. La tragédie du siècle incarnée par la tragédie d'un homme. Extrait de "Fils d'Adam - Nostalgies communistes" de Benoît Rayski, publié aux éditions Exils (1/2).

Benoît Rayski

Benoît Rayski

Benoît Rayski est historien, écrivain et journaliste. Il vient de publier Le gauchisme, maladie sénile du communisme avec Atlantico Editions et Eyrolles E-books.

Il est également l'auteur de Là où vont les cigognes (Ramsay), L'affiche rouge (Denoël), ou encore de L'homme que vous aimez haïr (Grasset) qui dénonce l' "anti-sarkozysme primaire" ambiant.

Il a travaillé comme journaliste pour France Soir, L'Événement du jeudi, Le Matin de Paris ou Globe.

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Ce livre est sur toi. Pour toi. Et aussi sur moi et pour moi. J’ai vécu dans ton ombre, alors que tu rayonnais. Dois-je dire que j’ai souffert de ne pas être toi ? Non, je dois le crier. Je t’ai envié, jalousé. Et aujourd’hui encore… Avoir fait graver sur ta tombe les mots suivants – Adam Rayski. 1913-2008. Il fut terroriste et communiste quand il fallait l’être – m’a ouvert les yeux. J’étais né trop tard.

Ce livre est aussi mon seul bon et vrai article. En l’écrivant, à aucun moment je n’ai éprouvé le sentiment d’être un de ces charognards dont le métier consiste, pour l’essentiel, à se goinfrer du malheur et de la mort des autres. Car, pour chacune des lignes de ce texte, j’ai versé mon propre sang. Je me suis lacéré la peau pour faire apparaître les veines. Je les ai ouvertes avec mes ongles, afin de retrouver un petit garçon de dix ans qui, enveloppé dans un drapeau rouge, croyait alors que les Juifs étaient des hommes comme les autres et que, bien sûr, tous les hommes étaient des Juifs comme les autres.

De ce petit garçon, tu étais le père. Je sais que, pour toi, vingt ans est le plus bel âge de la vie. Pas pour moi. Il est temps maintenant de te rejoindre et de te dire ce que je n’ai jamais pu te dire.

Car, si je t’avais trop admiré, ma condition médiocre m’aurait paru insupportable. J’ai fait quelques voyages pour tenter de mettre mes pas dans les tiens. On écrit sur toi que tu as été un « héros de la Résistance ». Certains même osent un « héros du peuple juif ». Militant communiste, chef des Francs-tireurs et partisans – main-d’œuvre immigrée (FTP-MOI), condamné en Pologne par un tribunal communiste, emprisonné en France par un tribunal militaire français. Des mots désincarnés sur lesquels je vais essayer de mettre de la chair.

Tout a commencé à Jérusalem, qui n’était pas chez toi. Là-bas, j’ai vu des filles en débardeur qui avaient la beauté du diable (elles étaient juives), des rabbins merveilleux, les bras chargés de livres pieux (ils étaient juifs), et des soldats en larmes (juifs aussi). Dans le ciel passaient des cigognes aux plumes blanches tachées de sang, accomplissant, selon un rite immuable, le pèlerinage qui les emmène en Pologne à la fin de l’hiver et les fait partir à l’automne, avec Jérusalem pour étape. En Pologne où je les ai suivies, il n’y avait rien à voir, plus rien à voir. Là-bas, j’ai écouté. Si vous posez votre oreille contre le sol, vous entendrez les gémissements de centaines de milliers d’enfants juifs enfouis. Si le vent se lève, écoutez-le aussi : il porte dans son souffle les mélodies yiddish qui pleurent les villages brûlés et les mères assassinées. Et si vous approchez de moi, vous entendrez le clapotis des gouttes de sang qui tombent à mes pieds. Un Juif, ça saigne toujours.

C’est de cette Pologne que tu étais venu. C’est pour cette Pologne que tu as quitté la France. Et c’est pour moi, je le sais bien, que tu es revenu en France. J’ai suivi les cigognes qui se posent sur les arbres de Bialystok où tu es né. J’ai fouillé les cendres de Treblinka à la recherche des miens. J’ai ouvert les cartons conservés aux archives de Varsovie pour y trouver les traces du dirigeant communiste que tu as été. Et aussi pour lire quelques rapports indiquant comment tu étais devenu traître au Parti. En France, ce fut pire quand j’ai dû plonger les doigts dans le compte rendu des greffiers du tribunal des forces armées qui te condamna pour espionnage. J’ai compulsé les articles de L’Humanité, où tes anciens camarades te salissaient en me salissant.

Maintenant, tout est paisible. Au Père-Lachaise, allée circulaire, division 76, il y a une tombe. Celle où il est écrit que tu fus terroriste et communiste. Je suis devant. Et j’y suis enfin bien.

Extrait de "Fils d'Adam, Nostalgies communistes" de Benoît Rayski aux Editions Exils

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