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Comment transformer la SNCF sans la braquer
©Reuters

Accompagnement

Pour la SNCF, l’heure de la transformation est venue, comme partout ailleurs, mais cela doit se faire en bonne entente avec les cheminots, qui ont l'amour de leur outil de travail.

Loïk Le Floch-Prigent

Loïk Le Floch-Prigent

Loïk Le Floch-Prigent est ancien dirigeant de Elf Aquitaine et Gaz de France, et spécialiste des questions d'énergie. Il est président de la branche industrie du mouvement ETHIC.

 

Ingénieur à l'Institut polytechnique de Grenoble, puis directeur de cabinet du ministre de l'Industrie Pierre Dreyfus (1981-1982), il devient successivement PDG de Rhône-Poulenc (1982-1986), de Elf Aquitaine (1989-1993), de Gaz de France (1993-1996), puis de la SNCF avant de se reconvertir en consultant international spécialisé dans les questions d'énergie (1997-2003).

Dernière publication : Il ne faut pas se tromper, aux Editions Elytel.

Son nom est apparu dans l'affaire Elf en 2003. Il est l'auteur de La bataille de l'industrie aux éditions Jacques-Marie Laffont.

En 2017, il a publié Carnets de route d'un africain.

Voir la bio »

Dans son édition du 7 Septembre, le journal Le Monde titrait "Macron propose un grand deal aux cheminots" tandis que sur son cahier Eco et Entreprise ce titre était "Le plan d’Emmanuel Macron pour transformer radicalement la SNCF". J’avais bien entendu au mois de juillet que le chef de l’Etat avait donné un interview à une dizaine de cheminots à l’occasion de l’inauguration de la nouvelle ligne TGV Paris-Rennes , et que cette discussion avait été prolongée par des extraits imprimés dans le magazine interne à la SNCF, mais lors de mes déplacements en train, mes amis cheminots n’y avaient pas prêté une attention excessive, blasés par tout ce que l’on a raconté sur eux et surtout dégoutés par les problèmes de SNCF Ouest qui avaient eu les gros titres des journaux pendant des semaines fin juillet et début août.

L’orchestration de cette « vieille nouvelle » dépasse Le Monde et parait immédiatement sur d’autres titres ainsi que sur les réseaux sociaux. Dire benoitement deux mois après que Le Monde s’est « procuré » les infos du mag est donc une figure de style.

La SNCF est une grande maison très attachante car elle existe avec un engagement des cheminots tout à fait exceptionnel, un attachement à l’entreprise hors du commun (un dévouement à la bonne marche des trains) que je n’ai trouvé nulle part ailleurs. L’envers de la médaille c’est que ces cheminots se sentent propriétaires de leur outil de travail à un point qui peut paraitre déraisonnable, mais c’est un fait et sur plusieurs générations ! C’est une culture que celle du rail et plutôt que de combattre une culture il faut l’utiliser pour accueillir la modernité. Autrement dit si vous expliquez aux cheminots comment réussir à sauvegarder l’essentiel, la bonne marche des trains, ils écouteront, si vous leur dites que la transformation souhaitée conduit aux "mobilités plurielles", ils vous tourneront le dos. Vous n’allez pas motiver une crêpière en lui disant qu’elle va faire alternativement des crêpes et des pizzas, elle est d’abord crêpière mais elle peut servir des pizzas si vous lui demandez gentiment.

Mais il y a un argument inaudible à l’intérieur de la maison : c’est celui du troc de l’endettement contre une transformation du statut ! Pour les cheminots, les décisions du tout TGV ont été prises par la puissance politique et pas par eux, ils n’en sont pas responsables et la situation financière de la SNCF dérive de là ! J’ajouterai, puisque j’ai été aux commandes, que c’est exact, le personnel cheminot est fier de la grande vitesse mais il n’a jamais considéré comme une priorité d’en mettre partout. Par contre, tous ont insisté sur la nécessité de maintenance, de maintien des compétences techniques et de remplacement des vieux matériels. Vouloir culpabiliser les cheminots de dépenses inconsidérées dans le tout TGV est donc une erreur, il vaut mieux demander à tous les politiques depuis trente ans de payer quelques euro pour chacune de leurs interventions et la SNCF en tirerait beaucoup d’argent !

Par conséquent, je pense que certains des propos du Président de la République ou de ce qui en a été rapporté étaient mal informés et imprudents, ce qui n’enlève rien à ses intuitions sur la transformation nécessaire du bel outil qu’est encore la SNCF, intuitions qu’il était important de faire entendre, et qui ont certainement été méditées.

Pendant le même temps, le gouvernement a avancé sur la modification par ordonnances du code du travail. Si l’on lit bien les textes, ils concernent principalement la situation des petites et moyennes entreprises qui ont besoin de flexibilité et de visibilité. On peut espérer que les chefs d’entreprises vont être revigorés par cet affichage. Tout le monde a bien compris aussi que ceci est insuffisant pour remettre la France industrielle au travail et repartir dans la bonne direction pour lutter contre le chômage de masse, mais si le pays comprend que son avenir est dans le renouveau de son secteur productif, personne ne s’en plaindra.

Les grandes entreprises, et surtout les grandes entreprises publiques n’ont pas grand-chose qui les concerne dans ces textes, et la mobilisation tentée par les uns et les autres est très artificielle, elle pointe des intentions indémontrables et non des réalités, par conséquent la « sortie » de ce texte inspiré par le Président de la République, était bien venue pour essayer de remuer les foules en leur faisant peur.

Pour la SNCF, l’heure de la transformation est venue comme partout ailleurs, mais cela doit se faire en dehors des orientations affichées. C’est un problème en soi et la situation des retraites qui va agiter le monde politique et syndical doit, à mon avis, être pris autrement que par la bataille de chiffres sur leur poids financier et l’âge du départ. Il faut parler en priorité de l’avenir de la société. Les derniers accidents ont montré une insuffisance dans la maintenance et la technique, et cela a quelque chose à voir avec les retraites. Les cheminots ont, dans leur ensemble, le sentiment du manque de transmission entre les générations du savoir-faire et de l’amour du train. Ainsi parlent-ils avec tristesse des insuffisances techniques et des recrutements portant plus sur les diplômes que sur l’apprentissage et la connaissance du train, du rail ! C’est à partir de là qu’il faut ouvrir le dialogue, sur le futur de « leurs trains » grâce à eux. Il faut donc avant de parler retraites parler compétences, formation professionnelle, carrières. Alors on pourra entamer les discussions.

Mes amis les cheminots, je l’espère, l’ont bien compris : l’avenir de la SNCF ce sont eux qui l’ont dans leurs mains. Le numérique, la mutation digitale, ils la vivent tous les jours, depuis les conducteurs jusqu’aux commerciaux, en passant par les responsables du réseau. A juste titre fiers de leur entreprise et de ses réalisations, il va falloir leur expliquer où l’on va avant de leur dire comment on va y arriver. S’ils ont le sentiment que ce qu’ils appellent entre eux l’armée mexicaine ne prend pas en compte leur savoir-faire et leur technicité rien ne passera, s’ils sont persuadés que l’avenir du rail, je dis bien le rail, passe par les mesures proposées, ils écouteront et sauront, comme ils l’ont toujours fait, aller de l’avant

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