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Pour la 1ére fois en 10 ans, la proportion de personnes mal-nourries dans le monde augmente et voilà pourquoi les scénarios pour les années à venir sont sombres
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Malnutrition

Loin de disparaître, la malnutrition progresse. Une triste hausse qui pose encore et toujours les questions du gaspillage, de la répartition et de l'influence de la géopolitique.

Serge Michailof

Serge Michailof

Chercheur à l’Iris, enseignant à Sciences Po et conseiller de plusieurs gouvernements, Serge Michailof a été l’un des directeurs de la Banque mondiale et le directeur des opérations de l’Agence française de développement (Afd). Il est notamment l'auteur du livre Africanistan - L'Afrique en crise va-t-elle se retrouver dans nos banlieues ? (Fayard, 2015). 

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Selon le dernier rapport annuel des Nations Unies sur la sécurité alimentaire mondiale et la nutrition publiée le 15 septembre,  815 millions de personnes en 2016, soit 11 % de la population mondiale, souffrent de la faim. C’est 38 millions de plus qu’il y a un an et il s'agit de la première augmentation depuis plus de 10 ans. Quels en sont les causes selon vous ? 

Serge Michailof : Cet accroissement de la population en situation alimentaire difficile voire critique a des causes multiples, en particulier des problèmes climatiques tels ceux qui ont affecté la corne de l'Afrique et le nord Ethiopien et qui ont provoqué des échecs de campagnes agricoles. Mais je pense que la principale cause est l'extension géographique des conflits, ouverts ou larvés, et l'insécurité liée à cet état de fait qui provoque des migrations massives. C'est ce qui s'est passé au nord est du Nigéria où Boko Haram a certes perdu l'essentiel de ses capacités militaires mais s'est dispersé en petits groupes qui font régner la terreur par le pillage et les massacres. On estime ainsi que plus de 2 millions de personnes se sont déplacés dans cette région préférant abandonner terres et habitations . Un pays comme le Yemen est dans une situation alimentaire critique à cause du conflit avec les Houthis et l'intervention saoudienne et la famine est ici utilisée comme une arme par certains groupes. Il en est de même au Sud Soudan. Il est aussi évident que le réchauffement climatique dans ces régions commence à se faire sentir, accroit l'instabilité pluviométrique et à terme réduira les rendements céréaliers moyens y compris en année de pluviométrie normale.

Clara Jamart, responsable de plaidoyer sur les questions agricoles au sein d’Oxfam France, atteste que "la faim n’est pas un problème lié à une pénurie de nourriture. Nous produisons aujourd’hui, à l’échelle de la planète, largement assez de denrées alimentaires pour assurer le droit à l’alimentation de tous.". Selon ce raisonnement, la multiplication des conflits et le changement climatique, deux facteurs qui peuvent influer sur d'importantes zones agricoles, n'auraient pas spécialement d’impact sur la sécurité alimentaire mondiale. Entre les causes avancées par le rapport annuel des nations unies et notre modèle agricole actuel, qu'est-ce qui a le plus d'impact sur la sécurité alimentaire dans le monde selon vous ?

Clara Jamart a raison au niveau mondial car il n'y a pas de pénurie alimentaire globale à ce niveau et nous disposons des techniques permettant de nourrir 8 et sans doute 9 millions d'habitants sur cette planête. Au delà de ce chiffre les avis des experts varient et l'accroissement de niveau de vie en Asie qui s'accompagne d'une augmentation spectaculaire de la consommation de viande peut à terme poser un problème sérieux de disponibilité alimentaire, et ce d'autant plus que les céréales sont aussi utilisées pour produire des biocarburants. Donc enrichissement de l'Asie qui va consommer de plus en plus de viande qui exige pour sa production des quantités considérable de céréales, détournement des céréales pour les besoins des biocarburants, accroissement de population, réchauffement climatique et ses conséquences sur les rendements céréaliers, si la population du globe dépasse 10 milliards et continue de s'enrichir nous pouvons atteindre des limites physiques. 

Ceci dit nous n'y sommes pas encore et actuellement les famines sont largement, comme souvent dans l'histoire, le fait de conflits comme aujourd'hui au Yemen, voire parfois le fait de décisions délibérées où l'on affame un ennemi de classe comme en Ukraine dans les années 1920 et 1930,  ou le produit d'un effondrement des circuits économiques comme lors de la grande famine chinoise lors de la révolution culturelle. Mais si Clara Jamart a raison au plan global, car dans un monde harmonieux en paix il ne devrait pas y avoir de problème à notre époque, dans le monde réel il y a de graves problèmes liés aux conflits, au développement de l'insécurité qui affecte des régions immenses en particulier en cas de conflits dits de basse intensité comme on le voit tout autour du lac Tchad. Car cette insécurité et  les pillages associés sont dévastateurs par la désorganisation des circuits commerciaux qu'ils provoquent, qui ne permettent pas aux zones en pénurie temporaire pour des raisons par exemple climatiques, de se ravitailler dans les régions voisines excédentaires. 

Enfin il y a aussi lieu de s'inquiéter de l'ampleur du gap qui se développe en certaines régions comme le Sahel entre démographie qui est hors de contrôle et capacités agricoles actuelles ( tenant compte du manque d'investissement en agriculture dans ces  pays). Le Niger qui avait 3 millions d'habitants en 1960 en a aujourd'hui 20, en aura 42 en 2035 et entre 60 et 90 millions en 2050. Or seule 8 % de sa superficie est cultivable. Il y a un problème mais qui se traduira très probablement en premier par une montée de l'insécurité et des conflits comme nous le constatons déjà actuellement, et uniquement à terme par des phénomènes de famines qui proviendront non du manque de céréales au niveau mondial, mais d'un échec agricole lié à un accident climatique et à l' impossibilité d'acheminer 10 ou 20 millions de tonnes de céréales en peu de temps compte tenu des faiblesses logistiques ( pas de chemin de fer) et de l'insécurité.  

Les objectifs de développement durable (ODD),visant l’élimination de la faim  d'ici 2030 vous semble-t-il encore réalisable ?

Le problème est moins technique que politique. Peut- on espérer éliminer les guerres civiles et les conflits d'ici 2030 ? Ceci dit si l'on acceptait de consacrer au développement agricole des pays en difficulté une petite fraction des budgets militaires il y aurait certainement moins de conflits au cours des prochaines années.... 

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