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Réforme du marché du travail : les inquiétantes leçons des sondages pré grande grève de 1995
©Reuters

Conflit social

Selon un sondage BVA datant du mois de novembre 1995, au moment de la présentation de la réforme de la sécurité sociale "Juppé", il apparaît que le rejet de la part de la population n'était pas aussi élevé qu'il ne peut l'être aujourd’hui vis à vis de la loi travail. Ainsi, seuls 44% des Français étaient défavorables à cette réforme (41% y étant favorables, 15% ne se prononçant pas).

Erwan Lestrohan

Erwan Lestrohan

Erwan Lestrohan est directeur d'études à l'Institut BVA.

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Atlantico : Un sondage BVA relatif à la loi travail, datant de mai 2017, indiquait une opinion plus tranchée : 38% des Français étaient favorables à la réforme du Droit du Travail envisagée par Emmanuel Macron contre 49% qui y étaient opposés. Des chiffres qui tendent à se maintenir au cours de ces dernières semaines. Comment interpréter ces deux sondages à l'aune du risque d'une confrontation sociale ?

Erwan Lestrohan : En effet, les Français n’étaient à l’origine pas unanimement hostiles au projet d’Alain Juppé de réformer la sécurité sociale. Ce projet survenait dans un contexte où résorber le « trou de la sécu » faisait figure de priorité nationale. C’est notamment, une fois le projet mieux connu, la volonté gouvernementale de réformer les régimes spéciaux qui a durci la mobilisation des Français contre la réforme, provoquant l’enlisement dans des grèves records entre novembre et décembre 1995.

Aujourd’hui, dans un contexte de chômage très élevé, les Français ne sont pas opposés, sur le principe, à une évolution des règles sur le marché de l’emploi. Si avant l’introduction du projet de loi El Khomri, en février 2016, 78% des Français étaient favorables à ce que le code du Travail soit réformé, ils ne sont cependant plus que 63% aujourd’hui. Cette régression peut être reliée à l’enlisement du conflit social du premier semestre 2016 mais aussi probablement à la ligne directrice des réformes 2016 et 2017 dont les bénéfices pour les salariés sont moins identifiés que les bénéfices potentiels pour les entreprises.

 En novembre 1995, Alain Juppé était jugé "courageux" par 68% des Français, tout comme Emmanuel Macron a été jugé "courageux" par 62% des Français dans un sondage odoxa datant du 4 septembre dernier. De la même façon, il apparaît au fil des sondages que les Français sont favorables aux réformes, mais marquent leur désapprobation quant au contenu de celles-ci. (aussi bien en 1995 qu'en 2017). En quoi cette confusion entre ces phénomènes peut-elle masquer le risque réel d'une opposition ? 

En réalité ces résultats montrent bien dans quelle mesure il existe une différence entre une posture positive des Français, sur le principe, à l’égard d’un projet de réforme et leur capacité à le contester massivement dès lors que son contenu, ou son mode d’adoption, menacent leur situation personnelle ou va à l’encontre de leurs valeurs. Les cas où les Français se montraient plutôt favorables à l’égard d’une réforme avant que les positions ne se resserrent au plus fort du débat de fond se retrouvent fréquemment. Il en a été ainsi de la réforme de la sécurité sociale mais ceci se retrouvait aussi concernant l’élargissement du travail dominical ou encore, sur un plan plus sociétal, du Mariage pour tous. Si de 2006 à 2011, plus de 6 Français sur 10 se déclaraient régulièrement favorables au mariage de deux personnes de même sexe, cette proportion a reculé au plus fort du débat législatif et de la contestation sociale de la Manif pour tous pour atteindre 58% en janvier 2013 et finalement remonter à 67% en 2015.

Dans le cas présent, l’opposition pourrait se durcir si l’exécutif ne répondait pas efficacement aux réserves exprimées par les Français les plus critiques à l’égard du projet. En ne levant pas les doutes éventuels des opposants au projet ou en ne faisant pas montre d’une volonté d’intégrer leurs griefs, le risque d’enlisement de la contestation s’accroît. S’il ne faut pas exclure de déboucher sur une situation comparable au printemps 2016, il est tout de même nécessaire de rappeler l’importance des phases préalables de concertation réalisées avec les partenaires sociaux ainsi qu’une méthode d’adoption différente. En 2016, le recours à l’article 49-3 pour adopter la loi El Khomri avait également renforcé la contestation sociale.

Du point de vue de l'opinion, comment pourrait tracer la ligne rouge de l'opposition à la loi travail ? Quels seraient les indices de risques les plus significatifs pour le gouvernement, et sa popularité, au travers de cette loi ?

Le risque pour le couple exécutif serait qu’un enlisement de la contestation génère une rupture avec une partie de l’électorat, qui s’estimerait délaissé ou trahi idéologiquement. La contestation du projet de réforme risque naturellement d’être plus nourrie auprès des personnes les plus fragiles sur le marché de l’emploi : les jeunes, les employés et les ouvriers, les personnes ayant un niveau de qualification limité. La mobilisation du 23 septembre indiquera aussi l’ampleur de la contestation politique à gauche, celle-ci étant mue par des questions de valeurs, la réforme apparaissant comme une menace importante pour les Français les plus précaires. Ce contexte montre l’importance du travail de pédagogie et de communication qui attend le couple exécutif, qui va devoir rassurer les Français réservés à l’égard du projet, sur son bien-fondé et son caractère incontournable pour relancer le marché de l’emploi et lutter efficacement contre le chômage.

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