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Europe, Allemagne, France...Pourquoi la forte hausse de l’euro menace de faire fléchir la croissance
©Reuters

1.20 dollars

Pour la première fois depuis janvier 2015, l'euro a dépassé le seuil des 1.20 USD, soit une hausse de plus de 15% depuis le début de l'année 2017.

UE Bruxelles AFP

Jean-Paul Betbeze

Jean-Paul Betbeze est président de Betbeze Conseil SAS. Il a également  été Chef économiste et directeur des études économiques de Crédit Agricole SA jusqu'en 2012.

Il a notamment publié Crise une chance pour la France ; Crise : par ici la sortie ; 2012 : 100 jours pour défaire ou refaire la France, et en mars 2013 Si ça nous arrivait demain... (Plon). En 2016, il publie La Guerre des Mondialisations, aux éditions Economica et en 2017 "La France, ce malade imaginaire" chez le même éditeur.

Son site internet est le suivant : www.betbezeconseil.com

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Atlantico : Quels sont les pays qui ont le plus à craindre d'une telle hausse de la monnaie unique, quels sont ceux qui sont les moins touchés ? Un tel niveau peut-il avoir un impact sur le niveau des exportations aux Etats Unis, premier partenaire commercial de la zone euro ?

Jean-Paul Betbeze : Ce qui est historique, c’est que l’euro retourne à son niveau de naissance, pondéré par les grandes devises, en janvier 1999. En indice, il est actuellement à 99,5 contre 100 à l’époque ! Entretemps, il a beaucoup bougé, passant d’un minimum de 81 en octobre 2000 (quand il inquiétait beaucoup et quand les Etats-Unis allaient bien) à un maximum de 114 en décembre 2008 (quand les Etats-Unis étaient entrés dans leur Grande récession, et la zone euro pas encore). L’euro bouge donc beaucoup, et surtout par rapport au dollar. Il retourne aujourd’hui à son niveau de naissance, mais le monde a beaucoup changé entretemps.

Ainsi et par rapport au seul dollar, l’euro remonte actuellement après une stabilisation de quelques mois, de début 2017 jusqu’au mois d’avril. Il rejoint le niveau de janvier 2015, sachant quand même qu’il avait atteint 1,4 en début 2014 et 1,6 en juillet 2008. Cette hausse est donc violente, mais le niveau atteint n’est pas (encore ?) un plus haut historique. Surtout, elle est surprenante. Les Etats-Unis vont mieux que la zone euro et devaient monter leurs taux, donc le dollar monter. C’est l’inverse qui se produit. La question est donc de savoir qui cette hausse de l’euro va affecter ici, dans une zone euro qui sort avec peine d’une longue stagnation, grâce à une balance des comptes courants positive.

A priori, le pays de la zone euro le plus menacé est celui qui a le plus fort excédent commercial par rapport aux Etats-Unis, l’Allemagne, avec 65 milliards de dollars. Elle se situe un peu devant le Mexique (63 milliards), mais loin derrière la Chine (347 milliards). Mécaniquement, on pourrait donc dire que cette montée de l’euro affecte l’Allemagne, au risque de la faire ralentir, et la zone euro avec. Mais ce n’est pas aussi simple !

Quel est la situation spécifique de la France dans cette ascension de la monnaie unique ? Quels sont les risques encourus, notamment sur les prévisions de croissance pour l’année 2017, un coup d'arrêt est-il à prévoir ? La hausse de l'euro peut-elle handicaper les efforts de compétitivité entrepris au cours de ces derniers mois et années ?

De fait, ce n’est pas simple de mesurer cet « effet euro », et la France ne va pas passer à côté. Les enjeux pour elle sont considérables : la France est le huitième exportateur mondial et le cinquième importateur. Son commerce extérieur est déficitaire de l’ordre de 48 milliards en 2016 pour les biens, avec seulement un excédent de 0,4 milliard pour les services (contre + 8,8 milliards en 2015). Tout ceci pèse évidemment sur la croissance et l’emploi. Sa part de marché mondiale dans les échanges de biens s’effrite à 3,3% en 2015. Elle était de 6,3% en 1990, 5,1% en 2000, 3,5% en 2010. Cette même évolution, préoccupante, se retrouve pour les services.

On l’a noté plus haut, cette hausse de l’euro va peser globalement sur la croissance de la zone et notamment sur l’Allemagne, notre premier client. Par secteur, elle va affecter ceux où nous sommes excédentaires en biens (aéronautique et spatial, agroalimentaire, chimie et pharmacie…) et peser sur ceux déjà en déficit (bien d’équipement, autres produits industriels). Le secteur du luxe peut aussi se voir affecté, lui qui exporte pour 45 milliards avec un excédent de 20 en 2016. Cette hausse de l’euro va bien sûr affecter aussi les services, tourisme, aides aux entreprises, services financiers, propriété intellectuelle.

Mais, avec cette hausse de l’euro par rapport au dollar, tout n’est pas dans ce que l’on vend, les exportations brutes, mais beaucoup dans ce l’on fait dans le pays, la valeur qui y est ajoutée, avec la puissance des entreprises exportatrices. On connaît l’histoire des produits Apple, exportés de Chine, mais avec très peu de travail chinois, et notamment beaucoup de prestations et de droits de la propriété américains (Apple). C’est la même chose (mais pas de cette ampleur bien sûr) dans le cas français selon les calculs de l’OCDE et de l’OMC concernant les « exportations de valeur ajoutée ». « En valeur brute, l’Allemagne (13.7%), l’Italie (8.4%) et le Royaume-Uni (8.0%) sont les premiers marchés à l’exportation pour la France, mais les États-Unis se hissent à la deuxième place pour ce qui est des exportations en valeur ajoutée (10.4%) » (Source OCDE-OMC).

Dans les exportations françaises, notamment industrielles, la  compétitivité prix et coût (importante pour les produits de milieu de gamme où la France retrouve peu à peu sa place grâce à sa modération salariale récente) doit donc jouer sur un autre registre : la puissance de son appareil d’ « entreprises qui exportent ». La France compte 124 000 exportateurs, avec 95% du nombre qui sont des PME et 86% des montants qui viennent de grandes entreprises et d’ETI. Un nombre réduit, une forte concentration.

Au total, cette hausse récente de l’euro peut faire fléchir la croissance de la zone euro et peser sur l’Allemagne et, ici sur les services et le tourisme, mais il serait très grave de sous-estimer le risque qui pèse sur une industrie qui se bat pour exporter des produits à haute valeur ajoutée.

Quelles sont les causes de cette hausse de l'euro ? Faut-il les chercher en Europe où s'agit plutôt d'une baisse du dollar ? Cette tendance pourrait-elle se poursuivre ? Quel est le niveau qui pourrait s'avérer être critique pour l'économie de la zone euro ?

De fait, cet « euro qui monte » vient d’un « dollar qui baisse », pour des raisons plus politiques et géopolitiques qu’économiques. Normalement en effet, la croissance américaine se poursuit, vers 2% avec un taux de chômage de 4.3% autrement dit en plein emploi. Pour des raisons structurelles (la révolution technologique en cours et la montée de la concurrence internationale) l’inflation est toujours très faible, autour de1.6%. Sans doute, avec la politique de réduction de la main-d’œuvre émigrée la hausse des salaires va s’accélérer, peser donc sur l’inflation et conduire la Fed à monter ses taux.

En face, en zone euro, une amélioration se met effectivement en place, vers plus de 2% de croissance, avec l’Allemagne mais aussi l’Espagne et désormais un peu plus la France. Mais il n’est pas encore question, en théorie, de monter les taux, puisque l’inflation est à 1.3%. Normalement donc les Etats-Unis devraient monter leurs taux et la zone euro attendre, donc le dollar monter par rapport à l’euro !

Ce n’est évidemment pas ce qui se passe actuellement. L’effet Trump joue ici. D’un point de vue économique, beaucoup d’acteurs pensent que ses choix protectionnistes mettent en jeu la croissance, et donc la hausse du dollar. Il en est de même des renégociations de l’Alena, qui pourraient peser aussi sur la croissance.

Mais l’essentiel est ailleurs. A Jackson Hole, Janet Yellen a clairement manifesté qu’elle était en désaccord avec la politique de déréglementation financière qui se profilait à l’horizon. Les événements récents de Charlottesville font monter une pression sociale, sachant que la pression politique est déjà très élevée au sein du Congrès. Les marchés financiers se demandent quand les réductions de taxes promises seront précisées (il semblerait qu’il faudra attendre plusieurs mois encore) tandis que le plafond de la dette fédérale s’approche : fin septembre. Enfin, au niveau international, les tensions montent avec la Russie, l’Iran, la Chine, la Corée du Nord… sans que les liens avec les alliés, notamment européens, se renforcent.

Au total, l’économie devrait faire monter le dollar. La politique de Mr Trump menace la croissance américaine et, tout autant, les équilibres politiques, internes et mondiaux. Le dollar baisse. Dans ce contexte, il faut renforcer les échanges intra européens et ceux libellés en euros avec nos partenaires économiques. Dans le cas français, la compétitivité ne passe pas seulement par la modération de l’inflation et des salaires, mais, de plus en plus, par le contenu en innovation, autrement dit en valeur ajoutée. Il est déjà élevé. On ne le sait pas assez. Or il est indispensable de le renforcer, en soutenant les chercheurs, les entreprises notamment celles qui exportent. Cette hausse de l’euro est un signal : elle montre nos forces méconnues et ce qu’il faut faire pour les renforcer encore.

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