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Discours du président à l’occasion de la Semaine des Ambassadeurs : ce que l’on sait du macronisme diplomatique
©ALAIN JOCARD / AFP

Politique étrangère

En cette Semaine des Ambassadeurs, Emmanuel Macron devrait dévoiler les grandes lignes de sa politique étrangère lors de son discours d'ouverture. Dans un contexte mondial particulièrement tendu, le Président doit faire entendre la voix de la France. Par quels moyens compte-t-il la replacer au cœur de l'échiquier international?

Bruno Tertrais

Bruno Tertrais

Directeur-adjoint à la Fondation pour la Recherche Stratégique (FRS).

Spécialiste des questions stratégiques

Dernier ouvrage paru : La revanche de l'Histoire, aux Editions Odile Jacob

 

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Cyrille Bret

Cyrille Bret

Cyrille Bret enseigne à Sciences Po Paris.

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Atlantico.fr : Ce 29 août, Emmanuel Macron tiendra un discours en ouverture de la Conférence des Ambassadeurs, ce qui sera l'occasion d'exposer plus longuement la nouvelle doctrine de l'Elysée sur les questions de politique étrangère de la France. Au regard d'un contexte mouvant, de la Présidence Trump, au Brexit, en passant par l'Allemagne, et à la Russie, quels sont les changements attendus par rapport au précédent quinquennat ? Que peut on attendre de la doctrine Macron pour la France ?

Bruno Tertrais : Emmanuel Macron a souhaité annoncer une évolution doctrinale avec un retour au "réalisme" après dix ans d'égarement, mais on est là dans un débat théorique et surtout à mon sens assez artificiel. La diplomatie française était déjà largement dans une logique "réaliste" et il n'y a eu aucune rupture, aucun tournant dans ce domaine depuis son élection. Dans les faits, ce qui est le plus marquant dans les premiers mois de sa présidence, c'est sa volonté de briser des tabous, de provoquer de manière à mon sens constructive, et de créer des rapports de forces de manière assez intelligente. On l'a vu avec les rencontres avec Poutine, Trump et Netanyahu, mais aussi plus récemment en stigmatisant le comportement du gouvernement polonais, d'une manière beaucoup plus directe que ce n'est habituellement le cas entre membres de l'Union.

Cyrille Bret : C’est le grand rendez-vous institutionnel du président Macron en matière de politique étrangère. Chaque année la conférence des Ambassadeurs est un événement annuel déterminant pour la conduite de la politique étrangère de la France : le chef de l’Etat expose sa vision du monde et donne ses instructions au corps diplomatique français pour l’année qui vient. Pour le président Macron, l’exercice aura une portée d’autant plus importante qu’il s’agira de sa première occurrence. La question que se posent tous les diplomates français et étrangers, les observateurs des relations internationales et, plus largement, l’opinion publique est de savoir quelle est la « doctrine Macron » en politique étrangère. Qu’est-ce que le macronisme appliqué aux affaires du monde ?

Depuis le début de la présidence Macron, plusieurs lignes de forces sont apparues dans l’action extérieure du chef de l’Etat. En Europe, le candidat Macron s’est très tôt déclaré pour un renforcement des liens avec l’Allemagne et avec Bruxelles. Seul candidat explicitement européiste, Emmanuel Macron, une fois président, s’est ouvertement engagé pour le renforcement de l’échelon fédéral et contre les mouvements centrifuges et souverainistes portés, depuis le Brexit par le groupe de Visegrad. La sortie du président contre la ligne polonaise la semaine dernière en Bulgarie illustre cette tendance. Préserver la construction européenne et développer les coopérations, tel sera sans doute le message clé du Président face aux ambassadeurs.

Sur la scène mondiale, le Président de la République a manifesté une grande capacité au rapport de force, notamment avec les partenaires américains et russes. Face à un président américain omniprésent mais brouillon dans les crises syriennes, coréennes ou otaniennes, le président français a affiché la force du pays notamment en conviant le président américain aux célébrations du 14 juillet. Le but du président français sera de rappeler que la France a, à la différence des Etats-Unis (mais aussi de l’Allemagne et du Royaume-Uni), une vision du monde et une stratégie mondiale. Lutte contre le terrorisme, contre le réchauffement climatique, contre la prolifération nucléaire et contre les replis protectionnistes, tels seront les messages adressés à l’allié américain par le président, à travers les ambassadeurs rassemblés à Paris.

Face à la Russie aussi, le président français a rappelé la force de la France. On se souvient de la réception du président russe à Versailles et des propos très forts du président français sur l’Ukraine, sur la Syrie et sur les médias russes. Réaffirmer les intérêts français en Europe orientale sera le maître-mot du président. En un mot, le macronisme en matière de politique étrangère est un européisme qui n’hésite pas à tenir le rapport de force avec la Pologne, les Etats-Unis, la Russie, etc.

Concernant les dossiers ce cette rentrée, le cas de la Syrie, où Bachar el-Assad semble reprendre la main, du Sahel, mais également le cas de l'Afghanistan ou de la Corée du Nord, que peut-on attendre du discours d'Emmanuel Macron ? 

Bruno Tertrais : Des quatre dossiers que vous mentionnez, le second est sans doute le plus important pour la France, et celui où Macron a déjà donné un coup d'accélérateur avec le sommet du G5 Sahel. Avec, en parallèle, une tentative remarquée de médiation sur la Libye entre les deux gouvernements rivaux du pays. Sur la Corée du Nord, la France est concernée notamment en tant que membre permanent du Conseil de sécurité et puissance nucléaire au sens du TNP. Elle est en pointe depuis longtemps, y compris pour mobiliser les Européens, et il n'y a pas eu de changement de ce côté. Sur la Syrie, c'est sans doute là que Macron est le plus attendu dans les semaines qui viennent. C'est un dossier sur lequel l'Elysée a annoncé un changement de pied, sur lequel le langage a évolué, mais pour l'instant ce n'est que de la rhétorique. Contrairement à ce qu'on dit certains commentateurs, il n'y a pas eu de vrai changement sur le fond. Dans la mesure où c'est un dossier important sur lequel Macron s'est avancé, c'est sans doute sur celui-ci que le président est le plus attendu.

Cyrille Bret : Le président Macron aura à cœur de théoriser ce qu’il pratique déjà, autrement dit le pragmatisme et le réalisme. Dans le cas de la Syrie, le passage de relai entre le président Hollande et le président Macron a marqué une inflexion de taille : le départ du président al-Assad n’est plus la condition sine qua non de la diplomatie française. D’abord la lutte contre le terrorisme djihadiste. Ensuite le changement de régime. C’est la prise en compte de la réalité du terrain. Cela pourra faire grincer quelques dents dans le corps diplomatique française mais le président Macron n’a plus le choix : sous-estimer la résilience du régime al-Assad épaulé par la Russie et l’Iran pourrait conduire à la marginalisation de la France pour l’après-guerre. Dans le cas de la Corée du Nord, la position de la présidence Macron sera elle aussi marqué au sceau du réalisme : face aux emportements américains, aux inquiétudes japonaises et à l’inertie chinoise, le président rappellera la position de raison d’un membre permanent du conseil de sécurité des Nations-Unies : une Corée nucléarisée, dotée de vecteurs intercontinentaux et réduite à l’agressivité régionale est un danger pour la sécurité collective. En conséquence, la voie diplomatique doit être développée.

Quels sont les points stratégiques qui marquent encore la "différence" de la France ?

Bruno Tertrais : Pour répondre à cette question, il faut avoir des points de référence. Les deux les plus logiques pour la France sont l'Allemagne et le Royaume-Uni. A la différence de la première, elle est une puissance militaire "interventionniste", une puissance nucléaire et un membre permanent du Conseil de sécurité. A la différence de la seconde, elle a placé son autonomie de décision et d'action vis-à-vis de Washington au coeur de son projet diplomatique. Et elle est sans doute aussi plus libre de ses mouvements qu'un Royaume-Uni dont la diplomatie va être engluée dans les enjeux du Brexit pour plusieurs années. Enfin, à la différence des deux, elle défend sa langue, promeut son usage à l'étranger, et souhaite maintenir ce qu'il est convenu d'appeler "l'exception culturelle" dans les échanges commerciaux internationaux.

Cyrille Bret : La voix de la France – désormais la voix de la présidence Macron – possède toujours une tonalité originale. Dans de nombreuses régions d’Europe et du monde, on caricature la France comme alignée sur l’Allemagne, les Etats-Unis et l’OTAN. Or, la France est aujourd’hui le principal Etat qui tient des positions fermes à la fois sur la lutte contre le réchauffement climatique, contre le terrorisme et pour la construction européenne ainsi que pour des efforts de défense cohérents avec les menaces actuelles. Par-delà les vicissitudes habituelles de popularité d’un président nouvellement élu, la conférence des ambassadeurs sera, pour la communauté internationale, l’occasion d’écouter cette voix particulière.

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