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Pourquoi l'Europe ferait bien de prendre Silvio Berlusconi au sérieux quand il menace la survie de l'euro
©Reuters

Eau qui dort

Le président de Forza Italia envisage de mettre en place une "monnaie parallèle" à la monnaie européenne pour que l'Italie puisse "retrouver sa souveraineté monétaire".

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Dans une interview donnée au journal "Libero Quotidiano", Silvio Berlusconi a avancé l'idée de la création d'une monnaie parallèle afin que l'Italie puisse "retrouver sa souveraineté monétaire". Alors que le parti de l'ancien Président du conseil, Forza Italia, tend à se rapprocher de la Ligue Du Nord de Matteo Salvini, dans quelle mesure une telle proposition pourrait-elle marquer une nouvelle étape dans ce processus de renouvellement de leur alliance ? Quelles seraient les chances de voir une coalition de droite emporter les élections générales de 2018 ?

Christophe Bouillaud : Depuis quelques bonnes années déjà, la Ligue du Nord s’est positionnée sur un créneau très eurosceptique. L’Union européenne en général et l’Euro en particulier sont à la source de tous les maux de l’Italie. Ce discours a encore été accentué depuis que Matteo Salvini a pris la tête du parti et qu’il a cherché à le positionner au cœur d’une alliance paneuropéenne des extrêmes-droites, avec par exemple le FN français et le FPÖ autrichien.  De leur côté, les héritiers de la tradition néofasciste italienne se reconnaissent principalement, tout au moins sur le plan électoral,  dans « Frères d’Italie » (Fratelli d’Italia) un parti, dirigé par une femme, Giorgia Meloni, qui a choisi lui aussi un positionnement eurosceptique. C’est là une rupture avec le virage europhile du leader des post-néofascistes des années 1990-2000, Gianfranco Fini, qui avait été l’un des « Constituants européens » de 2003-2005. Il ne reste du coup qu’une seule composante officiellement europhile dans l’alliance des droites, à savoir le parti de Silvio Berlusconi. ForzaItalia est en effet membre du Parti populaire européen (PPE). La proposition de double monnaie constitue donc un moyen de faire à nouveau l’alliance des droites qui avait porté au pouvoir Silvio Berlusconi en 1994, 2001 et 2008. De cette manière, on peut envisager un « programme commun » des droites italiennes : on promettrait de quitter l’Euro sans le quitter vraiment.

Cette manœuvre est d’autant plus importante pour l’union des droites que si l’on reste avec la loi électorale actuelle, soit « l’Italicum » tel que modifiée par une décision de la Cour constitutionnelle italienne, il y a tout intérêt à présenter une liste unique des droites pour espérer atteindre le seul des 40% des voix qui donnerait accès à la prime de majorité de 55% des sièges à la Chambre des députés – la question du Sénat resterait elle ouverte vu la divergence des lois électorales entre les deux Chambres. Mais cela donnerait l’avantage aux droites pour gouverner.

Par ailleurs, après des premiers ministres tous issus du centre-gauche depuis 2013 (Letta, Renzi, Gentiloni), il est logique que le balancier de l’opinion reparte nettement vers la droite. Le M5S est clairement en difficulté face à ce retour de la politique ordinaire des années 1990-2000. Une victoire de cette dernière est donc possible, alors qu’en 2013 c’est elle, la droite, qui avait le plus perdu.

Comment expliquer un tel positionnement de la part de la droite italienne ? Comment évolue le débat politique italien sur la question européenne ?

Le positionnement de plus en plus eurosceptique des droites italiennes n’est pas nouveau. Déjà au début des années 2000, c’était là une ligne de clivage entre électeurs de gauche et électeurs de droite. Cela s’accentue sur les dernières années en raison de deux phénomènes.

D’une part, la tradition centriste, démocrate-chrétienne, europhile par définition même, perd de plus en plus d’importance idéologique au sein des droites. Les nouveaux militants et élus des droites n’appartiennent pas du tout à cette tradition. D’ailleurs, une partie de ces centristes de filiation démocrate-chrétienne sont actuellement ralliés aux gouvernements dominés par le centre-gauche, lui-même dominé par cette même filiation démocrate-chrétienne. Il peut même y avoir désormais en Italie des chrétiens engagés en politique qui se déclarent contre cette Europe-là, de la même manière que leurs équivalents d’Europe de l’est.

D’autre part, les droites ont compris qu’elles peuvent profiter électoralement de leur tiédeur précoce sur l’Europe dans un contexte où l’économie et la société italienne stagnent depuis la fin des années 1990. Il n’est pas très difficile désormais d’établir, à tort ou à raison, un lien entre ces difficultés et l’appartenance du pays à la zone Euro. Silvio Berlusconi lors de sa campagne électorale de 2013 ne s’était pas gêné pour tenir des propos antiallemands et anti-Merkel. Cela revient périodiquement chez lui. De fait, la stagnation de l’Italie ne peut qu’encourager le recours à ce genre d’arguments anti-Bruxelles et anti-Berlin. Enfin, la crise des migrants en Méditerranée – où l’Italie se sent seule à affronter les problèmes – ne peut qu’encourager les succès d’un discours de plus en plus xénophobe. Ainsi les « tweets » de Matteo Salvini se situent à un niveau de radicalité dont nous n’avons pas idée de ce côté des Alpes. C’est le style Trump adapté au contexte italien en somme.

Alors que le PIB par habitant a stagné dans le pays depuis la création de l'euro, peut-on considérer que l'Europe néglige le risque que l'Italie représente pour la stabilité de l'ensemble ?

Oui, sans doute. Certes, d’une part, la politique monétaire de la BCE depuis 2012 a sans doute aidé l’Italie à ne pas emporter l’ensemble de la zone Euro dans sa chute. Et l’on voit bien ces derniers mois que la BCE et la Commission ne tiennent pas à provoquer une crise bancaire en Italie, et jouent donc avec les règles de « l’Union bancaire » pour limiter les risques en ce sens.

Mais, d’un autre côté, il n’y a eu aucune réflexion sérieuse au niveau européen sur la perte progressive de compétitivité de l’Italie depuis l’introduction de la parité fixe entre monnaies européennes, puis de l’Euro. Dans le cas italien, la stratégie de « dévaluation interne », engagée en 2011, semble en plus fonctionner très médiocrement. Vu de 2017, elle relance certes les exportations, mais pas l’économie en général. Surtout, personne ne veut admettre à Bruxelles que l’Italie souffre désormais de deux maux  qui menacent aussi ailleurs : la précarité de sa jeunesse et le sous-investissement chronique de l’Etat. A force de flexibiliser le marché du travail sous la pression de Bruxelles et de l’OCDE, les autorités italiennes des 30 dernières années ont réussi à faire de presque tous les jeunes Italien des travailleurs précaires jusqu’à un âge avancé, la quarantaine voire au-delà, avec la conséquence - inattendue ?-  que les gens ne s’installent plus dans la vie, qu’ils émigrent pour les plus doués, et qu’ils ne font presque plus d’enfants. Vivre chez la « mama » de petits boulots sans aucun droits ou presque, c’est sympa pour l’employeur qui peut ainsi éviter d’avoir à trop payer sa main d’œuvre, mais ce n’est pas très porteur d’avenir. De même, l’Etat italien fonctionne en austérité permanence depuis la fin des années 1980. Il a même un solde primaire positif, et il ne s’est pas trop endetté depuis 2007. Mais il a un peu oublié d’investir dans l’avenir – dans la recherche ou les universités par exemple.

Plus généralement, on voit mal comment l’Italie pourra s’en sortir avec une dette publique d’un aussi fort montant qu’elle ne peut pas faire fondre un peu par de l’inflation ou qu’elle ne peut espérer rembourser au moins partiellement par une augmentation de sa croissance potentielle. Sans jeunes et sans investissement, cela sera vraiment dur. L’exaspération face à cette si longue stagnation que connait le pays peut finir par être politisé par des acteurs plus enracinés dans le pays que le M5S, et cela peut effectivement réserver des surprises désagréables pour l’Europe.

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