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Les terroristes ont-ils besoin d’entendre que quoi qu’ils tentent, l’Occident restera de tradition judéo-chrétienne ?
©Reuters

Peine perdue

Les attentats de Catalogne et de Finlande viennent s'ajouter à la longue et sanglante liste de terres européennes frappées par le terrorisme islamiste. L'Occident apathique, ne sachant que répondre aux velléités expansionnistes de l'Islam, doit se demander s'il sait lui-même ce qu'il défend.

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely est philosophe et théologien.

Il est l'auteur de plusieurs livres dont La Mort interdite (J.-C. Lattès, 2001) ou Une vie pour se mettre au monde (Carnet Nord, 2010), La tentation de l'Homme-Dieu (Le Passeur Editeur, 2015).

 

 

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Alexandre del Valle

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle est un géopolitologue et essayiste franco-italien. Ancien éditorialiste (France SoirIl Liberal, etc.), il intervient dans des institutions patronales et européennes, et est chercheur associé au Cpfa (Center of Foreign and Political Affairs). Il a publié plusieurs essais en France et en Italie sur la faiblesse des démocraties, les guerres balkaniques, l'islamisme, la Turquie, la persécution des chrétiens, la Syrie et le terrorisme. 

Son dernier ouvrage, coécrit avec Jacques Soppelsa, Vers un choc global ? La mondialisation dangereuse, est paru en 2023 aux Editions de l'Artilleur. 

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Atlantico : Le "Calife" de l'Etat Islamique, Abu-Bakr al-Bagdadhi, avait déclaré en 2014 que l'Etat islamique s'étendrait jusqu'à Rome, indiquant par là une volonté de convertir le monde entier à l'Islam. Face à l'accumulation des attentats en Europe, l'Occident n'aurait-il pas intérêt à réaffirmer son identité chrétienne, en termes culturels et civilisationnels, afin de décourager l'adversaire, et de lui signifier l'impossibilité de la tâche qu'il se donne ?

Alexandre Del Valle : Je le pense. Il faut remonter pour comprendre cela à l'alliance qui unit extrême-gauche, politiquement correct et islamistes. Ce sont cette extrême-gauche et ce politiquement correct que l'on peut globalement définir comme les plus hostiles à la civilisation judéo-chrétienne ont laissé prospérer sur le sol occidental les forces islamistes parce qu'elles avaient un même ennemi : l'Occident. Votre question d'une certaine façon induit la réponse : si l'Occident arrivait à vaincre le totalitarisme rouge, l'idéologie communiste et tiers-mondiste qui continue à diaboliser la société occidentale et à valoriser tout ce qui ne l'est pas – l'extrême gauche ayant toujours été l'allié des forces qui détestent notre civilisation – nous aurions plus de facilité à gérer notre sécurité. Nous aurions plus de facilité à contrôler les flux migratoires, les juges pourraient plus facilement appliquer les lois, les politiques ne seraient pas systématiquement traités de racistes ou de fascistes lorsqu'ils veulent défendre leur civilisation. On se rappelle sur ce point du cas Guéant, diabolisé parce qu'il avait osé parler du choc des civilisations pour exprimer l'opposition de l'Occident et de l'Islam.

Bertrand Vergely :  Je crois que dans cette question, il importe de distinguer trois niveaux. 

1. Il faut d’abord rappeler une vérité. Quand on a une religion,  c’est-à-dire une relation à un être transcendant, et avec lui à une force spirituelle plus forte que la mort,  on a un principe de vie sur lequel s’appuyer, ce que n’a pas celui qui pense que, la vie n’ayant aucun sens, tout finit par s’abîmer dans la mort et le néant. Le désespoir fabrique des gens cyniques ou déprimés. Quand on nous explique qu’il rend sage parce qu’il est la lucidité même, ce n’est pas du désespoir, le propre du désespoir étant de ne croire en rien. Même pas dans la sagesse et la lucidité. Donc, ne pas avoir de religion n’est pas un point fort mais un point faible. 

2. Il convient ensuite de rappeler un fait. Le Coran respecte ceux qui ont une religion. En revanche, à maintes reprises comme dans les sourates 4 et 5, il appelle à tuer l’infidèle, rien n’étant plus grave à ses yeux que de ne pas croire en Dieu. Compte tenu de cela, il est certain que si nous avions une religion, nous nous ferions davantage respecter. Nous pourrions également davantage accueillir, deux êtres qui croient en Dieu ayant en commun le fait d’y croire. On s’en est aperçu lors des attentats contre Charlie hebdo. Si la France avait été un pays religieux jamais le blasphème et le fait d’insulter la religion de l’autre au nom de la liberté n’auraient été permis voire encouragés.  Il y aurait eu une retenue. En revendiquant le droit au blasphème et à l‘insulte en matière religieuse, la culture libertaire de la provocation a donné aux terroristes les arguments pour assassiner. 

3. Enfin, il y a la question politique. Dans le jeu des rapports de force aujourd’hui entre l’Occident et l’État islamique, affirmer l’identité chrétienne de l’Europe pourrait-il être efficace, notamment face à l’État islamique ? Un tel rappel serait assurément utile pour les jeunes Français qui ne savent plus d’où ils viennent. Il serait assurément également très utile politiquement et idéologiquement afin de montrer à ceux qui ne voient dans le christianisme que les croisades, l’inquisition et les guerres de religion que le christianisme c’est aussi le mont Saint Michel, Jean Sébastien Bach et Botticelli. En revanche, je pense que l’État islamiste se contrefiche de notre identité chrétienne. À ses yeux, étant chrétiens nous sommes des infidèles. Étant modernes nous ne sommes plus religieux depuis belle lurette. Enfin, étant décadents et dépravés dans nos mœurs du fait de la permissivité régnante, nous méritons de mourir, tuer un mécréant n’étant pas un meurtre mais un acte de purification. Dernier point, si d’aventure il était décidé de transformer la lutte contre le terrorisme en guerre de civilisations, on allumerait la guerre. Pour l’instant, nos politiques n’en veulent surtout pas et n’ont qu’une peur : que les prédictions de Samuel Huntington quant au choc des civilisations, se réalisent. Peut-être faudra-t-il un jour en arriver là. En attendant, le plus tard sera le mieux. 

Cependant, sommes-nous encore capable d'affirmer cette identité aujourd'hui ? Entre le politiquement correct, l'incapacité à parler de notions d'identité, la perte de valeurs, en quoi une telle affirmation est elle encore possible ? 

Alexandre Del Valle : On voit bien que ce qui nous empêche aujourd'hui de lutter contre le totalitarisme islamique, c'est l'influence dans nos rangs du totalitarisme rouge qui contrôle les médias, le système universitaire et une partie du système judiciaire. Il agit comme une force qui empêche de lutter contre l'ennemi islamiste et de préserver nos valeurs. La dernière revue créée par Daech s'appelle Rumia, qui symbolise l'objectif très important pour les islamistes de conquérir un jour la chrétienté. Il faut évidemment reconquérir Al Andalus, la perle de l'ancien califat perdue au profit des rois très catholiques, mais aussi prendre Rome et c'est un élément très important de la propagande de Daech et de nombreux islamistes : selon un hadith– une parole attribuée à Mahomet qui a valeur de texte sacré - très souvent cité par des islamistes, y compris les non-terroristes tel Qardawi des Frères Musulmans, après Constantinople, Rome sera prise et l'Europe sera islamisée. Cette idée est très présente dans toute la logique de l'islamisme mondial : on voit donc bien qu'il ne s'agit pas de cas de terroristes isolés mais que cela découle d'un mouvement mondial de néo-impérialiste. C'est un combat civilisaitionnel, et puisqu'il est pensé tel quel et que cette guerre est livrée non seulement par des terroristes mais aussi grâce à l'appui d'États tel l'Arabie Saoudite, le Pakistan ou d'association comme les Frères Musulmans. Face à une agression qui est le résultat d'un projet de révolution civilisationnelle revanchard, la réponse ne sera pas par la guerre mais la défense et le refus du vide. Le vide que nous produisons aujourd'hui dans la détestation de notre propre religion et de notre propre identité et est le meilleur allié des islamistes. Il nous manque aujourd'hui un projet civilisationnel comme. Nous devons mener cette politique des civilisations.

Bertrand Vergely :  Là encore, il importe de distinguer plusieurs niveaux de sens. Pour un certain nombre de chrétiens affirmer leur identité chrétienne ne pose aucun problème, ceux-ci étant parfaitement à l’aise avec cette identité comme avec le fait de l’affirmer dans notre postmodernité. En revanche, ce n’est pas le cas pour tous les chrétiens. Beaucoup d’entre eux, plus qu’on ne le croit,  se demandent comment être à la fois chrétiens et modernes, sans parvenir à trouver une solution satisfaisante. D’où le fait pour eux d’être, ce que Hegel appelle, des consciences malheureuses. Ce qui débouche sur des chrétiens honteux et timorés ou bien à l’inverse sur ceux que l’on appelle des gaucho-chrétiens, se voulant plus modernes que les modernes au nom de l’Évangile. 

Enfin, si affirmer une identité chrétienne a du sens pour un certain nombre, cela n’en a aucun pour un grand nombre de Français qui se reconnaissent dans une culture qui atout fait et qui fait encore tout pour en finir avec Dieu comme avec le christianisme,  ceux-ci incarnant le mal sur terre. Dans ce contexte, pourtant, on assiste à un paradoxe. Si les jeunes ignorent tout en matière de religion, ceux-ci sont curieusement passionnés dès qu’on leur en parle sans chercher à les convertir, simplement en présentant ce que le religieux peut être, afin de les informer. Quand tel est le cas, face à l’honnêteté intellectuelle et morale, le politiquement  correct vole en éclats et personne n’a peur d’entendre les mots identité ou valeurs. En ce sens, il n’est pas dit que, dans notre postmodernité, le christianisme bien enseigné n’ait pas un certain avenir. 

En quoi les droits de l'Homme, la démocratie libérale et la laïcité s'inscrivent-ils dans cet héritage judéo-chrétien ? En quoi réaffirmer cet héritage peut-il être une façon de s'opposer à cette menace ? 

Alexandre Del Valle : Vous mettez aujourd'hui le doigt sur le problème le plus important philosophiquement. On a trop souvent opposé la politique de civilisation à une politique libérale et universaliste, celle de la défense des droits de l'homme et de la sécurité. Il faut donc réconcilier les contraires. Ce qu'il faudrait, c'est gardé cet attachement aux valeurs qui ne sont pas que des valeurs chrétiennes mais aussi universelle. Et rappeler que nous ne sommes pas opposés aux valeurs universalistes. On peut être pour les droits de l'homme tout en étant turc ou africain. On peut l'être en étant asiatique, la Corée du Sud en est un excellent exemple en matière de démocratie constitutionnelle et de droits de l'homme.

Un Occidental peut ne pas être forcément démocratique, et il faut donc séparer les domaines. L'Occidental n'est donc pas qu'universaliste. Ce n'est pas parce que nous avons des valeurs entre autres qui sont universelles, en termes de démocratie et de droits de l'homme. Nous sommes aussi d'origine gréco-latine (droit romain, philosophie grecque). Nous sommes aussi comme le disait De Gaulle, des Européens, d'ethnie européenne blanche et chrétienne. Cela choque de dire cela aujourd'hui, mais De Gaulle lui-même l'affirmait. On peut accueillir d'autres minorités, on peut accueillir des gens qui ne soient pas des blancs judéo-chrétiens, mais nous restons globalement dans cette civilisation. Ce qui ne veut pas dire qu'il faille faire de l'universalisme un antagonisme aux racines chrétiennes de l'Europe. Ce que je veux dire c'est que la grande erreur de l'Occident moderne c'est d'avoir cru que puisqu'il était devenu universel, il n'était plus rien. C'est faux. On peut être pour des valeurs universelles tout en ayant des racines. Le meilleur exemple se trouve chez les Juifs. Les Juifs ont été à la source de grands mouvements de l'universalisme moderne, et pourtant restent très attachés à leurs racines, à l'histoire du peuple juif.

L'Occident fait une erreur énorme en se diluant, en s'ouvrant à tous, en s'ouvrant à des islamistes en contradiction totale avec nous-même. Nous devons réconcilier identité et universalité. C'est possible, c'est ce qu'à fait l'Europe depuis un certain temps. L'Europe comme projet politique a été pensée comme un projet indépendant porté par des chrétiens convaincus, Monet excepté. Ils pensaient que ce projet universaliste au niveau des valeurs était cependant limité à des peuples européens. Ce sont les années 1990 qui sont le point de départ d'une dérive totalement multiculturaliste et cosmopolite. On perd alors de vue le projet européen qui devient le projet mondialiste. D'où le projet stupide des années 2000 de faire rentrer la Turquie dans l'union européenne. C'était le fruit de cette confusion entre un projet européen identitaire et un projet mondialiste. 

Bertrand Vergely : Une fois encore, hiérarchisons les niveaux de sens. 

1. D’une façon générale, on ne peut pas dire que les droits de l’homme, la démocratie et la laïcité viennent du christianisme. Ce que le christianisme est venu apporter au monde c’est l’homme fondamental, cet homme étant l’homme spirituel qui change tout, de fond en comble quand on le rencontre, en apportant aux hommes que nous sommes ce que jamais aucune civilisation, aucune culture, aucune société ni vie sociale n’apportera. Pendant longtemps l’Europe a cru dans cet homme fondamental. Avant de ne plus y croire et de remplacer cet homme par l’homme historique et social que nous connaissons aujourd’hui et qui nous sert de modèle. Au XVIIème siècle, à travers la pensée bourgeoise, la culture cesse de croire en Dieu pour se mettre à croire en l’homme. La vie politique et économique remplace la vie religieuse et la laïcité la religion. C’est la raison pour laquelle on ne peut pas dire que les droits de l’homme, la démocratie et la laïcité sont issus du christianisme, ceux-ci ayant été pensés contre lui.

2. Cela dit, Parce qu’il a le souci de l’homme spirituel, le christianisme a le souci de l’homme concret. À ce titre il n’a rien contre le fait que les êtres humains puissent vivre libres, dans un monde prospère et qui, plus est, dans un monde où on ne s’étripe pas pour des raisons religieuses. L’homme peut-il se civiliser ? Tant mieux. Réjouissons nous. Vive ce qui civilise les hommes. D’autant que la civilisation s’avère être très spirituelle. À travers les arts et la culture. À travers le fait de faire excellemment  ce que l’on a à faire. 

3. Cette façon de vivre la civilisation peut-elle être un atout face à l’islamisme ? Sans aucun doute. Et c’est là le point fort de l’Europe. On vit bien en Europe. C’est même l’endroit du monde où l’on vit le mieux. D’où son attrait et le fait qu’elle est un rêve. À la longue, c’est cela qui a raison de la violence. Une chose décide de la politique comme de la civilisation : celles-ci sont-elles vivables ou pas ? À la longue c’est le vivable qui l’emporte. L’Europe a donc des raisons, malgré l’épreuve du terrorisme, de ne pas désespérer de son destin : elle a fait le choix d’un monde vivable. Ce qui est un bon choix. 

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