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Artistes : soutenir un candidat de droite est-il un suicide commercial ?
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Soutiens kamikazes

Mireille Mathieu, Faudel ou Doc Gynéco, autant d'artistes qui se sont engagés aux côtés de Nicolas Sarkozy lors de la campagne présidentielle de 2007. Un choix politique qui a nui à leurs carrières ?

Jean-Luc Mano

Jean-Luc Mano

Jean-Luc Mano est journaliste et conseiller en communication chez Only Conseil, dont il est le co-fondateur et le directeur associé.

Il anime un blog sur l'actualité des médias et a publié notamment Les Perles des politiques.

 

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Atlantico : En 2007, Faudel, Doc Gynéco, Mireille Mathieu ont soutenu Nicolas Sarkozy à l'élection présidentielle. Aujourd'hui leurs carrières respectives sont en difficulté. Peut-on dire que le soutien apporté au candidat de droite a précipité leur déclin ?

Je crois que l’on ne peut pas systématiser. Quand on est un artiste, il est périlleux de prendre position, dans une campagne électorale, à l’opposé de ce que son public pense qu’on doit et qu’on va faire. Les publics de Faudel et Doc Gynéco ont été stupéfaits de voir ces deux artistes s’engager aux côtés de Nicolas Sarkozy. De fait, ces deux artistes avaient un public massivement hostile à Nicolas Sarkozy. Ce choc-là peut provoquer des difficultés d'un point de vue commercial, mais en réalité un artiste indiscutablement installé, qui a un public structuré et soudé, conserve son public. Même s'il perd quelques personnes ça et là, il récupère ce public perdu ailleurs.

Cela fait des décennies que des grands artistes français amènent à voter pour des candidats de droite sans que ça leur porte ni préjudice, ni malédiction éternelle.

Cette année, c'est l'acteur Gérard Depardieu, qui après de nombreux déboires, a apporté publiquement son soutien à Nicolas Sarkozy. Il s'est d'ailleurs exprimé lors du meeting du Président-candidat à Villepinte et a été fortement critiqué pour cela. Quelles conséquences professionnelles cela peut-il avoir pour l'acteur ?


Les soutiens de Nicolas Sarkozy au meeting de Villepinte

Il peut y avoir des critiques acerbes dans les titres de presse ou les autres médias. Mais ce genre d’artiste a atteint un taux de notoriété et d’estime de la part de son public tellement important qu’une décision de cette nature ne peut fondamentalement changer le cours de leur carrière.

C’est le cas de Johnny Hallyday ; il est l’exemple absolu d'un artiste qui peut s’engager tout en conservant son public quel que soient les orientations politiques de ses publics.

Quant à Mireille Mathieu, si elle a perdu son public c’est parce qu’elle n'en avait déjà plus beaucoup en France, sa carrière se fait à l'étranger. De plus, on connait en moyenne l'âge de son public mais pas sa répartition politique !

Moins vous êtes populaire moins votre public est large, plus il est typé : il constitue une niche. Un artiste qui est sur un créneau si étroit n'a pas la liberté d'exprimer ses prises de position, car si sa niche se ferme, il n'a plus de public.

Et le procès se paye plus durement quand le transfert se fait de gauche à droite que l’inverse. Il y a dans la conscience collective, dans la presse et plus particulièrement dans la presse de l’actualité culturelle l'idée qu'un artiste est logiquement à gauche. On considère donc qu'il trahit quand il migre vers l'autre camps.

D'où vient cette idée que le milieu artistique doit être politiquement à gauche ?

Le monde de la culture a globalement des idéaux qui sont proches de la gauche. Si on admet l’idée que la droite représente l’ordre, alors les artistes sont de gauche car la création culturelle, la création artistique, le monde des artistes est un monde qui vit moins bien avec l’idée d’ordre que le reste de la population. Ce monde-là est de gauche en Europe et démocrate aux États-Unis.

En France, il faut donc du courage quand on est un artiste de droite, en particulier lorsqu'on n’est pas un artiste populaire donc pas assuré de son public. Car les milieux culturels sont assez rétifs à accueillir des artistes qui peuvent exprimer des idées qui ne sont pas dans une forme de pensée culturelle - si ce n’est unique - qui est majoritaire.

Est-il antinomique de parler d'artiste de droite?

Non, c'est possible ! Il y a des écrivains des artistes, des comédiens, des chanteurs qui sont de droite et l’ont affiché mais c’est un engagement qui est plus difficile à affirmer que d’être de gauche ce qui semble naturel dans le milieu.

Il y a 40 ans être de gauche était dangereux pour un artiste. Ils n’avaient pas d’accès à la télévision, les chansons étaient censurées à la radio et à la télé sur ordre du pouvoir. Il y a toujours eu des artistes proches du parti communiste ou de la gauche radicale, mais ces artistes estampillés « gauche » étaient peu nombreux, ils étaient une dizaine : on avait l'anarchiste Léo Ferré, le communiste Jean Ferrat etc. Aujourd’hui les choses ont évolué. Il s'agit désormais des artistes de droite qui sont un peu pénalisé et c'est d'ailleurs pour cela qu'ils s'engagent un peu moins.


Quand on n'interdira plus mes chansons, Jean Ferrat

A quel moment la tendance qui visait à brimer les artistes de gauche a t-elle basculé ?

La gouvernance de Valéry Giscard d'Estaing a constitué le moment de la bascule. Par sa personnalité, il a mobilisé les intellectuels et les artistes de gauche. Mais irrités par le mode de gouvernance de Valéry Giscard d'Estaing, les artistes se sont par la suite retournés vers les socialistes et ont soutenu les socio-démocrates ce qui était très rare à l'époque.

En 1981, 80% des artistes français qui s’expriment sont en faveur de la gauche. François Mitterrand était un homme de grande culture, qui a toujours défendu les intellectuels. Il a mis en place Jack Lang qui a beaucoup compté pour les artistes de ce pays qui a créé la Fête de la Musique et a fait beaucoup en termes de symboles. C'est donc naturellement que François Mitterrand a fédéré le monde de la culture autour de lui pour les deux élections.

Lionel Jospin ne soulevait pas les foules. De nombreuses personnes ont appelé à voter pour Jacques Chirac en 1995 car elles avaient envie d’alternance.

En 2002, tous les artistes étaient contre le Front National et donc pour Jacques Chirac de manière obligatoire.

Et en 2007, les artistes se sont répartis assez également entre Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy. Mais le succès de Nicolas Sarkozy en 2007 est dans le mercato : il a réussi à rallier des gens qui traditionnellement étaient à gauche. Il montrait ainsi qu'il allait au delà de la droite et qu’il était l’objet de rassemblement. Il n'avait pas une cote formidable dans les banlieues donc Faudel et Doc Gynéco l'aidaient à ne plus passer pour le fasciste dans les banlieues que décrivait la gauche.

Ils se sont donc ainsi commercialement suicidés ?

Il s'agit plutôt d'une prise de risque que d'un suicide. Leur public ne leur a pas pardonné ce moment qu'ils ont vécu comme une trahison. C'est un public assez entier et même sectaire car quand on aime quelqu’un pour ce qu’il représente dans le milieu artistique c’est absurde de le sanctionner pour une prise de position politique.

Propos recueillis par Axelle Ewagnignon

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