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Pourquoi la remontée de l’euro est insoutenable pour les pays de la zone euro... à l’exception de l’Allemagne
©Capture écran France TV

Ca monte, ça monte

Depuis la fin de l'année 2016, la valeur de l'euro a progressé de près de 15%, faisant passer la monnaie unique de 1.04 à un seuil proche de 1.18 USD ce 9 août.

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot est économiste et chercheur associé à l’IRIS. Il se consacre aux défis du développement technologique, de la stratégie commerciale et de l’équilibre monétaire de l’Europe en particulier.

Il a poursuivi une carrière d’économiste de marché dans le secteur financier et d’expert économique sur l’Europe et les marchés émergents pour divers think tanks. Il a travaillé sur un éventail de secteurs industriels, notamment l’électronique, l’énergie, l’aérospatiale et la santé ainsi que sur la stratégie technologique des grandes puissances dans ces domaines.

Il est ingénieur de l’Institut supérieur de l’aéronautique et de l’espace (ISAE-Supaéro), diplômé d’un master de l’Ecole d’économie de Toulouse, et docteur de l’Ecole des Hautes études en sciences sociales (EHESS).

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Atlantico : Quelles sont les causes de cette hausse, et quelles en sont les conséquences pour l'économie de la France, mais également pour celle de la zone euro ?

Rémi Bourgeot : La cause de cette hausse réside d’abord dans la faiblesse du taux de change de l’euro au regard du modèle de surplus commerciaux tous azimuts qui se développe dans le contexte de ce que l’on pourrait nommer « étalon Euromark » (ou pourquoi pas « D-Standard » dans la langue de Goethe et de Schäuble).

La BCE n’a concrètement pris le chemin d’une politique véritablement non-conventionnelle qu’en 2014. Quand en juillet 2012, Draghi suscite l’extase des acteurs de marché avec son discours de soutien à l’euro, son action est purement rhétorique : il évoque des achats illimités pour causer l’effondrement des taux d’intérêt des pays dits « périphériques », mais rien n’est véritablement mis en place. Cela permet effectivement d’abaisser les taux d’emprunt des Etats, mais simultanément cela fait violement rebondir l’euro de niveaux autour de 1.20 contre le dollar vers près de 1.40 au premier semestre 2014.

Lorsque la BCE annonce le recours à des taux négatifs sur les dépôts des banques en 2014 puis son intention de mettre en place un programme d’achat de dette pour contrer les tendances déflationnistes, le taux de change de l’euro décroche brutalement et quasi-continûment pour atteindre en 2015 un point bas autour de 1.05 (ensuite revisité fin 2016). Pourquoi l’euro avait-il pu rebondir précédemment sur la base d’assurances purement verbales de Mario Draghi ? Parce que la zone euro, sur la base du modèle ultra-excédentaire allemand, voit ses excédents commerciaux croître depuis la crise, du fait de l’abaissement des coûts salariaux dans tous les pays frappés par la crise et des politiques d’austérité.

Le début d’annonce de normalisation de la politique monétaire par Draghi au cours des derniers mois a déclenché cette réappréciation du taux de change de l’euro. La sortie de récession après le pic de la crise de l’euro s’était fait alors que le taux de change de l’euro était largement plus élevé. Néanmoins la dévaluation massive orchestrée par la BCE, au moyen d’achats de dette massifs, a permis de donner un support supplémentaire à ce rebond de la conjoncture. La remontée de l’euro par rapport au dollar fort de Janet Yellen pénalise les exportations vers l’extérieur de la zone euro de la France et des autres pays. Mais plus encore que l’impact direct sur la croissance, cette remontée risque d’affecter l’inflation à la baisse alors que le QE de la BCE avait pour objectif de sortir la zone des tendances déflationnistes qui la traversent.

Quels sont les pays les plus touchés par ce mouvement ? Existe-t-il une hiérarchie des pays en fonction de leur structure économique ?

Alors que depuis la crise la quasi-totalité des pays de la zone euro (hors France) se convertissent rapidement à un modèle excédentaire sur la base de l’abaissement des coûts salariaux, le rebond de l’euro pénalise cette option. Il faut néanmoins garder à l’esprit que la transition vers une croissance fondée sur les exportations repose aussi sur les exportations au sein de la zone euro. Dans le même temps, l’Allemagne a, depuis le début de la décennie et la crise, de plus en plus déployé ses excédents commerciaux vers des pays hors Europe.

Pour la France, ce mouvement de l’euro pénalise les grands secteurs exportateurs traditionnels, mais la croissance du pays au cours des dernières années n’a pas reposé, contrairement aux pays « périphériques » sur une reconfiguration majeure des exportations. Les conséquences pour la France ne seront donc pas de même nature, et peut-être moins visibles, que pour les meilleurs élèves de la Commission européenne et du Bundesfinanzministerium. En ce qui concerne l’Allemagne, qui a connu depuis la crise une forte croissance de ses exportations hors Europe, la hausse de l’euro limite cette dynamique, d’autant plus dans un contexte de fragilité parmi ses cibles d’exportations comme la Chine. L’excédent commercial allemand est parfaitement démesuré, donc la hausse de l’euro va plutôt, dans le cas de l’Allemagne, dans le sens d’un rééquilibrage. Cependant, la croissance et l’emploi allemand repose précisément sur ce modèle extrêmement déséquilibré, et le rééquilibrage, même très partiel, peut donc être compliqué.

Dans quelle mesure la poursuite de ce mouvement pourrait-elle "contrer" l'amélioration de la conjoncture économique européenne ? 

Cela dépendra naturellement de l’ampleur du phénomène d’appréciation. Si l’on se concentre, à l’ancienne, sur la balance commerciale, la hausse de l’euro devrait se poursuivre pour contrer cette transition vers un modèle ultra-exportateur. Cette dynamique présente néanmoins une certaine fragilité, étant donnée les failles qui continuent de traverser la zone euro. Les débats très tendus sur la succession de Draghi ne vont pas manquer d’influencer le taux de change au cours des deux prochaines années. Dans tous les cas, l’Etat allemand semble déterminer à peser de tout son poids en faveur d’une normalisation de la politique de la BCE, quelle que soit l’ampleur du rebond de l’euro. Gardons à l’esprit que pour l’Allemagne, l’euro fort signifie aussi des importations moins chères depuis son hinterland manufacturier qu’est devenue l’Europe centrale.

L’affaiblissement de l’inflation par l’appréciation du taux de change pourrait compliquer le processus de normalisation monétaire et perturber les tractations européennes dans un sens défavorables à l’Allemagne. A partir du moment où il est plus ou moins acté que la BCE a enterré l’approche  de Jean-Claude Trichet, on peut penser que le phénomène d’appréciation de l’euro connaîtra des limitations intrinsèques.

Alors que les élites européennes s’adonnent à l’euphorie depuis l’élection d’Emmanuel Macron, la réalité reste celle d’une absence de coordination économique entre l’Allemagne et le reste de la zone. D’un côté, la ligne allemande alimente le rebond de l’euro. De l’autre, l’impasse politique qu’elle illustre reste le principal facteur de risque qui affecte l’euro et peut limiter à plus long terme le rebond du taux de change et son impact économique.

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