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Convaincre Angela Merkel de bouger : quelles chances de succès pour la stratégie déployée par Emmanuel Macron vis à vis de l’Allemagne ?
©Tobias SCHWARZ AFP

France-Allemagne

L'amorce d'un rééquilibrage franco-allemand? Travaillons à la réinsertion de la zone euro dans le marché mondial plutôt qu'à l'instauration d'une nouvelle couche de bureaucratie européenne

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Le nouveau président de la République donne une interview à Ouest France, qui paraît aussi en langue allemande dans des journaux régionaux. Un Conseil des ministres franco-allemand se tient, suivi d'une conférence de presse commune de la chancelière allemande et du président français. Des annonces sont faites concernant l'éducation ou la défense. Mais il semble que le plus important soit le débat lancé par Emmanuel Macron pour proposer un nouveau pacte politique et budgétaire. Le contenu en est connu: en échange de l'effort fait par les partenaires de l'Allemagne sur leur budget, Berlin accepterait la création d'un busget de la zone euro, d'un parlement votant ce budget; surtout, ce budget permettrait que les surplus commerciaux allemands soient réinvestis dans l'économie européenne; on prononce même le mot tabou de transferts financiers au sein de la zone euro, comme il existe des transferts financiers entre la Bavière et les Länder plus pauvres d'Allemagne.

Madame Merkel, dans la conférence de presse commune, n'a pas dit non mais elle est loin d'avoir dit oui. Il ne s'agit pas seulement de prudence avant les élections parlementaires allemandes de septembre. On touche en fait au fond de la politique européenne menée depuis qu'a été mise en place la monnaie unique. Emmanuel Macron va loin: il affirme, ce qui est exact, que nous n'avons pas affaire à une véritable force de l'économie allemande, depuis une dizaine d'années, mais plutôt à une faiblesse de l'économie des autres pays. C'est parfaitement vrai dans la mesure où la part du commerce extérieur allemand avec la zone euro a augmenté consécutivement à l'introduction de la monnaie unique. 

Tout se passe comme si l'Allemagne avait mis en place une zone protégée, garantissant environ 40% de ses exportations, longtemps dotée d'un pouvoir d'achat considérable, tant il est vrai que l'euro est sous-évalué pour l'Allemagne et surévalué pour la France et l'Europe du Sud. Ce système a fonctionné moins de dix ans, en gros jusqu'à la crise des subprimes. Puis l'Europe est entrée en paralysie progressive: les banques allemandes ont prêté une partie des surplus commerciaux accumulés pour que le reste de l'Europe puisse continuer à acheter le "Made in Germany" (en fait fabriqué en Europe orientale ou en Chine mais assemblé en Allemagne). En échange de ces transferts bancaires, les pays d'Europe concernés se sont engagés à réduire leurs déficits. Dans le cas de la Grèce, cela a très mal tourné; mais notre voisin balkanique n'est pas seul en cause: la France et l'Europe du sud tout entières sont menacées d'une asphyxie lente de leurs économies. 

Emmanuel Macron a le mérite de désigner le problème. Mais on est encore loin du point où tout aura été mis sur la table. Partons des mesures proposées: le président français dit à l'Allemagne, en substance, "nous allons faire plus d'efforts budgétaires et, en échange, vous allez transférer plus de vos surplus vers nos économies".  Combien? Selon quels critères? Puisqu'on parle d'un parlement de la zone euro issu du Parlement européen, quelle sera la légitimité des décisions prises par cette assemblée dont les représentants seront très loin, géographiquement mais aussi psychologiquement, de la réalité des populations concernées par ces redistributions ? Qui jugera de l'adéquation entre transferts et besoins? Quels seront les mécanismes de contrôle du processus? On nous parle d'un ministre des Finances de la zone euro? De quelle administration disposera-t-il? Si on la crée, qui en contrôlera l'expansion, tant il est vrai qu'il faudra contrôler localement ce qui aura été décidé à Bruxelles? 

L'idée qu'il y a quelque chose de répréhensible à l'accumulation des surplus commerciaux remonte au moins à Keynes. Et depuis le grand économiste britannique, certains s'ingénient à imaginer des systèmes top down de réinvestissement des dits surplus.  Au lieu de se demander pourquoi l'équilibre du marché ne fonctionne pas. 

Dans le cas de la zone euro, la réponse est à la fois simple et difficile à entendre, puisqu'il s'agit de l'essentiel: la monnaie européenne ne fonctionne pas bien. Une fois dit cela, on peut avoir un débat entre ceux qui penseront qu'il est possible de la faire marcher autrement et des eurosceptiques plus radicaux. Rien dans les traités qui fondent la monnaie unique, ne s'oppose à ce que la zone euro se dote d'une politique de change active pour pallier les turbulences monétaires mondiales - ce que certains préfèrent appeler "la guerre des monnaies". Effectivement, il semble bien que ce puisse être une question supplémentaire à poser à Madame Merkel: l'Allemagne est-elle prête à avoir une politique de change active, agressive même, permettant d'écouler mieux les produits européens (y compris allemands)? La mise en oeuvre d'une telle politique demanderait peu de changements. Et on aurait un double effet de relance des économies de la zone euro par augmentation des ressources fiscales et de rééquilibrage des échanges au sein de la zone entre l'Allemagne et ses partenaires. Le marché pourrait alors fonctionner à nouveau et sa régulation serait plus sûre que tous les mécanismes administratifs que semble impliquer le plan présenté par le président français. 

Le refus allemand d'avoir une politique de change active empêche la zone euro de participer pleinement au marché mondial. L'Allemagne s'en tire provisoirement car l'euro est pour elle un mark sous-évalué, ce qui lui garantit l'écoulement d'une partie de ses exportations dans une zone captive. Ce système a marché très bien entre 2001 et 2008. Depuis lors il est menacé par l'étiolement économique des partenaires de l'Allemagne, à commencer par la France.  Madame Merkel sait combien la situation est précaire et elle accepte d'entrouvrir la porte à la discussion car il y va de l'intérêt à long terme de son pays. La France a mis le pied dans la porte. Mais il ne va pas falloir en rester là. 
Surtout, on aurait bien plus confiance - y compris les citoyens allemands - dans l'avenir de la discussion si le côté français réfléchissait aux moyens de réinsérer la zone euro dans le marché mondial, au lieu de proposer de rajouter une couche de technocratie européenne. 

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