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Macron au Congrès : pour une transformation profonde du pays... mais au nom de quelle philosophie politique ?
©ERIC FEFERBERG / AFP

Fixer le cap

Emmanuel Macron a fait preuve de rationalisme au sens plein du terme : rationalisme des fins comme des moyens. Mais son discours de la méthode peut vite atteindre ses limites...

Eric Deschavanne

Eric Deschavanne

Eric Deschavanne est professeur de philosophie.

A 48 ans, il est actuellement membre du Conseil d’analyse de la société et chargé de cours à l’université Paris IV et a récemment publié Le deuxième
humanisme – Introduction à la pensée de Luc Ferry
(Germina, 2010). Il est également l’auteur, avec Pierre-Henri Tavoillot, de Philosophie des âges de la vie (Grasset, 2007).

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Atlantico : que penser de la definition du progressisme proposée par Emmanuel Macron au Congrès? Quelle vision du progressisme découle de ce discours?

Eric Deschavanne : Je caractériserais ce progressisme par trois traits, en allant du plus convenu au plus singulier. Il s'agit d'abord d'une posture politique, dont Emmanuel Macron donne la formule en parlant d'une "action résolue en faveur du meilleur" ou d'une "éthique de l'action et de la responsabilité partagée". C'est une posture convenue quand on est au pouvoir, qui consiste à valoriser la résolution, l'optimisme et la confiance en incitant chacun à surmonter le découragement, le scepticime ou le cynisme. Dans le cas d'Emmanuel Macron, la posture est crédible car elle correspond à la rhétorique du candidat qu'il fut durant la campagne présidentielle.
Le deuxième trait est constitué par une volonté d'articuler l'idéalisme des principes et la lucidité sur le réel. Emmanuel Macron a évoqué au début de son discours le "vice" que représente à ses yeux "le déni de réalité", et il a terminé par l'évocation d'un "principe d'effectivité" qu'il oppose à la recherche d'une efficacité pour l'efficacité qui serait détachée des fins humanistes de l'action politique. Le "progressisme" d'Emmanuel Macron n'est pas un idéalisme aveugle au réel, ni un "panglossisme" qui ferait l'éloge de la mondialisation heureuse ou du progrès vers l'égalité en niant les dégâts du libéralisme économique, le déclin français et les fractures sociales. Emmanuel Macron défend l'idée d'un progrès "à petits pas" qui résulte de la confrontation avec ces difficultés et de la réforme des moyens d'agir. Son projet était en un sens le plus "conservateur" de ceux proposés par les principaux candidats à l'élection présidentielle, le projet de la moindre rupture avec la réalité sociale, économique et politique. L'ambition d'Emmanuel Macron porte sur les moyens plus que sur les fins, et vise à surmonter l'abîme qui sépare moyens et fins.
Troisième trait : sur le plan idéologique, le progressisme revendiqué d'Emmanuel Macron ambitionne de réconcilier l'idéal de liberté et l'idéal d'égalité : cela correspond à ce qu'on nomme "liberalism" aux  États-Unis, c'est-à-dire à cette "culture libérale, ouverte et généreuse" dont a parlé le Président, qui entend d'une part libérer les initiatives et les ambitions, et d'autre part réaliser autant que possible l'égalité des chances par la redistribution, l'éducation, la formation, la destruction des rentes. Le progressisme d'Emmanuel Macron est donc sur le plan idéologique l'instrument d'une "triangulation" politique qui vise à priver la droite et la gauche de leur oxygène idéologique - la critique de l'égalitarisme pour l'une, de l'ambition et de la réussite individuelles pour l'autre : "Je refuse de choisir entre l'ambition et l'esprit de justice" a déclaré Emmanuel Macron à l'occasion de son discours. L'égalité et la protection sociale d'une part, la liberté, la dérégulation, la valorisation de l'intelligence et de l'excellence d'autre part doivent pouvoir être conciliées. Telle est du moins la promesse de ce progressisme.

Dans son discours devant le Congrès, ce 3 juillet, Emmanuel Macron a volontairement mis l'accent sur la "méthode" au travers de différentes propositions de réformes. Dans quelle mesure cet accent mis sur la méthode masque t il le projet politique lui même? A vouloir répondre à la question "comment" le Président a t il négligé le "pour quoi faire"?

Il s'agissait en effet d'un "discours de la méthode". Le discours était à cet égard interessant en ce sens qu'il ne cédait pas trop ni à la rhétorique éthérée sur les valeurs ni aux effets d'annonce attendus par les médias. Emmanuel Macron a proposé une théorie générale de l'action, de la réforme de la réforme, de la réforme de l'État et des moyens de l'action politique. C'était une manière de dire que ce qui fait problème n'est pas le "pour quoi" (les fins) mais le "comment" (les moyens de l'efficacité). Il ne prétend pas à l'originalité sur les fins : les idéaux sont consensuels (liberté, égalité et fraternité), et les buts politiques (les fameuses "réformes structurelles") sont au programme de la gauche et de la droite de gouvernement depuis des lustres. La seule critique adressée (implicitement) par Emmanuel Macron à ses prédecesseur a consisté exclusivement dans la dénonciation de l'inefficacité de l'action politique : il a évoqué la nécessité de sortir des "années immobiles" et des "années agitées" au nom de la necessité de l'action efficace.  

Emmanuel Macron est régulièrement présenté comme le candidat du cercle de la raison. Comment ce rationnalisme s'est il exprimé dans ce discours, et quelle place laisse t il à l'opposition ? Le rationnalisme d'Emmanuel Macron pose t il la question du débat démocratique?

Le cercle de la raison est défini par l'acceptation des contraintes imposées par la réalité. Le progressisme, ou l'idéalisme, d'Emmanuel Macron est à cet égard un réalisme. C'est aussi un rationalisme au sens plein du terme : rationalisme des fins (la référence à l'idéal des Lumières et à "l'intelligence française") et des moyen (le réalisme et le culte de l'action efficace). Il met ainsi l'opposition de droite au défi : soit elle renonce à elle-même afin de mieux pouvoir s'opposer de manière systématique, soit elle adhère à l'idéal qui était le sien, qui est aujourd'hui celui d'Emmanuel Macron, et elle se doit en conséquence d'être "constructive". Lors de son discours, Emmanuel Macron a fait allusion aux "forces adverses" qui constitueront la véritable opposition à ses yeux : il s'agit évidemment des oppositions "populistes", celles qui refusent "le cercle de la raison". Il n'y aura pas disparition du débat démocratique, mais il devrait y avoir deux débats qui se superposent: celui qui, prenant au sérieux les critères de l'action efficace d'après lesquels le président veut être évalué, découlera du discours critique sur le détail des mesures gouvernementales; celui qui résultera des oppositions plus radicales prônant une "autre politique". Le problème, pour la droite de gouvernement, proviendra du fait que le débat animé par les oppositions populistes sera assurément celui qui provoquera le plus de tintamare médiatique.


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