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Faites-vous partie des Français qui vont effectivement payer la facture du trou budgétaire laissé par le duo Hollande-Sapin (ou de ceux qui en ont bénéficié...) ?
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Inégalités fiscales

La Cour des comptes pointe, dans son dernier rapport, des insincérités budgétaires. Et même si le gouvernement se refuse à un discours de "sang et de larmes", il faudra bien que quelqu'un paye cette mauvaise gestion du précédent quinquennat...

Philippe Crevel

Philippe Crevel

Philippe Crevel est économiste, directeur du Cercle de l’Épargne et directeur associé de Lorello Ecodata, société d'études et de conseils en stratégies économiques.

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Jean-Yves Archer

Jean-Yves Archer

Jean-Yves ARCHER est économiste, membre de la SEP (Société d’Économie Politique), profession libérale depuis 34 ans et ancien de l’ENA

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Atlantico : Dans son rapport du 29 juin, la Cour des comptes a indiqué : "La trajectoire financière 2017-2020 présente de nombreux biais de construction qui affectent sa sincérité et elle ne paraît pas pouvoir être respectée. En 2017, sans mesures fortes de redressement, le déficit public dépasserait l’objectif de 0,4 point de PIB, pour atteindre 3,2 points de PIB ; en 2018 et au-delà, un effort d’économies sans précédent serait nécessaire pour respecter la trajectoire du Programme de stabilité". Le gouvernement d'Edouard Philippe a d'ores et déjà pu annoncer que le budget 2017 serait "tenu", et ce, sans passer par des hausses d'impôts, pourtant, et même si le gouvernement se refuse à un discours de "sang et de larmes", il faudra bien que "quelqu'un paye"... Dès lors, quelles sont les pistes de réduction des dépenses que pourraient choisir le gouvernement avec le plus de probabilité ? Qui pourraient être les payeurs ?

Jean-Yves Archer : La Cour des comptes est une institution et à ce titre, je respecte son rayonnement autant que les magistrats qui la composent. Ceci étant rappelé, je ne partage pas du tout la formulation que votre question a le réflexe de rappeler à vos lectrices et lecteurs. Non, il ne s'agit pas de "biais de construction" qui ont affecté la sincérité du budget pour 2017. L'élaboration – donc la construction – a été réalisée par des fonctionnaires d'Etat que l'on peut qualifier d'agiles et de loyaux à la chose publique. Ce sont des arbitrages politiques ultérieurs (et hiérarchiques) donc en clair des "sapinades" qui ont voilé la roue de la vérité des comptes.

Inutile de perdre son temps à stigmatiser les bureaux de Bercy là où ce sont bien les pitreries dommageables du tandem Sapin – Hollande qui ont induit un double mécanisme pervers : sous-estimation des dépenses et exagération des recettes anticipées. Comme cela ne suffisait pas, ils ont même rajouté de la cavalerie budgétaire : terme repris il y a 3 jours par l'économiste Mathilde Lemoine alors même qu'elle est membre du Haut Conseil des Finances Publiques que préside es-qualité le premier président de la Cour des comptes, Monsieur Didier Migaud.

Une chose est acquise : tout ceci était prévisible. A meilleure preuve, mon cri d'alarme formulé dès fin octobre 2016 où je parlais de "cadeau empoisonné" de François Hollande.

Aujourd'hui, nous sommes face à des choix. Le gouvernement d'Edouard Philippe prétend vouloir éviter le retour du matraquage fiscal, ce qui est une affirmation que seul l'avenir pourra venir confirmer. Il y a toujours dans notre pays un décalage entre les feuillets lus par un politique depuis un beau pupitre et la réalité sonnante et trébuchante de nos avis d'imposition.

Concrètement, il va s'agir de procéder par coups de rabots et par recours à la procédure de gel des crédits. Or soyons ensemble deux minutes un peu pragmatiques. Si ces crédits ont été votés par le Parlement et qu'ils portaient sens, il est donc préjudiciable de leur couper le cou. C'est une politique aberrante de "stop & go" qui rend l'action publique bien stérile. Demandez aux gens de Dassault la part de surcoûts directement imputables aux commandes différées du Rafale depuis une décennie. Même remarque pour la liaison ferroviaire Lyon – Turin.

Cette politique à la petite semaine va permettre de glaner les 10 milliards qui manquent à l'appel tandis que notre déficit budgété est de 72 milliards ce qui suppose une lourde pelle d'endettement. On parle, pour des raisons d'exigences européennes, de la règle des 3% du PIB mais on oublie de nous rappeler que 81 milliards de déficit rapportés à 420 milliards de recettes fiscales d'Etat constitue bel et bien une impasse de 18%. Quand l'Etat dépense 120, il ne perçoit que 100.

Depuis 1974, comme le rappelle régulièrement le sémillant Pierre Christian Taittinger, la France n'a pas été capable de présenter un budget en excédent. Voilà de quoi nous inviter d'urgence à des réformes structurelles sur l'organisation publique (multiplication des structures interministérielles, coût de la démocratie et nombre d'élus, etc.) et sur le périmètre de la sphère publique. Il y avait près d'un million de fonctionnaires en moins lorsque Jacques Chirac est entré à l'Elysée en 1995 : était-on sous-administré ?

Faute d'une réflexion collective, démocratique et posée à la suédoise ou selon l'exemple canadien, la France de 2018 risque encore de faire payer "ceux qui ont de quoi" pour reprendre le mot fameux de François Mitterrand (1993).

Il est probable que la disette budgétaire n'affecte pas les ministère régaliens (Justice, Intérieur, Armées) : pour le reste, il va régner une ambiance de sauve-qui-peut guère propice à la motivation des équipes. Or la démotivation des fonctionnaires finit par avoir un coût. Il faudrait mieux réinstaurer le jour de carence et réformer les régimes spéciaux de retraite que de repartir sur la question du gel du point d'indice. Pourquoi ? Parce que des stratégies de contournement sont mises en œuvre dans le public par une politique inflationniste de promotions (via le GVT : glissement vieillissement technicité) qui annule les bénéfices escomptés de la rigueur !

Quant au secteur privé, nul doute : il ne sera pas épargné. Si l'embellie conjoncturelle se précise (voir note de l'Insee parlant de "croissance solide" ), l'Etat peut tabler sur 3 à 4 milliards de recettes fiscales additionnelles. Autrement, il faudra que le privé paye le reliquat que l'Etat n'aura pas réussi à trouver dans ses lignes comptables.

Philippe Crevel : Cet audit des finances publiques est sans surprise. Nous sommes dans un jeu très convenu. Le nouveau pouvoir demande à connaître l’état financier de la France. La Cour des comptes en indiquant que les objectifs de déficit ne seront pas respectés est dans son rôle. Ce jeu est une coutume pratiqué par tous les nouveaux Présidents depuis 1981. Il est de bon ton de discréditer ses prédécesseurs surtout quand après une campagne il est nécessaire de faire le tri au sein d’un nombre de promesses pédagogiques.

Emmanuel Macron sait que son programme est empreint d’une contradiction. Comment réduire la taxe d’habitation, comment redonner du pouvoir d’achat aux actifs, comment diminuer la fiscalité sur le patrimoine, tout en respectant le programme de réduction des déficits publics transmis à Bruxelles et tout en étant flou sur les économies budgétaires ? Une véritable quadrature du Cercle. 

Le Gouvernement semble avoir déjà commencé son opération de lessivage du programme en reportant la réforme du CICE, celle de l’ISF et en décidant le gel du point de la fonction publique. L’exonération de la taxe d’habitation pour 80 % des redevables serait étalée dans le temps.

Parmi les autres pistes possibles, il faut se référer au document de la Cour des Comptes. Sans nul doute, de nombreuses propositions ne passeront jamais le cap du rapport mais elles ont l’avantage de montrer la voie à suivre.

La Cour suggère de revaloriser différemment les trois fonctions publiques et de désindexer les primes et indemnités. Cela constitue sans nul doute une solution. Il faudrait surtout abandonner le statut de la fonction publique qui est devenu obsolète. Les augmentations dans les fonctions publiques devraient mieux tenir compte des gains de productivité, de la qualité des services, etc.

La Cour demande également la suppression du supplément familial de traitement (1,5 milliard), des majorations et indemnités outre-mer (2,2 milliards) et la limitation de l’indemnité de résidence à la seule région parisienne. Aujourd’hui, les indemnités données en outre-mer aboutissent à renchérir le coût de l’immobilier au sein des territoires. Elles créent de plus de la frustration alimentant les discours indépendantistes. Pourquoi un métropolitain gagne plus qu’un local pour le même travail ?

Autre bonne mesure, le retour dès 2018 au non-remplacement d’un départ à la retraite sur deux (baisse de 20.000 équivalents temps plein travaillé) économiserait 600 millions par an à l’Etat. La  stabilisation des fonctions publiques territoriale et hospitalière pourrait réduire les dépenses de 1,3 milliard d’euros. Une hausse de 1 % du temps de travail provoquerait une économie de 930 millions d’euros avec suppression d’un nombre de postes équivalent.

La Cour des comptes invite également le Gouvernement à limiter le nombre de niches fiscales dont le coût total des niches fiscales est évalué à 86 milliards d’euros. Vaste chantier qui passe par une réforme de l’impôt sur le revenu. L’élargissement de l’assiette doit s’accompagner d’une baisse des taux. Dans le cadre de l’évaluation de la retenue à la source, il faudrait que le gouvernement travaille à la suppression du quotient conjugal et du quotient familial remplacés par des abattements pour charges.

Comme le préconise la Cour, les aides au logement devraient être également revues. Les familles devraient choisir entre les APL et le rattachement fiscal de l’étudiant au foyer parental. Les dispositifs de réduction d’impôt en faveur de l’immobilier locatif (2 milliards d’euros) devraient être supprimés. Ils aliment  plus la hausse des prix qu’ils ne résolvent la crise du logement. La Cour suggère, à juste titre, de revoir le taux réduit de TVA sur les travaux, qui coûte 5,2 milliards par an. En matière d’emploi, les contrats aidés, critiqués fréquemment pour leur inefficacité sur l’emploi à défaut de l’être en ce qui concerne les statistiques, devraient être plus ciblés et courts.

Si le réformisme ne passe pas l’été, ceux qui paieront la mauvaise gestion de ces quarante dernières années sont les classes moyennes et en particulier les retraités car sans surprise ce sont les catégories les plus nombreuses.

L’assainissement des comptes publics ne peut pas se faire en quinze jours. Il faut sérier les dépenses inutiles ou inefficaces. Il faut de la pédagogie et de la volonté pour changer des mauvaises pratiques. A défaut de mettre en œuvre une réelle stratégie, les coupes seront comme toujours symboliques et la mauvaise herbe repoussera une fois que le rabot sera passé.

A l'inverse, qui sont ceux qui ont bénéficié le plus des largesses de l'État au cours de ces dernières années​ ? ​Du point de vue de la dynamique des dépenses et des recettes de ces dernières années, quels sont les postes qui ont pu "bénéficier" du déficit actuel ? 

Jean-Yves Archer : Votre question mériterait un long développement mais pour respecter le format de cette contribution, je tiens à vous indiquer trois points-clefs.

Tout d'abord, le quinquennat de François Hollande démontre son faible talent de gestionnaire public. Finalement, on se dit que l'on comprend pourquoi ni François Mitterrand ni Lionel Jospin ne lui auront jamais proposé une responsabilité ministérielle… Il était plus à l'aise dans la vendetta permanente de la rue de Solférino qu'à la tête de notre pays qu'il a abîmé.

Puis, la fin du quinquennat a été épique. Tant qu'il a cru pouvoir se représenter, "FH", a multiplié les initiatives catégorielles coûteuses et sans lendemain. Voir le plan de 500.000 chômeurs en formation ou en emplois aidés (ce qui a rempli la catégorie D de Pôle emploi tandis que nos yeux n'étaient attirés que par la fameuse catégorie A) qui est tellement "brillant" que des formés redevenus chômeurs attaquent en justice l'Etat du fait de l'inadéquation du niveau des prestations de formation reçues…

Parallèlement, il y a eu cette baisse surprise (et non financée) de la première tranche de l'impôt sur le revenu.

Enfin, lorsque le président a compris que la messe était dite, il a suggéré à son fidèle grognard de Sapin d'en "mettre sous le tapis". En clair de faire un budget pour 2017 d'autant plus "clean" que la droite – alors donnée gagnante – hériterait des soucis pour 2018.

Philippe Crevel : François Hollande a pratiqué l’art de la godille budgétaire durant son quinquennat. Il a mis fin à la réduction du nombre de fonctionnaires. Il a augmenté les effectifs dans l’Education nationale. S’il a appliqué un gel du point durant plus de trois ans, il a décidé de l’augmenter en 2017. De même, en améliorant le régime de carrière longue, il a favorisé les seniors ayant commencé à travailler tôt. Avec les indépendants, il a taxé et détaxé au point que nul ne sait où nous en sommes en matière d’imposition. Il a également après augmenté fortement l’impôt sur le revenu qui s’est accru de 20 % décidé de faire des gestes sur les contribuables soumis aux taux les plus bas. Il a ainsi supprimé la tranche de 5 % et réduit le montant de l’impôt des assujettis à la tranche marginal de 14 %. En revanche, les familles et les épargnants ont subi une augmentation de leurs prélèvements tout comme les entreprises du moins entre 2012 et 2014. Les allègements décidés après 2014 n’ont pas compensé loin de là les majorations des premières années.

Gerald Darmanin a d'ores et déjà annoncé le gel du point d'indice des fonctionnaires. L'agence Bloomberg a pour sa part indiqué que les dépenses d'infrastructures étaient dans le collimateur du gouvernement. Dans le même temps, la Cour des Comptes avait signalé, dans son rapport, que "L’atteinte de ces objectifs nécessite de mettre fin à une politique de « rabot » indifférencié​". Le "nouveau monde​" promis par Emmanuel Macron n'est-il pas en train de ressembler, à s'y méprendre, à l'ancien ? 

Jean-Yves Archer : Les dépenses d'infrastructure sont particulièrement vulnérables au stop and go et il serait hasardeux d'attaquer l'omelette par ce bout-là. Au risque de faire sursauter un lecteur pressé, je milite pour que la France profite des taux bas et emprunte une tranche de 15 milliards d'euros pour solder les vilaines scories du passé. Je rappelle que nous empruntons chaque année 180 milliards. Et que 15 mds rapportés à notre stock de dettes de 2.200 mds, cela fait 0,68%.

A défaut, un climat d'austérité va se répandre dans le pays et étouffer les vecteurs de propulsion de la croissance qui n'a jamais été aussi "solide" (terme de l'Insee) depuis 10 ans.

Oui, il faut lâcher le rabot et réfléchir au format de la sphère publique de demain sans tabou organisationnel. Il est temps de comprendre qu'une infirmière qui fait son travail à 3 heures du matin coûte moins qu'une réunion pilotée par Ségolène Royal ou que l'inertie incroyable de Madame Lebranchu dans son ministère passé de la Fonction publique.

Pour le reste, il est trop tôt pour juger du "nouveau monde" cher au président Macron. Ce qui est avéré, c'est que ni Messieurs Darmanin ni Le Maire ne sont de grands connaisseurs des rouages budgétaires. Hélas. N'est pas André Boulloche ou Gérard Mestrallet (ancien du cabinet de Jacques Delors) qui veut.

Philippe Crevel : Oui, le rabot, c’est simple. Les services de Bercy disposent d’un véritable savoir-faire. Les Ministères savent que chaque année au printemps ou durant l’été il faudra s’acquitter de son du au Budget. C’est pourquoi il faut se constituer des réserves et se battre pour avoir la plus grosse enveloppe lors de l’élaboration du projet de loi de finances de l’année. Cela fait partie d’un rituel. Depuis plus sept ans, les pouvoirs publics remettent en cause l’investissement au point que la qualité de nos infrastructures se dégrade. En pratiquant de la sorte, nous mettons en cause la croissance de demain et d’après-demain. L’OCDE s’inquiète du recul de l’investissement public en Europe qui affaiblit la croissance potentielle. 

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