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Moralisation de la vie politique : quand le ministre de l’agriculture aménage opportunément son emploi du temps officiel pour soutenir des candidats REM
©Stephane Mazaar

Le bon grain et l'ivraie

Le ministre de l'Agriculture Jacques Mézard est-il exempt ? A travers une forte confusion entre ses déplacements ministériels et militants, Jacques Mézard, ministre de l’Agriculture, multiplie les comportements « d'une autre époque ». Sera-t-il concerné par la « moralisation de la vie publique » confiée à François Bayrou au ministère de la Justice ?

Antoine Jeandey

Antoine Jeandey

Antoine Jeandey est journaliste et auteur de « Tu m’as laissée en vie, suicide paysan veuve à 24 ans ».

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 WikiAgri

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WikiAgri est un pôle multimédia agricole composé d’un magazine trimestriel et d’un site internet avec sa newsletter d’information. Il a pour philosophie de partager, avec les agriculteurs, les informations et les réflexions sur l’agriculture. Les articles partagés sur Atlantico sont accessibles au grand public, d'autres informations plus spécialisées figurent sur wikiagri.fr

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Ce n'est pas la première fois qu'un ministre de la République vient soutenir un candidat du parti au pouvoir pour des élections législatives. En principe, évidemment, il faut différencier la fonction gouvernementale et le soutien partisan... Mais certains appellent cela la « tradition républicaine » et arrondissent les angles. On avait compris, avec l'arrivée d'Emmanuel Macron au pouvoir et son programme très strict par rapport à ces arrangements avec la morale publique, que ce genre de dispositifs, consistant en l'occurrence à utiliser les deniers publics pour un déplacement ministériel qui se transforme en soutien militant, ne devaient plus avoir lieu. On avait compris que la loi de la moralisation politique (ou de la vie publique), dont est en charge François Bayrou, devait consister à arrêter ces comportements, y compris pour les membres du gouvernement...

Visite « ministério-militante » dans l'Aube...

Le jeudi 1er juin, Jacques Mézard, ministre de l'Agriculture, s'est rendu dans l'Aube. On passe rapidement sur le fait qu'il ait pu se libérer aussi vite pour remplacer au pied levé Nicolas Hulot (il a été décidé le mercredi soir à 18 heures qu'il avait davantage le profil par rapport à l'électorat visé...), initialement prévu pour ce déplacement. Restons sur les faits. En tant que ministre, Jacques Mézard a visité une ferme. Mais il surtout venu soutenir les candidats « En Marche » du département. Pire, l'un d'entre eux se vante sur son mur Facebook d'avoir lui-même invité le ministre. Voici la copie d'écran : 

Jacques Mézard, ministre de la République et de tous les Français, a donc utilisé les deniers du contribuable pour se rendre sur les lieux de son tractage politicien. Dans les faits, il est arrivé en voiture du ministère sur le lieu de sa première visite (le lycée agricole Saint-Pouange), puis a pris place dans celle du candidat d'En Marche pour l'ensemble de la journée à suivre, avant d'être reconduit dans la voiture ministérielle. Il a donc passé une après-midi entière en tant que militant, et surtout a choisi le lieu de son déplacement ministériel en fonction de ce militantisme. Serait-il venu au même endroit le même jour sans cet intérêt politicien, alors que cette visite ne figurait pas à son agenda et qu'il était même attendu en Bretagne... ?

La page Facebook du mouvement En Marche elle-même montre cette grande confusion entre démarche ministérielle républicaine, et militante politicienne : 

On ne sait plus si c'est le ministre qui s'informe en visitant une exploitation, ou s'il s'agit d'un soutien au candidat En Marche de l'Aube Gregory Besson-Moreau... Un mélange des genres (et des budgets, cette visite figure-t-elle sur les comptes de campagne du candidat en question ? On demande à le vérifier...) contre lequel n'a cessé de se battre, du moins dans les mots, Emmanuel Macron lors de sa campagne électorale présidentielle.

Bis repetita dans l'Aveyron

Ce samedi 3 juin dans l'Aveyron, bis repetita. Là aussi, grande confusion : les paysans visités donnent leur point de vue sur la crise agricole au ministre, ou servent-ils de faire-valoir au candidat En Marche accompagné par Jacques Mézard ? Cette photo, prise lors de ce déplacement en Aveyron, montre Jacques Mézard (au centre) avec Stéphane Mazars (tout sourire), candidat En Marche de la circonscription de Rodez... Devant des victuailles issues de l'agriculture.

Comme dans l'Aube, des questions : ces déplacements se justifient-ils en tant que soutiens aux candidats ou en tant que ministre ? Jacques Mézard avance-t-il, à travers ces visites, dans sa perception du monde agricole et de la crise profonde qu'il traverse... Ou dans un travail visant à faire gagner quelques pourcents à des candidats aux législatives ? Qui a payé le déplacement en Aveyron ? Le contribuable, le mouvement En Marche, ou le candidat ?

Encore une fois, ce genre de confusions n'est pas nouveau. Il a existé sous de précédents gouvernements, de gauche comme de droite. Ce qui étonne en revanche c'est qu'il a été fermement et même violemment condamné... par ceux qui l'adoptent désormais, et qui trouvent ça normal !

En pleine période de réserve électorale

Depuis le 24 mars et jusqu’au 18 juin 2017, nous sommes en période de réserve électorale. C’est-à-dire que les membres du gouvernement ainsi que les préfets doivent éviter leurs interventions publiques, sauf en cas d’urgence bien sûr. Cette période est instituée pour garantir la neutralité de l’Etat et des services publics en période électorale. C’est donc en plein pendant cette période que plusieurs déplacements du ministre de l’Agriculture sont choisis en fonction des soutiens qu’il peut apporter localement aux candidats d’En Marche davantage que pour la visite officielle qui a lieu simultanément...

Quid de la crise agricole dans ce contexte ?

Le problème posé, au-delà de ces "arrangements" avec l'utilisation des deniers publics, est essentiel : quelle part d'investissement personnel peut-il rester à une personne, à ce point occupée par ailleurs, pour tenter d'endiguer la crise agricole avec toute la conviction qu'elle mérite ? Pendant ce temps-là, combien d'agriculteurs se voient-ils refuser des arrangements - largement plus nécessaires, eux, pour le maintien du tissu économique du pays -  avec leur banque à la fin de l'année blanche alors qu'ils sont complètement dans le rouge ? Combien y aura-t-il eu de suicides dans les campagnes avant qu'il y ait un ministre aux commandes qui se mette réellement au travail ?

Le programme agricole d'Emmanuel Macron était relativement succinct, avec uniquement des têtes de chapitre, donc des intentions, mais quasiment rien dans la case "comment on fait ?". Dire "il faut que les agriculteurs vivent du fruit de leur travail", on est tous pour. De même que lorsque François Hollande disait "il faut que le chômage baisse". A travers ce dernier exemple, on a compris toutefois que le plus important était le "comment ?" ; la volonté affichée, sincère ou non, ne suffit pas. Or l'unique réponse apportée au "comment ?" dans le programme agricole du nouveau Président fut "sommet de l'alimentation". Il appartient donc au ministre d'aller au-delà, d'entrer dans les détails laissés de côté pendant la campagne. De préparer ces rencontres de l'alimentation (qui participera précisément ? La question est loin d'être neutre, ces rencontres peuvent déboucher sur un échec retentissant si les participants ne sont pas les bons...), mais aussi de remplir toutes les cases n'ayant comporté qu'une mention sibylline et méritant, au-delà du sujet, un verbe et même un complément, à tout le moins.

Mais pour cela, encore faut-il être disponible pour son poste, et rien que pour lui...

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