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Entre Paris et Madrid, ETA cherche désespérément des interlocuteurs
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Boom!

Vendredi, ETA a interpellé le gouvernement français sur sa volonté d'imposer un dialogue ouvert pour régler la question du Pays Basque. En effet, l'organisation ne dispose plus que de ce moyen pour faire entendre ses idées. C'est sans compter sur la surdité de Paris et Madrid, pas encore décidées à aborder la question.

Jean Chalvidant

Jean Chalvidant

Jean Chalvidant est le spécialiste français de l’Espagne contemporaine et de l’organisation terroriste ETA. Le 20 mars 2012 sort son nouveau livre Secrets d’ETA, aux Éditions Jean Picollec.

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Vouloir impliquer le gouvernement français dans le conflit basque, ou plutôt dans le conflit opposant ETA à Madrid, n’a rien de nouveau. Cela fait plus de cinquante ans que l’organisation séparatiste revendique l’indépendance d’un territoire formé des trois provinces basques espagnoles (Guipúzcoa, Alava et Biscaye), de la Navarre… ainsi que de trois territoires formant le Pays basque français, la Soule, le Labour et la Basse-Navarre. Cela afin de constituer un Pays basque unique et souverain, Euskal Herria.

Les résultats de la lutte clandestine n’ont guère été convaincants. Après avoir causé 859 morts, ETA, de plus en plus acculée par les services espagnols et français, a dû faire son examen de conscience et constater qu’elle n’avait rien obtenu par la violence et le crime. C’est la raison pour laquelle elle a décrété le 20 octobre2011 la « fin de son activité armée », confortée depuis par les résultats des législatives de novembre, avec le score surprise du parti Amaiur, ouvertement séparatiste, qui obtient 333.628 suffrages, envoyant au Congrès de Madrid 7 députés et 3 sénateurs. Un vrai raz-de-marée politique, qui marginalise et invalide la lutte armée.

Pourtant, ETA est bel et bien installée en France, qui n’est plus depuis longtemps une terre d’asile. La preuve, une arrestation sur trois s’y est faite en moyenne, dont les plus significatives : Pakito, Txelis, Fitipaldi, Iñaki de Rentería, Txapote, Kantauri, Kadhafi, Mobutu, Esparza Luri, Susper, Mikel Antza, Anboto, Thierry, ou Txeroki. Sans compter les anonymes et les comparses. Dans les prisons de l'Hexagone, 140 étarres attendent d'être jugés ou y purgent leur peine, avant d'être extradés vers l'Espagne, où les attend un second jugement, et généralement une condamnation beaucoup plus lourde. Et quelle que soit la couleur du gouvernement à Matignon, la ligne reste la même : pas de pitié pour ETA.

Pourquoi donc ETA n’a jamais porté son combat en France ? Sans doute faute de combattants (une cinquantaine véritablement prêts à en découdre aujourd’hui, quatre fois plus il y a dix ans). On ne dénombre que 11 affrontements armés depuis 1988 entre gendarmerie et étarres, le plus célèbre étant celui de Dammarie-les-Lys, où le brigadier Jean-Serge Nérin perdit la vie. Et plus certainement parce que le séparatisme est une idée peu partagée dans notre pays : il n’y a qu’à voir les résultats électoraux des listes indépendantistes, tant au Pays basque qu’en Corse, pour s’en convaincre. Des résultats anecdotiques et peu significatifs.

Constatant qu’elle n’obtenait rien de Madrid, ETA a depuis quelques années entrepris de « mondialiser » sa communication. Alors que ses communiqués étaient délivrés à la presse amie, type le quotidien « Gara », elle les fait désormais transiter par la BBC. De même a-t-elle demandé à un aréopage de personnalités internationales de « parrainer » le cessez-le-feu : l’ancien secrétaire général de l’ONU Kofi Annan, Bertie Ahern (ex-Premier ministre irlandais lorsque l’IRA annonça l’arrêt de ses activités), Pierre Joxe (ex-ministre français de l’Intérieur sous François Mitterrand), Gro Harlem Bruntland (ex-Première ministre de Norvège) et Jonathan Powell (fils d’un militaire assassiné par l’IRA, ex-chef de cabinet de Tony Blair) et l’ancien leader du Sinn Fein, Gerry Adams. Conséquence induite : le conflit basque cesse ipso facto d’être localisé au seul Pays basque espagnol et s’étend au territoire français… Bien joué.

Naturellement, Paris n’est pas dupe. Jusqu’à présent, la notion dans l’Hexagone de « Pays basque » est réservée au folklore, à la gastronomie ou au tourisme, et surtout pas au politique ou à l’administratif, qui pourrait donner des idées d’indépendance à certains. Cela aboutit à des situations ubuesques : ainsi la Préfecture des Pyrénées-Atlantiques est-elle installée à Pau, à 120 kilomètres de Bayonne… Ainsi officiellement, le problème basque est circonstancié à l’Espagne, et sa résolution appartient exclusivement au gouvernement de Madrid. Ce qui constitue une attitude bien commode, car sur notre territoire sont incarcérés quelques 140 étarres, disséminés dans une dizaine de maisons d’arrêt. Que faire d’eux en cas de cessez-le-feu définitif, alors qu’en Espagne, Mariano Rajoy renverra certainement le tiers des 704 détenus dans leurs foyers, à titre d’apaisement ? C’est une question que devra se poser notre futur président, encore que la parole appartiendra davantage aux pénalistes et aux lobbys. En attendant, la première mesure devrait consister à les rapprocher du Pays basque, par exemple en les regroupant dans les Landes, au nouveau centre pénitentiaire de Mont-de-Marsan, inauguré en 2008. Un premier geste, avant l’apaisement et l’oubli, si cela est possible.

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