Santé : de nouvelles études suggèrent qu’une bonne partie de ce que nous pensions savoir du sel est faux<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Science
Santé : de nouvelles études suggèrent qu’une bonne partie de ce que nous pensions savoir du sel est faux
©Delta

Vérité, contre-vérité

Selon les résultats d'une étude parue dans le "Journal of Clinical Investigation", les individus peuvent développer du diabète sans signes d'hypertension.

Guy-André Pelouze

Guy-André Pelouze

Guy-André Pelouze est chirurgien à Perpignan.

Passionné par les avancées extraordinaires de sa spécialité depuis un demi siècle, il est resté très attentif aux conditions d'exercice et à l'évolution du système qui conditionnent la qualité des soins.

Voir la bio »

Atlantico : Une nouvelle étude publiée par le Journal of Clinical Investigationmet en lumière les effets sur le métabolisme d'une grande consommation de sel. Quelles sont les conclusions que dressent les chercheurs et quelles leçons en tirer pour les consommateurs ? 

Guy-André PelouzeLes auteurs ont étudié le métabolisme du sel chez des candidats s’entrainant à un vol sur Marsenfermés dans la station spatiale internationale au sol pendant 105 et 520 jours. Ils ont pu ainsi tester des régimes alimentaires contenant 6 g/j, 9 g/j et 12 g/j de sel dans des conditions très contrôlées. C’est une étude interventionnelle complexe dont les résultats sont intéressants car ils sont très fiables compte tenu du protocole et des conditions de l’expérience. Au delà de 6 g/j de sel (2,4 g/j de sodium) les 12 astronautes diminuent leur sécrétion d’aldostérone, l’hormone qui économise le sel. C’est un résultat attendu. Mais ce qui l’est moins, c’est que sur le moyen terme, la consommation de sel augmentant, l’individu conserve son volume d’eau et diminue ses apports en liquides. Les auteurs l’attribuent au fait que plus la consommation de sel augmente, plus les hormones glucocorticoïdes (cortisol) font fuir le sel tout en exerçant leurs effets métaboliques connus. Une sécrétion élevée de cortisol exerce un effet catabolique sur le muscle, et à long terme, une fonte musculaire élève le glucose dans le sang via la néoglucogenèse du foie, bloque la sécrétion d’insuline, spasme les artères. L’élévation chronique du cortisol dans le sang contribue à l’insulinorésistance. Et voilà un lien avec l’épidémie de diabète type 2. On sait par ailleurs qu’un cortisol élevé le soir est prédictif de la survenue d’un diabète type 2 et de maladies cardiovasculaires. Dans cette dernière étude, c’est surtout le fait d’avoir une courbe plate de cortisol dans la journée qui est prédictive, autrement dit une perte du cycle jour/nuit. C’est un sujet controversémais les auteurs du Journal of Clinical Investigation ont l’avantage d’un protocole où les biais sont réduits au minimum. Cette perte du cycle du cortisol se retrouve aussi dans les états de stress permanents, chez les travailleurs de nuit ou en horaires alternés, dans la dépression caractérisée… Ainsi les auteurs de l’article du Journal of Clinical Investigation suggèrent que la consommation excessive de sel induit, par une sécrétion continue de cortisol, l’équivalent d’un état de stress permanent avec les conséquences à long terme, et ce indépendamment de la sensibilité au sel qui conduit à l’hypertension.

Quels sont les effets d'une alimentation trop riche en sel pour l'oganisme ? Comment expliquer que les maladies cardiovasculaires arrivent sans que de l'hypertension ne soit apparue ? 

Le sel des aliments et le sel ajouté: perspective évolutionniste

Le sel est vital, certaines études épidémiologiques démontrent un lien entre manque de sel et mortalité mais ce que l’on a appelé une courbe en J est controversé. Pour autant, le sel, rare avant l’industrialisation qui a permis sa production massive et son faible coût, a entraîné la sélection d’organismes ayant plus la capacité de le conserver que de l’éliminer dans l’urine. Nous avons cependant des capacités d'adaptation rapide en cas de manque ou d'excès temporaire de sel. Le rein, commandé par un système hormonal complexe - c’est le rôle de l'aldostérone (rétention sodée, fuite potassique) - régule via l'urine cette balance sodée qui est aussi affectée par les pertes sudorales. L’exercice physique avec sudation est une activité avec perte de sel. Depuis que l’humanité s’est assise et bénéficie de l’air conditionné, c’est autant de pertes sodiques en moins. En revanche chez le sportif conséquent qui fait de l’endurance, il faut au contraire tenir compte des pertes en sel lors des séances d'entraînement.

Mais en cas d'excès chronique de consommation de sel et surtout si on dépasse cette capacité du rein à excréter le sodium dans les urines, une hypertension réactionnelle se produit. C'est une réaction adaptée car l'augmentation de pression va contraindre le rein à excréter mécaniquement plus de sodium. Cependant, cette contrainte a un coût : celui de détériorer notre arbre vasculaire et d'hypertrophier, puis d’épuiser le muscle cardiaque. Si cette hypertension devient chronique car le sodium agit aussi sur d’autres cibles vasculaires c’est elle qui va entraîner des complications majeures pour l’individu et non le sel.

Ceci est illustré par la figure n°1. A gauche la situation au paléolithique avec un apport journalier bas en sodium et un rapport Sodium/Potassium (S/P) très faible ; ensuite, au centre, l’ère industrielle avec un régime contenant peu de produits et beaucoup d'aliments frais : l’apport en sel est élevé et le rapport S/P entre 1 et 3 ; et à droite l’ère industrielle chez les grands consommateurs de produits industriels, avec un apport journalier au-delà des possibilités d’excrétion rénale, un rapport S/P supérieur à 3 et une consommation de sodium supérieure à 6g/j. L’hypertension artérielle permet une élimination supplémentaire de sodium mais les conséquences seront dévastatrices.
Or nous sommes inégaux devant cette sensibilité au sel. Les noirs, les personnes âgées, les personnes ayant une insuffisance rénale débutante, les personnes de petit poids à la naissance sont plus sensibles au sel et doivent donc être plus vigilantes sur les apports car elles sont plus sensibles.

Pour être complet, il faut souligner que l’hypertension artérielle n’est pas une pathologie liée exclusivement à l’excès de consommation de sel.

Figure n°1

Cliquez sur l'image pour agrandir

Le sodium agit sur d’autres cibles qui sont impliquées dans le métabolisme

Le sodium agit sur les artères au niveau de l’endothélium et l’excès de sodium diminue l’épaisseur du fin chevelu de glycoprotéines qui protège l’intérieur des artères. Il diminue leur capacité de relaxation et sur le moyen terme augmente leur rigidité. Le sodium par lui même altère la fonction rénale et augmente la fuite de protéines par le rein. Enfin le sodium sensibilise les neurones cérébraux impliqués dans le contrôle de la pression artérielle.

La controverse sur la réduction des apports en sel dans la population générale

Il existe une controverse sur la nécessité de réduire les apports en sel de toute la population dans les pays industrialisés. En effet les programmes de réduction des apports en sel chez les sujets normaux ont des difficultés à mettre en évidence une baisse de la mortalité. Ce n’est pas le sujet de l’article commenté.

Face à un trop riche apport en sel dans notre alimentation, quelles sont les meilleures solutions pour se protéger de ces abus du sodium ? Quels aliments privilégier ? 

Il faut retenir la différence entre sel et sodium. Le sel c’est 40% de sodium et 60% de chlore. Donc approximativement 1 gramme de sel, c’est-à-dire une pincée de sel fin, c’est 400 mg de sodium.

Revenir à des aliments entiers pour un bénéfice global: moins de sodium mais plus de potassium, de magnésium, de fibres et moins de calories

Les premiers humains sont entrés en Europe du sud depuis l’Afrique entre 1,2 million et 800 000 ans. L’homme de Tautavel a vécu dans les Pyrénées à la caune d’Arago il y a 450 000 ans. Il est essentiel de comprendre que notre organisme s'est adapté par une longue sélection génétique à une alimentation de niche écologique (l'Europe pour notre génotype) pendant une grande partie de l'évolution. Cette adaptation comprend aussi la blancheur de la peau pour synthétiser plus de vitamine D avec moins d'ensoleillement qu'en Afrique, la possibilité de stocker toute forme d’excédent calorique pour survivre lors des famines et du froid, des défenses immunitaires très puissantes en raison du parasitisme et des blessures, porte ouverte à de nombreux micro-organismes, une grande activité physique pour toutes les tâches nécessaires à la survie. S’agissant du sel, nous nous sommes adaptés à de très faibles apports en sodium, mais à des apports élevés en potassium et en magnésium pour ne parler que de ces cations (ions positifs).

Nous cultivons des céréales et élevons des troupeaux depuis 10 000 ans à peine et l'alimentation industrielle riche en chlorure de sodium ajouté a seulement 50 ans.

C’est dire que c’est une vague d’abondance calorique, de sel, de sucre, de lait  et d’autres aliments raffinés qui nous submerge brutalement sans que nous puissions modifier notre génétique en un aussi petit laps de temps. C’est pourquoi il est très difficile de faire ses courses avec un compteur de sodium comme il est difficile de les faire avec un compteur de sucres ou de calories.

En revanche, il est beaucoup plus efficace de diminuer notre apport en sodium et concomitamment d'augmenter nos apports en potassium et magnésium en pensant à des aliments entiers peu ou pas transformés. Comment faire? Revenir à des aliments au détriment des produits. Consommer à côté des protéines animales et du gras des végétaux foliaires (salades, épinards, blette). Les consommer crus ou vapeur ou avec l’eau de cuisson pour ne pas perdre les ions dont le potassium. D’une manière générale tous les autres végétaux sont riches en potassium et pauvres en sodium. Les céréales brutes aussi mais pas les produits céréaliers y compris le pain qui contiennent beaucoup de sel ajouté. Le tableau n°1 fournit une comparaison utile pour décider de choisir un aliment frais ou une conserve. On peut constater la différence considérable entre les deux types de régime alimentaire sur une année et on comprend aisément pourquoi consommer principalement des produits conduit au scénario de droite de la figure n°1.

Les autres conseils sont plus triviaux:

- ne pas rajouter de sel ou alors avec parcimonie ; c’est simple diviser par deux, puis encore par deux ;

- saler avec du sel complet ? C’est à peu près pareil en quantité de sodium ; en dehors du goût cela n’a pas d’intérêt (sel raffiné : 39,1g de sodium pour 100 g de sel blanc alors que le sel marin gris brut, c’est 32,2 g de sodium pour 100 g) ;

- utiliser des épices au lieu du sel ou des condiments salés: herbes, racines (curcuma, gingembre), céleri séché, ail, cannelle, origan et basilic, thym, piment , piment d’Espelette ;

- ne pas acheter les conserves à contenu élevé en sel ;

- choisir des cacahuètes, amandes, noix de cajou ou noisettes non salées ;

- préférer les eaux peu minéralisées ;

- préférer les boissons pauvres en sel, vérifier le cacao et le café instantanés, les soupes, les jus de légumes ;

Pour les passionnés des étiquettes et comme avec le sucre, il faut insister sur le fait que le sel ce n’est pas que le chlorure de sodium… Voici la liste non exhaustive des substances chimiques ajoutées contenant du sodium:

●      alginate de sodium E401 ;

●      ascorbate de sodium ;

●      bicarbonate de sodium ;

●      benzoate de sodium ;

●      caséinate de sodium ;

●      chlorure de sodium ;

●      citrate de sodium ;

●      hydroxyde de sodium ;

●      saccharinate de sodium E954 (IV) ;

●      lactylates de sodium E481 ;

●      sulfite de sodium ;

●      phosphate disodique E339 ;

●      glutamate de sodium (MSG) ;

●      phosphate trisodique E339 ;

●      Na

A noter qu’il n’y a pas en français d’application permettant de connaître le contenu en sel et en sodium d’un produit alimentaire à partir de son code barre...

Pour conclure c’est à nouveau la matrice alimentaire et le comportement individuel qui comptent.

Matrice culturelle, c’est-à-dire dans le bassin méditerranéen la matrice ancestrale d’une alimentation d'aliments variés et frais, végétaux, animaux et fromages. C’est cuisiner chez soi avec parfums et couleurs et très peu de sel ajouté. Ce qui est urgent, c’est de conserver nos habitudes alimentaires et notre de mode de vie anciens pour atténuer le choc de l’industrialisation. C’est la première et de loin la plus efficace des préventions.

En effet, il est illusoire de compter sur les médicaments même les plus innovants pour corriger les pathologies chroniques nées de l'acculturation, de l’abondance alimentaire extrême et de l’inactivité physique. Pour autant la médecine est utile pour ceux et celles qui sont atteints d’une maladie de civilisation et elle est efficace pour réparer.

S’agissant du sel, nous constatons que les effets délétères d’une consommation excessive sont silencieux pendant des décennies et ne se résument pas à l’hypertension. Le goût salé est avant tout une préférence naturelle de survie née de millénaires de rareté dans un environnement sans sel pur facilement accessible comme pour le sucre ou l’alcool d’ailleurs. Il ne faut pas isoler le sel des autres facteurs de la dysnutrition actuelle. Pour nos contemporains, il n’y a aucun risque de manquer de sel c’est pourquoi il faut réduire drastiquement tous les apports en sel dont la source principale (environ 70%) reste les produits alimentaires préparés.

Tableau n°1 Comparaison de la teneur en sodium (mg/100 g) de l’aliment "naturel" et transformé (Sodium intakes around the world, Background document prepared for the Forum and Technical meeting on Reducing Salt Intake in Populations (Paris 5-7th October 2006). By Paul Elliott and Ian Brown WHO 2007)

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !