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Cette bataille remportée par Marine Le Pen lors du débat d’entre-deux-tours malgré le naufrage absolu de sa prestation sur le terrain de la crédibilité gouvernementale
©Reuters

A son insu

La défaite de Marine Le Pen lors du débat de l'entre-deux-tours de l'élection présidentielle pourrait cacher une victoire de fond sur le long terme pour le parti, sur le terrain de la suspicion généralisée, afin de saper les bases de la démocratie parlementaire.

Olivier  de France

Olivier de France

Olivier de France est Directeur de recherche à l’IRIS.

Il est normalien, ancien élève de Sciences-Po Paris et de l’Université de Cambridge, où il a enseigné. Son travail porte sur les questions de défense et de sécurité, l’Union européenne et son action extérieure, ses Etats membres et leurs politiques européennes, étrangères et de défense; la PESC et la PESD; la gestion de crise et les relations UE/Afrique subsaharienne; les notions de puissance et de stratégie.

Avant de rejoindre l’IRIS il a travaillé comme chercheur à l’European Council on Foreign Relations (ECFR) et à l’Institut des études de sécurité de l’Union européenne (EUISS).

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Alexandre del Valle

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle est un géopolitologue et essayiste franco-italien. Ancien éditorialiste (France SoirIl Liberal, etc.), il intervient dans des institutions patronales et européennes, et est chercheur associé au Cpfa (Center of Foreign and Political Affairs). Il a publié plusieurs essais en France et en Italie sur la faiblesse des démocraties, les guerres balkaniques, l'islamisme, la Turquie, la persécution des chrétiens, la Syrie et le terrorisme. 

Son dernier ouvrage, coécrit avec Jacques Soppelsa, Vers un choc global ? La mondialisation dangereuse, est paru en 2023 aux Editions de l'Artilleur. 

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Atlantico : Si la prestation de Marine Le Pen durant le débat d'entre deux tours a été largement présenté comme défavorable à la candidate Front national, notamment sur la question de sa crédibilité gouvernementale, ne peut-on pas considérer que la candidate est parvenue, peut être à son insu, à instaurer un climat de défiance, de soupçon, au sein du débat (notamment sur son accusation portée à l'endroit d'Emmanuel Macron à propos d'un compte offshore aux Bahamas), qui sape les bases de la démocratie elle-même, et dont elle pourrait tenter de tirer profit à plus long terme ?  

Olivier de France : Cela correspond à un moment de l'histoire, à un moment de démocratie libérale où elle surf sur des instincts qui sont déjà là. Si vous regardez les débats d'il y a 30 ans ou 40 ans, la qualité était un peu meilleure. La qualité rhétorique et des discours étaient meilleurs. Par nature les campagnes présidentielles attisent les tensions. On peut espérer qu'on n'ira pas plus bas mais rien n'est moins sûr. Nous sommes dans une conjoncture où tout le monde a un peu moins de patience pour écouter les opinions d'autrui. Cela ne sert à rien d'essayer de stigmatiser les politiques, on a ceux que l'on mérite. Ils ne sont pas là par hasard Macron et Le Pen, c'est parce que les Français les ont porté au second tour Aujourd'hui, on a l'impression que la seule manière de se faire entendre c'est de crier. L'ennui, c'est que c'est une fuite en avant. Plus les gens font du bruit, plus il faut crier et plus on crie, plus l'on fait du bruit. 

En jetant une accusation on se dit que l'effet de l'accusation sera plus important que le fait que son opposant prenne le temps d'essayer de la démonter. On ne prend plus le temps d'avoir un discours rationnel qui, par nécessité prend du temps. Aujourd'hui on parle un peu moins à la raison critique des gens car on se donne moins le temps et les possibilités de réfléchir aux choses.

Cette démarche est plus intéressante électoralement parlant car nous sommes dans un contexte où les gens ont une vraie volonté de dégagisme. Marine Le Pen brosse les gens dans le sens du poil car ces derniers sont déjà dans cet état d'esprit de faire un doigt d'honneur au système. Les gens vont entendre ce qu'ils ont envie d'entendre et plutôt que d'essayer de construire quelque chose, on va participer à la destruction de la parole politique.

J'ai l'impression que Marine Le Pen a franchi un seuil dans le débat de l'entre-deux tours. Même de la part de son propre camp un discours destructeur qui ne construit rien n'est pas un discours qui peut la porter à la présidence, c'est un discours qui peut la porter au second tour ou faire d'elle la tête de proue de l'opposition. Mais ce n'est pas un discours qui lui permettra d'être présidente. Elle n'a rien construit, elle n'a fait que détruire.

Dans le système français de l'élection à deux tours, ce n'est pas la même chose que dans le système américain. Trump avec cette logique pouvait tirer les marrons du feu. Marine Le Pen à force de tirer à boulet rouge sur n'importe quel responsable politique qui tend à essayer de construire quelque chose va finir soit par décrédibiliser complètement la parole politique, soit par se voir opposer un refus de cette parole portée. 

Alexandre Del Valle : Ce n'est pas forcément quelque chose qui est fait au hasard, il y a une vraie stratégie derrière. C'est une vision assez propre au populiste qui, se sentant faible par rapport au système essaye d'utiliser l'arme asymétrique qui était la stratégie de Trump qui pensait qu'il avait tout le système contre lui à grand renfort de "Fake News" qui vont jeter la suspicion sur l'adversaire dans une sorte de stratégie de renversement asymétrique.
En gros on est les parias puisqu'on est systématiquement suspect. Pour nous, ce n'est pas démocratique, donc nous retournons la suspicion contre la caste. C'est une réelle stratégie de renversement. On est suspecté, alors on suspecte. Lorsque l'on diabolise un parti plutôt que de le vaincre de manière purement argumentaire on le rend victimiste et il est logique, prévisible qu'un parti systématiquement considéré comme le pire de tous et contre lequel tout le monde est uni, se défende en renversant la suspicion. C'est la défense du faible.
Ce qui a fonctionné aux Etats-Unis car nos cultures sont différentes et qui peut aussi fonctionner en Turquie, en Russie ne fonctionne pas forcément en France. Il n'y a pas la même attente du public et cela peut se retourner contre Marine Le Pen 
Avec le temps on aura plus de recul pour savoir si cette stratégie peut réussir. Marine Le Pen n'allait pas dans ce débat dans l'optique de le remporter. C'est d'ailleurs non seulement l'arme du faible et la logique de celui qui sait qu'il ne sera pas au pouvoir, qui veut jouer l'attaque totale et en gros avoir la position de la principale force d'opposition.

Aux Etats-Unis, Donald Trump avait également agi de la sorte, notamment pour décrédibiliser ses adversaires, n'hésitant pas à douter de la citoyenneté réelle de Barak Obama. De la même façon, les différentes attaques de "hackers" russes, semblent plus avoir pour but de déstabiliser le climat de confiance des citoyens en leurs institutions plutôt de privilégier tel ou tel candidat. Quel peut être l'effet, à terme, de ses différentes tentatives de décrédibilisassions des institutions auprès de l'électorat ? La campagne de Marine Le Pen participe-t-elle de cette tendance ? 

Olivier de France : C'est une manière de faire campagne, c'est une manière de se faire élire, mais est-ce que c'est un moyen de gouverner ? On a vu que Trump avait déjà connu quelques difficultés avec notamment ses affirmations sur Twitter démenties par les institutions et les agences américaines. Je ne pense pas que ce soit quelque chose qui soit soutenable à long terme. Gouverner comme cela me paraît difficile. A un moment il est possible que les gens qui souhaitaient "faire un doigt d'honneur au système" se rendent compte que ce n'est pas forcément la manière adéquate de gouverner à long terme. Je pense que cela peut remobiliser un certain électorat.

Pour moi ce discours de défiance est limité. Pourquoi pas en tant que stratégie électorale, mais il faut qu'il repose sur un projet qui soit constructif, sans cela, cela ne peut pas marcher.

En quoi cette menace de rupture de confiance entre citoyens et démocratie libérale peut-elle être vue comme un point de départ de régimes du type "démocratie illibérale" comme on peut le constater en Pologne ou en Hongrie aujourd'hui ?

Olivier de France : C'est un cas de figure très différent. Si  on définit le populisme comme un moyen de communication, un moyen de parler aux affects plutôt qu'à la raison, un moyen de simplifier les choses et de communiquer de fausses informations, on remarque que ce n'est pas la même chose que les démocraties libérales en Pologne ou en Hongrie qui reposent sur un socle de valeurs qui sont des valeurs très à droite du spectre politique. Evidemment les deux peuvent être conjoints, c'est l'exemple d'Orbán en Hongrie.

Mais dans ces deux pays, il y a un vrai projet de société (qu'on y adhère ou pas), contrairement à la France où malgré la présence d'un socle de valeurs, il n'y a pas l'aboutissement d'un projet réaliste ou cohérent qui permettrait de transformer le pays. 

Alexandre Del Valle : Dans l'Europe aujourd'hui, on voit à l'Est des tendances, des mouvements qui arrivent au pouvoir et qui sont des démocraties qui sont moins libérales (plus populiste, souverainiste…)  et on voit la vieille Europe qui est toujours dans une démocratie libérale qui donne de la légitimité absolue aux minorités à l'individu, contrairement à l'Est où l'on voit des régimes qui prônent le primat de la majorité.

A mon avis le modèle de Marine Le Pen n'est pas forcément celui de la Russie et ce parti tendrait vers ce qu'il se passe un peu en Hongrie. C'est le système le plus proche de celui vers lequel tendrait Marine Le Pen à la différence près qu'en Hongrie Victor Orbán est quand même moins socialisant, plus issue d'un modèle conservateur. Libéral en matière d'économie et conservateur en matière de société. C'est peut-être l'erreur que reprochent certains au modèle de Florian Philippot qui est prône un modèle proche de Orbán en Hongrie mais en ratant la possibilité de capter un électorat libéral conservateur.

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