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Dégagisme : après le tour des hommes, celui des Institutions ? Analyse des opinions des Français sur les propositions de réformes institutionnelles pendant la campagne
©REUTERS/Jacky Naegelen

Institutions

Aujourd’hui, les propositions des candidats, et le soutien qu’elles recueillent dans l’opinion, laisseraient penser que la remise en cause de certaines institutions est particulièrement vigoureuse, que ce soit sur le plan moral ou démocratique.

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La campagne présidentielle de 2017 aura été particulièrement marquée par les affaires, celles en rapport avec l’emploi fictif de Penelope Fillon par son mari et candidat des Républicains François Fillon, mais également celle de Marine Le Pen et des emplois fictifs de ses assistants parlementaires. Difficile d’évaluer si la prise de conscience générale au sein de la population français face à ces affaires survivra à la campagne, en revanche le poids que ces affaires ont pu avoir dans les discussions des Français et le durcissement des propositions des candidats pour y répondre sont révélateurs de la fin d’une époque où hommes et femmes politiques agissaient sans véritable contrôle ni sanction. Aujourd’hui, les propositions des candidats et le soutien qu’elles recueillent dans l’opinion, laisseraient penser que la remise en cause de certaines institutions est particulièrement vigoureuse, que ce soit sur le plan moral ou démocratique.

1-Malgré un jugement contrasté vis-à-vis des institutions, les Français restent attachés aux principes du régime représentatif et démocratique 

Sentiment ancré depuis plusieurs années chez les citoyens français, la démocratie fonctionnerait mal dans leur pays. C’est en tout cas ce que six Français sur dix (60%) expriment dans une étude Ifop-Fiducial pour Public Sénat et Sud Radio en avril 2017, tandis que 40% jugent qu’elle fonctionne bien (+11 points en 5 mois). Ce sentiment de dysfonctionnement de la démocratie s’exprime au sein des catégories pouvant se sentir les plus en marge des institutions républicaines : les catégories modestes (63%) et pauvres (65%), les habitants des communes rurales (62%), les sympathisants du Front national (79%) et ceux du Front de gauche (65%). 

Le jugement sur le fonctionnement de la démocratie en France (en fonction de la proximité partisane).

Au-delà du jugement subjectif exprimé par les Français, l’indice de démocratie créée par le groupe de presse The Economist confirme leur ressenti. En 2016, la France se classait au 24e rang des Etats jugés les plus démocratiques avec un score de 7,92 sur 10, derrière les Etats-Unis et l’Italie et suite à une baisse de 0,92 points depuis la création de l’indice (l’Italie enregistrait elle une hausse de 0,25 point) (1) . Ce jugement sévère se révèle concomitant avec une profonde méfiance des personnes interrogées vis-à-vis des principales institutions du pays. Comme le rappelle l’historien Jean Garrigues(2) , la défiance des Français vis- à-vis de leurs institutions, notamment parlementaires, a toujours existé historiquement, en particulier si l’on remonte aux années 1880 et 1930. En 2017, moins d’un Français (32%) sur trois déclare notamment avoir confiance dans le Gouvernement. Plus généralement, les institutions représentatives peinent à inspirer la confiance de leurs mandants. Seules 38% des personnes interrogées manifestent leur confiance dans le Sénat, l’Assemblée nationale ou la présidence de la République, institutions pourtant élues au suffrage universel (direct ou indirect) par les citoyens. Les plus défiants vis-à-vis de ces trois institutions semblent notamment être les catégories qu’elles représentent le moins fidèlement : les jeunes de moins de 35 ans, les catégories populaires, la droite et la gauche radicales. Plus généralement, près de huit Français sur dix jugeant que la démocratie fonctionne mal déclarent ne pas avoir confiance dans ces trois institutions (78% pour l’Assemblée nationale, 77% le Sénat et 79% la présidence de la République.) S’agissant des institutions internationales, les jugements s’avèrent contrastés. Dans une conjoncture internationale conflictuelle, une courte majorité (51%) déclare avoir confiance dans l’organisation de défense militaire qu’est l’OTAN. En revanche, ils ne sont que 39% à avoir confiance dans le Fonds Monétaire International. Enfin, bien qu’ils soient 57% à estimer que l’appartenance de leur pays à l’Union européenne est une bonne chose(3) , près de six Français sur dix (59%) n’ont pas confiance dans l’institution.

La perception des différents systèmes politiques % de personnes jugeant ces différents systèmes « bons pour la France »

Les personnes interrogées ne réclament pas pour autant un changement de système politique, et restent attachées à la démocratie libérale. 88% d’entre elles déclarent en effet qu’un système politique démocratique, celui que nous connaissons actuellement, est bon pour la France. Cette opinion est donc largement partagée, malgré quelques nuances selon la proximité partisane (93% parmi les sympathisants du Parti socialiste et 83% parmi les sympathisants du Front National). Ciblant sans doute les travers de leurs élus, les Français révèlent parallèlement avoir un penchant pour l’association d’autres personnes à la décision publique : 69% jugent positivement un système politique proche de la démocratie directe (dont 76% des sympathisants du Front National et 57% des sympathisants d’En Marche !), où ce sont les citoyens et non un gouvernement qui décident ce qui leur semble le meilleur pour le pays, tandis que 62% verraient d’un bon œil que la France soit dirigée par des experts et non un gouvernement. A l’inverse, ils rejettent massivement un régime où l’armée dirigerait le pays (83%, dont 51% qui jugeraient ce régime « très mauvais » pour la France), à l’exception des électeurs frontistes pour qui la figure martiale n’a pas la connotation si négative qu’expriment les autres électorats, 71% d’entre eux pensant que ce type de régime serait une mauvaise chose pour la France, soit 12 points de moins que l’ensemble. L’attachement aux principes du gouvernement démocratique se découvre cependant contrebalancer par un besoin d’autorité exprimé par les Français. En effet, 51% des personnes interrogées estiment qu’avoir à la tête du pays un chef serait une bonne chose. On retrouve là encore les électeurs frontistes qui pour 58% d’entre eux partagent cette opinion contre 47% pour les électorats de Jean-Luc Mélenchon et d’Emmanuel Macron. A noter que les sympathisants du Front National ne sont que 19% à penser que cela serait une « très bonne chose » contre 15% dans l’ensemble.

2-La défiance des Français vis-à-vis de leurs institutions les poussent à réclamer de profonds changements dans leur fonctionnement.

Face aux dysfonctionnements de la démocratie dans le pays, une très large majorité de Français attend une réforme des institutions de la Ve République. 48% d’entre eux estiment alors que cette réforme doit être menée en profondeur, tandis que 42% privilégient des ajustements. La part des personnes interrogées estimant que les institutions devraient être maintenues en l’état s’élève à seulement 10%. Pour les Français, les réformes attendues sont de deux ordres : moraliser les pratiques des élus et élargir la place des citoyens dans les institutions.

Baliser l’action des élus : en matière de moralisation de la vie politique, Jean-Luc Mélenchon est le plus soutenu. Affaires Cahuzac, Thévenoud, Arif, Lamdaoui… plusieurs affaires politico-financières sont venus entacher le quinquennat de François Hollande et sa promesse de « République exemplaire » sur laquelle son élection avait pu se jouer. Pour autant, les Français se montrent relativement cléments vis-à-vis de l’action de François Hollande en matière de moralisation de la vie politique à l’aune d’une loi venant encadrer les élus votée en 2013. 44% des personnes interrogées sont gréées de l’action menée par le Président socialiste, dont 69% des électeurs de François Hollande en 2012, 78% des électeurs potentiels de Benoît Hamon et 72% de ceux d’Emmanuel Macron. Dans une étude Ifop pour Les Enquêtes du contribuable de 20134 , les Français se déclaraient massivement favorables au projet de loi sur le non-cumul des mandats. Ainsi 84% soutenaient l’idée que les personnes exerçant une fonction exécutive locale ne puissent plus également cumuler cette fonction avec un autre mandat local. A ce non-cumul des mandats s’est ajoutée la création de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (avec à sa tête un magistrat impartial) qui marque un progrès dans la moralisation de la vie publique.

Mais à quelques jours du premier tour de l’élection présidentielle, les Français attendent des mesures plus ambitieuses encore en matière de moralisation de la vie politique. Dans ce domaine, Jean-Luc Mélenchon apparaît comme le candidat le plus convaincant (28% des citations). A un niveau nettement au-dessus de son score d’intentions de vote, le candidat de la France Insoumise devance nettement Marine Le Pen (réalisant un score significatif bien que n’ayant pas fait figurer de propositions sur le sujet dans ses 144 engagements présidentiels5 ) et Emmanuel Macron (respectivement 18%), tandis que François Fillon se situe à un niveau moindre en la matière (10%) mais devant Benoît Hamon, candidat du Parti socialiste (8%).

Propositions des candidats en matière de moralisation de la vie publique (Source : Le Monde, 15 avril 2017)

Pour les Français, la priorité repose sur l’encadrement de l’action des élus, que ce soit par la réduction de leur nombre (43% de citations au total) ou par la limitation des risques de corruption dont ils sont parfois sujets (40%). Dans la lignée de ces priorités identifiées, près de neuf personnes interrogées sur dix se déclarent favorables à la réduction du nombre de députés et de sénateurs (93%, dont 97% des électeurs d’Emmanuel Macron et 95% des électeurs de François Fillon et Marine Le Pen, qui proposent chacun cette mesure), ainsi qu’à l’inéligibilité à vie des élus condamnés pour corruption (93%). A peine moins se prononcent pour l’interdiction de toute embauche par un élu ou un ministre d’un membre de sa famille (88%) ou pour l’interdiction du cumul d’un mandat parlementaire et d’un mandat exécutif local (84%).

Entre Ve et VIe République, les Français souhaitent investir les institutions qui les régissent. 

L’insatisfaction exprimée par les Français vis-à-vis du fonctionnement de la démocratie laisserait croire que la Ve République n’est pas, ou n’est plus, le régime satisfaisant les Français et exprimant les divisions idéologiques qui les traversent. En effet, malgré la survivance de la Ve République quarante-huit ans après le départ de son fondateur Charles de Gaulle, la question de la pertinence des institutions actuelles se posent toujours. Pour Philippe Raynaud, professeur de science politique à l’université Panthéon-Assas, cet état de fait ne « signifierait pas pour autant que la France soit prête à un changement complet de régime » (6) . En effet nous l’avons vu, les Français sont partagés entre adaptation et réforme des institutions. Bien qu’ils soient 90% à se déclarer favorables à des changements institutionnels appliqués à la Ve République, moins d’un sur deux (48%) attend de ces changements qu’ils soient menés en profondeur, 42% que la Constitution soit simplement adaptée. Deux catégories de Français aspirent à des changements en profondeur des institutions : les électeurs de Jean-Luc Mélenchon (55%) et les électeurs de Marine Le Pen (60%) contre 37% chez les électeurs d’Emmanuel Macron et François Fillon. Les divergences s’expriment donc plus fortement entre sensibilités politiques, les électorats les moins représentés étant plus tentés par la rupture.

« Les institutions de la Ve République doivent être réformées en profondeur » (% de Oui, en fonction de la proximité partisane).

Dans ce sens, les électeurs semblent avoir identifié le candidat de la France Insoumise et la candidate frontiste comme ceux avançant des propositions particulièrement ambitieuses dans le champ de la réforme des institutions. Jean-Luc Mélenchon apparaît comme le candidat le plus convaincant en matière de réforme des institutions (29% de citations), grâce peut-être aux mesures emblématiques de ce dernier comme la convocation d’une Assemblée constituante chargée de la rédaction d’une nouvelle Constitution ou l’instauration d’un référendum révocatoire. Si les Français sont réceptifs à ces propositions (74% et 80% des électeurs s’y déclarent favorables, dont 87% parmi les électeurs de Jean-Luc Mélenchon), elles n’apparaissent pas en priorité des mesures qu’ils privilégieraient. En effet, parmi les 11 propositions de candidats que l’Ifop a testées, la convocation d’une Assemblée constituante n’apparaît qu’à la 9e position et le référendum révocatoire à la 7e . Notons également que moins d’un interviewé sur cinq (23%) s’estime « très favorable » à l’engagement du processus constituant, processus qui pourrait s’étendre jusqu’au premier semestre 20207 et occuper l’espace politique au détriment d’autres sujets d’importance pour les citoyens. Les Français envisagent d’autres évolutions possibles au régime de la Ve République. Ces propositions vont notamment dans le sens d’une plus grande intégration des citoyens dans la décision publique. Cela se traduit donc par un contrôle accru par les citoyens de l’action politique de leurs élus via l’introduction du référendum obligatoire avant toute révision de la Constitution (89% d’opinions favorables, dont 44% très favorables) et l’instauration d’un référendum d’initiative populaire (83% d’opinions favorables, dont 35% très favorables). Proposées par Marine Le Pen, avec l’extension du champ du référendum au domaine législatif, ces mesures raisonnent avec le ton bonapartiste déjà présent dans la Constitution de la Cinquième, tout en important les principaux outils de démocratie directe figurant dans la Constitution suisse, modèle revendiqué par la candidate du Front National(8) . Ses électeurs approuvent d’ailleurs ces deux mesures à hauteur respective de 93% et 89% d’opinions favorables. Enfin, pour Jean Garrigue(9), les échecs de Nicolas Sarkozy et de François Hollande montrent l’impasse du fait majoritaire en France et imposent de trouver un nouveau système permettant d’établir des majorités d’idées, plutôt que des majorités partisanes. En ce sens, près de huit Français sur dix (79%) se déclarent favorables à l’introduction d’une dose de proportionnelle lors des différentes élections organisées, dont 35% « tout à fait favorables » parmi les personnes se déclarant proches du Front National (+10 points par rapport à l’ensemble), parti particulièrement lésé par le scrutin majoritaire à deux tours(10). Pour Philippe Raynaud, l’établissement de ce mode de scrutin serait « le moyen de libérer les forces centrales de leur dépendance à l’égard des partis extrêmes tout en assurant la représentation des électeurs de ces derniers. La Ve République réinventerait ainsi les procédés de la IVe, mais elle ne disparaîtrait pas pour autant.»(11)

Organiser une Assemblée Constituante à l’automne prochain, tout remettre à plat et créer une VIe République serait une proposition adaptée à la situation de notre pays (% de Oui, en fonction de la proximité partisane).

Assurément, les Français attendent de l’élection présidentielle, mais plus largement de leurs hommes et femmes politiques, de profonds changements dans le fonctionnement des institutions, sans nécessairement aller jusqu’à la rupture. Tout en y étant largement favorable sur le principe, dans une étude Ifop pour Synopia de 2017, moins d’un Français sur trois (30%) jugeait « qu’organiser une Assemblée Constituante à l’automne prochain, tout remettre à plat et créer une VIe République » serait une bonne réponse au dysfonctionnement de la démocratie française(12) . Nous l’avons montré, les Français ne voient pas la fin de la Ve République comme un impératif nécessaire. C’est pour cette raison que, selon Philippe Raynaud, les changements que les Français préfèrent ne devraient pas empêcher la vie politique de continuer à s’organiser sur la base des conventions peu à peu adoptées de 1958 à nos jours. Notons par exemple la volonté exprimée(13) par Jean-Luc Mélenchon d’utiliser l’article 11 pour proposer aux Français le passage à une VIe République, utilisation que François Mitterrand qualifiait en 1964 de « coup d’état » (14) pour critiquer les pratiques de Charles de Gaulle. Il serait donc un peu tôt pour voir la fin d’un régime dont les mécanismes sont intégrés par l’ensemble des acteurs politiques, y compris ceux estimant qu’il faille y mettre un terme.

1 Indice de démocratie, 2016, The Economist 
2 Jean Garrigues, Présidentielle 360, Public Sénat, 13 avril 2017
3 Sondage Ifop-Fiducial pour Public Sénat et Sud Radio réalisé par questionnaire auto-administré en ligne du 24 au 27 mars 2017 auprès d’un échantillon de 1495 personnes inscrites sur les listes électorales, extrait d’un échantillon de 1600 personnes, représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus.
4 Sondage Ifop pour les enquêtes du contribuable réalisé par questionnaire auto-administré en ligne du 11 au 13 septembre 2013 auprès d’un échantillon de 1002 personnes, représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus.
5 « Les 144 engagements du projet présidentiel de Marine Le Pen », publié le 4 février 2017
6 Philippe Raynaud, L'esprit de la Ve République, Perrin, 2017.
7 « À quoi ressemblerait l’assemblée constituante de Jean-Luc Mélenchon ? », Politis, 17 mars 2017 
8 Marine Le Pen, « A vous de juger », France 2, 14 octobre 2012 
9 Op. cit. 
10 En 2012, le parti a réussi à rassembler 13,6% des suffrages mais n’a obtenu que 2 sièges sur 577 (0,35%) 
11 op. cit, p.261
12 Sondage Ifop pour Synopia réalisé par questionnaire auto-administré en ligne du 4 au 5 avril 2017 auprès d’un échantillon de 995 personnes, représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus. 
13 Vidéo de campagne du 30 novembre 2016 
14 François Mitterrand, Le Coup d'État permanent, Les débats de notre temps. Plon, p.95

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