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Ces morceaux de dette cachés sous le tapis…
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Montagne

1 700 milliards d'euros de dette publique française apparente. Et des centaines de millions de dette isolés du budget de l'Etat mais bien présents... Fonçons nous droit à la faillite ? Extraits de "France, la faillite ? de Philippe Herlin (1/2).

Philippe Herlin

Philippe Herlin

Philippe Herlin est chercheur en finance, chargé de cours au CNAM.

Il est l'auteur de L'or, un placement d'avenir (Eyrolles, 2012), de Repenser l'économie (Eyrolles, 2012) et de France, la faillite ? : Après la perte du AAA (Eyrolles 2012) et de La révolution du Bitcoin et des monnaies complémentaires : une solution pour échapper au système bancaire et à l'euro ? chez Atlantico Editions.

Il tient le site www.philippeherlin.com

Voir la bio »

Conscient de l’explosion de l’endettement, l’État a parfois tendance à essayer d’en masquer une partie en créant des structures spécifiques pour « isoler » la dette dans des organismes qui dépendent de lui. C’est le cas pour la SNCF, pour laquelle il avait créé le Service annexe d’amortissement de la dette (SAAD) « qui n’apparaît bizarrement, ni dans les comptes de la SNCF, car il s’agit d’une dette de l’État, ni dans ceux de l’État, car il s’agit d’une dette “facialement” et historiquement émise par la SNCF »[1].

L’État fait ici preuve d’une « créativité comp­table » qui n’a rien à envier aux banques d’affaires. Créée en 1991, cette structure portera 8,7 milliards d’euros (à côté de la dette de la SNCF et de celle de RFF, le gestion­naire des voies), jusqu’à ce que l’Union européenne, par la voix de son office statistique EUROSTAT, oblige la France à réintégrer dans ses comptes cette structure, qui disparaîtra alors en 2007[2]. La Commission euro­péenne est revenue à la charge en mai 2010 pour exiger la fin de la garantie publique illimitée dont bénéficie la SNCF (pour des raisons de concurrence loyale au niveau européen), ce qui se traduirait par la transformation du groupe public en société anonyme, comme cela s’est passé pour La Poste en 2009. L’avantage étant que la dette de la SNCF ne serait plus comptabilisée avec celle de l’État, mais l’entreprise pourrait-elle emprunter sur les marchés sans la garantie étatique ? Pas du tout, donc le gouvernement a opposé une fin de non-recevoir à la Commission.

On attend avec impatience les prochains épisodes de la guéguerre entre Bruxelles et Paris. Autre dossier latent entre les deux capitales : RFF (Réseau ferré de France, le gestionnaire des voies de la SNCF), dont les 27,8 milliards d’euros de dettes (en 2009) ne sont actuellement pas comptabilisés dans la dette publique, mais cela pourrait changer à l’avenir… On comprend les motivations de l’État qui, avec des structures discrètes au statut juridique flou, cherche à faire artificiellement baisser son endettement « officiel » établi d’après les critères de Maastricht. Ça a marché un temps pour la SAAD, ça fonctionne actuellement avec le RFF.

Il existe également une possibilité de manipulation sur les ODAC : une entreprise publique est formellement un ODAC (Organismes divers d’administration centrale) si l’État représente plus de 50 % de ses ressources, ce qui incite l’État à rester sous ce seuil (quitte à ce que l’entre­prise s’endette encore plus pour boucler son budget) pour ne pas avoir à comptabiliser sa dette dans la sienne. C’est ce que l’État a fait avec Charbonnages de France pendant plusieurs années jusqu’à ce qu’EUROSTAT l’oblige à réintégrer l’entreprise.

Existe-t-il des cas semblables aujourd’hui ? L’État n’incite-t-il pas certains ODAC à minorer leurs déficits, donc leurs dettes ? Certainement, mais il est extrêmement difficile d’avoir accès à l’infor­mation qui reste liée à chaque ODAC en particulier. EDF provisionne pour le démantèlement de ses centrales nucléaires, mais sait-on si le CEA (Commissariat à l’éner­gie atomique, un ODAC) le fait pour ses installations, et au niveau adéquat ? Il existe assurément quantité de passifs masqués dans les ODAC qui se traduiront, un jour ou l’autre, par une dépense supplémentaire pour l’État, mais pour l’instant, tout cela reste sous le tapis.

L’omission la plus importante concerne la retraite des fonctionnaires. Dans son rapport publié en 2005[3], Michel Pébereau rappelait qu’il fallait également tenir compte de l’engagement de l’État envers les retraites des fonctionnaires : de 790 à 1 000 milliards d’euros. Il ne s’agit pas d’une dette stricto sensu (il n’y a pas de bons du Trésor émis sur cette dépense) mais d’un engagement que l’État a envers ses agents et qu’il doit (comme toute entreprise) évaluer et provisionner. Quelques années plus tard, la Cour des comptes estime les « engagements de retraite des fonctionnaires et des militaires » à 60 % du PIB[4], soit 1 200 milliards d’euros. Pour l’instant, Bruxelles n’a pas demandé à la France de les intégrer dans sa dette publique…

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Extraits de France, la faillite ? : Après la perte du AAA, Eyrolles (mars 2012)



[1]Rapport d’information sur la gestion de la dette de l’État dans le contexte européen, n° 476, Paul Girod, Sénat, juillet 2005, p. 43.

[2] « La SNCF plombe la dette de la France », L’Express, 20 octobre 2007.

[3]Rompre avec la facilité de la dette publique, Michel Pébereau, La Documentation française, 2005.

[4]Résultats et gestion budgétaire de l’État, exercice 2009, Cour des comptes, mai 2010, p. 91.

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