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Hervé Gaymard : "Nous ne pouvons pas nous résigner à que la France soit ce grand corps blessé que le monde entier regarde tâtonner dans l’ombre"
©Charles Platiau / Reuters

Politique étrangère

Dans son dernier livre, La Ligne De Force, Hervé Gaymard évoque la nécessité pour la France de renouer avec une politique étrangère forte et la place de notre pays dans le monde;

Hervé Gaymard

Hervé Gaymard

Hervé Gaymard est député UMP de la 2e circonscription de Savoie, et président du conseil général de la Savoie. Il a été Ministre de l'Économie, des Finances et de l'Industrie dans le gouvernement Raffarin III.

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Atlantico : Vous avez appelé votre dernier ouvrage "La Ligne de Force" en référence à la politique étrangère à adopter dans les domaines stratégiques, diplomatiques, économique… A quoi correspond cette ligne et à quels enjeux doit-elle répondre ?

Hervé Gaymard :Pour certains pays, la politique étrangère n'a pas une grande importance. Pour la France en revanche, la politique étrangère est une projection indispensable, miroir de notre identité et de notre cohésion. La France ne se résume pas à l’Hexagone, même escorté par les départements et territoires d'outre-mer, ni à son poids objectif dans le monde. C’est aussi une idée, un message, un projet.

Aujourd'hui, le malaise français que traduisent notre quête identitaire, la perte de repères, la montée du communautarisme, le chômage de masse, nous rend aphone en Europe et dans le monde. Nous sommes « ce grand corps blessé que le monde entier regarde tâtonner dans l’ombre » pour reprendre l’expression de Malraux en 1958. La France d’aujourd’hui est décolorée.

C'est pourquoi j'ai écrit cet essai. Parce qu'il me semble que nous devons retrouver cette ligne de force. Sans elle la France n'est pas tout à fait la France. 

Nous devons d'abord nous reprendre.  Renouer avec un discours à la Nation française, pour lutter contre le communautarisme et promouvoir l’égalité des chances. Mettre l’école au centre des priorités. Prendre à bras le corps la lutte contre le chômage en libérant l’économie. Sans cette cohésion interne, la France ne retrouvera pas ses couleurs. 

La France ne doit pas renoncer au monde, car le monde ne nous attend pas, même s’il a besoin d’une France incarnée. Nous ne devons pas perdre de vue nos fondamentaux traditionnels, les trois A : l'Allemagne –donc l’Europe, l'Algérie et l'Afrique.

Le couple franco-allemand n’existe plus, car il ne marche plus au même rythme. La France a décroché. C’est le résultat de plus d’une décennie de relâchement. Ce n’est pas fatal. C’est pourquoi cette élection présidentielle est majeure. La France doit se reprendre, pour reconstruire avec les Allemands et tous ceux qui nous suivront, un nouveau projet européen qui protège et construise l’avenir. Le Brexit renforce cette nécessité. 

S'agissant de l'Algérie, 55 ans après la fin de la guerre, les feux ne sont toujours pas éteints. Il faut sortir de cette impasse puisque la France a mal à l'Algérie et l'Algérie a mal à la France. Nous ne pourrons rien construire dans le siècle qui vient s'il n'y a pas une normalisation des relations entre les deux pays.  

Enfin l'Afrique. C'est le continent du siècle qui vient, d’une nouvelle croissance à imaginer et à construire. Et c’est l’avenir de la francophonie. Il fallait bien sûr intervenir au Mali, comme en Centrafrique. Mais la France devrait être l’aiguillon d’une politique africaine européenne ambitieuse. Le projet d’électrification porté par Jean Louis Borloo va dans ce sens. 

Notre politique étrangère ne se résume bien évidemment pas à ces trois A. Nous devons être des « faiseurs de paix », en pensant par nous-mêmes, et ne pas être les suiveurs d’une politique néoconservatrice dont nous avons vu les limites.  Vis-à-vis des pays émergents, nos politiques économique, culturelle, scientifique, d’attractivité de notre enseignement supérieur doivent être renforcées.

Quel bilan faites-vous concernant politique étrangère du quinquennat de François Hollande ? Notamment sur son rapport à l’utilisation de la force armée ? (L'opération Serval au Mali, l’opération Sangaris en Centrafrique, et une tentative d’intervention en Syrie.)

J’ai du mal à caractériser globalement cette politique étrangère. Il y a eu, pour sûr, une politique militaire courageuse et décisive en Afrique. Qui s’inscrit d’ailleurs dans la lignée de 50 ans d'interventions militaires extérieures de la France, dont j’ai fait le bilan pour la commission des Affaires Etrangères de l’Assemblée Nationale.

Au Moyen-Orient, notamment sur le dossier syrien, nous avons été suiveurs, autant dans l’emphase que dans le retrait. C’est pourtant une partie du monde qui nous est proche, dans laquelle notre voix portait, malgré des erreurs de parcours comme la fin pitoyable de nos Mandats en Syrie ou au Liban en 1945-1946, et l’intervention de Suez en 1956. Le Général de Gaulle avait su incarner une politique arabe de la France, en étant intransigeant sur le droit à Israël de vivre dans des frontières sûres et reconnues, en demeurant la puissance protectrice des chrétiens d’Orient.  Ses successeurs ont marché dans ses pas. Et la décision de Jacques Chirac de ne pas suivre les américains dans leur folle aventure de 2003 – en grande partie à l’origine du chaos actuel – en restera la dernière incarnation lisible. Depuis c’est ce grand silence, qui désole tous les amis de la France. 

Pour le reste, Laurent Fabius a eu raison d'insister sur la dimension économique de la politique étrangère, y compris avec une politique active d’attractivité touristique. En revanche en matière de politique culturelle, la poursuite des réductions de crédit qui affecte notamment les Instituts Français et les bourses aux étudiants étrangers, est dramatique. C’est d’autant plus stupide que les montants en jeu ne sont pas importants. La France doit investir massivement dans ce que les anglo-saxons appellent le "soft power". 

Le désengagement des Etats-Unis vis-à-vis de l'OTAN est-il une bonne ou une mauvaise nouvelle pour vous ? 

Que faire avec l’administration Trump ? Personne ne le sait. Ce qui est clair c'est que depuis plus d'un demi-siècle, la France avait anticipé cette éventualité en se dotant de l'arme nucléaire. 

Je vous rappelle qu'à l'époque, quand la France a décidé d'y recourir, cela ne faisait pas l'unanimité puisque Charles de Gaulle a eu beaucoup de mal à faire adopter les premières lois de programmation militaire. Et cela a été l'objet de beaucoup d'attaques et d'incompréhensions de nos alliés européens ainsi qu'aux Etats-Unis. Du moins jusqu’à la présidence Nixon. N’oublions jamais qu’il nous a permis d’accéder plus rapidement à la bombe H. Les Américains avaient enfin compris que la dissuasion nucléaire française était utile à l’Alliance, comme le rappelle Henry Kissinger.

La politique d’indépendance nationale de de Gaulle –autonomie de la pensée, maîtrise des outils, libre choix des décisions – rendait inévitable le retrait de l’organisation militaire intégrée de l’OTAN, sans quitter bien sûr l’Alliance Atlantique. Le retour de la France dans le commandement militaire en 2008, alors vivement critiqué, à tort, ne consistait pas en un retour à la situation antérieure à 1966. La France garde évidemment la maîtrise de ses armes nucléaires, de son espace aérien, il n’y a pas de bases de l'OTAN sur son territoire, et elle reste libre d'intervenir (ou pas) dans une opération militaire. Mais hélas, la perception qui a prévalu a été celle d’une forme de « réalignement », ce qui nuit à la portée de la voix de la France dans le monde.  On peut également déplorer que la France ne se soit pas donner les moyens d’être davantage influente dans les instances de l’OTAN.

Ceci étant dit, les orientations de l’administration Trump peuvent faire prendre conscience à beaucoup de pays européens qu’ils devront augmenter leurs budgets militaires, car le parapluie stratégique américain ne sera pas éternel dans sa configuration actuelle. Avec l’objectif de 2 % du PIB, c’est d’ailleurs ce que préconise l’OTAN de longue date.

Et cela pose la question de la politique européenne de défense, vieux serpent de mer rhétorique, considérée par beaucoup de nos alliés comme incompatible avec l’OTAN…

Vous évoquez la nécessité pour la France d'augmenter son budget de défense. Ne pensez-vous pas que la question se pose aussi au niveau européen ? Les intérêts des pays de l'Union convergent-ils suffisamment pour envisager la création d'une armée Européenne ? 

Je pense qu'une armée européenne est une vue de l'esprit. Puisque la guerre relève de la souveraineté nationale. Il ne faut pas se raconter d'histoire, jamais nous n'aurons une armée européenne intégrée comme nous pouvions le penser en 1952 avec le projet de communauté européenne de défense (qui était d'ailleurs un projet français et un échec français). 

En revanche, il faut une coopération entre les états-majors. C'est quelque chose qui est déjà engagé mais il faut aller davantage dans ce sens. 

Ensuite il faut une interopérabilité des chaînes de commandement avec la capacité de mobiliser des contingents, notamment dans le cadre d'opérations militaires à l'étranger. 

Enfin il faut, me semble-t-il, faire un effort important pour les industries européennes d'armement. Aujourd'hui, on a cinq pays qui ont des industries d'armement importantes, la France, la Grande-Bretagne, l'Allemagne, l'Italie et l'Espagne. Entre ces pays (sans exclure les autres), il y a un certain nombre de grands projets à lancer. Je pense notamment à l'Avion Combat Futur qui remplacera la génération des Rafales. Ce sera dans 30 ou 40 ans mais c'est dès maintenant que les décisions se prennent. Est-ce que chaque pays européen aura les moyens de développer seul ces avions ou doit-on avoir un projet européen pour éviter d'être prisonnier d'un futur avion américain ? C'est une question qui se posera dans les années qui viennent. 

Quel regard portez-vous sur le réarmement de l'Allemagne qui a notamment déclaré ne pas vouloir de cette Europe de la défense ? 

L'Allemagne a décidé de faire un effort supplémentaire pour sa défense et c'est une bonne chose. Compte tenu de ses capacités budgétaires importantes, liées à sa bonne situation économique, on ne doute pas qu'elle va s'engager dans une politique active.

Mais l'autre sujet, au-delà des efforts budgétaires, est de savoir quelle va être la doctrine d'emploi de ces forces sur les théâtres d'opérations extérieurs. L'Allemagne, depuis la seconde guerre mondiale, n’intervient pas à l’étranger. Les contingents allemands qui ont pu intervenir en Afghanistan n'étaient que dans des fonctions de support et pas dans une fonction de combat, avec de très nombreuses réserves et interdictions. L'Allemagne voudra-t-elle davantage intervenir militairement ? C’est une question ouverte. Et un champ de dialogue important avec la France et ses autres alliés.

Concernant la Russie, doit-on selon vous poser la question des frontières avec L'Ukraine ? L'Europe et les Etats-Unis n'ont-ils pas commis une erreur en revenant sur leur promesse de ne pas étendre l'OTAN sur les anciens territoires du pacte de Varsovie ? 

La diabolisation autant que la sanctification de la Russie sont des attitudes stupides. Je vais enfoncer une porte ouverte : la Russie est un grand pays, une grande civilisation, qui a depuis toujours une politique mondiale, au Moyen-Orient depuis le 18eme siècle. Il y a eu 11 guerres entre la Russie impériale et l'empire Ottoman !  Il défend ses intérêts, mais doit respecter le droit international auquel il souscrit.

Rouvrir le dossier des frontières me semble périlleux. Mais il faut parler avec les Russes. D’autant que je ne pense pas, quelles que soient les gesticulations auxquelles on assiste, que l’avenir de la Russie soit à l’Est et en Asie.Et s’agissant de l’Ukraine, j’ai toujours pensé que la perspective de son adhésion à l’OTAN était une erreur. 

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