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Meeting pro-Erdogan à Metz : quand le gouvernement français démontre qu'il ne comprend rien aux rapports de force qu'affectionne le président turc
©Reuters

Faute politique

La venue à Metz pour un meeting des Affaires étrangères turc Mevlut Cavusoglu est une faute de plus à inscrire dans le bilan du quinquennat de François Hollande. En ne se ralliant pas aux positions d'Angela Merkel, il montre une Union Européenne désunie face à une Turquie de plus en plus agressive.

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle est un géopolitologue et essayiste franco-italien. Ancien éditorialiste (France SoirIl Liberal, etc.), il intervient dans des institutions patronales et européennes, et est chercheur associé au Cpfa (Center of Foreign and Political Affairs). Il a publié plusieurs essais en France et en Italie sur la faiblesse des démocraties, les guerres balkaniques, l'islamisme, la Turquie, la persécution des chrétiens, la Syrie et le terrorisme. 

Son dernier ouvrage, coécrit avec Jacques Soppelsa, Vers un choc global ? La mondialisation dangereuse, est paru en 2023 aux Editions de l'Artilleur. 

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Atlantico : La France a décidé de ne pas suivre l'exemple de l'Allemagne ou des Pays-Bas en accueillant aujourd'hui sur son sol le ministre des Affaires étrangères turc Mevlut Cavusoglu. Ce dernier est venu s'exprimer à un meeting pour plaider en faveur du "oui" en prévision du référendum d'avril portant sur l'adoption du projet de révision constitutionnelle en Turquie. Projet qui renforce -encore - les pouvoirs du président Erdogan. Mais est-ce que cela ne risque pas de donner l'image d'une Union Européenne plus que jamais désunie face à un Erdogan de plus en plus hostile ?

Alexandre Del Valle : C'est une constante depuis le début du quinquennat de François Hollande que de se plier devant l'impérialisme et l'arrogance du régime AKP (« national-islamiste ») du Néo-Sultan Erdogan. Cette attitude peut être aussi motivée certes par des visions économiques, est manifeste, mais tout le monde en Europe, en Occident et ailleurs (pays arabes notamment, Syrie) commence à en avoir assez des dérives irrédentistes et néo-impérialistes de ce régime de plus en plus inquiétant non seulement chez lui (mais un pays est libre sur son sol et je suis contre l’ingérence) mais aussi ailleurs, et même au sein des communautés turques « persécutées » dans les pays arabes ou en Europe (Chypre, Grèce, Allemagne, Autriche, pays des Balkans, etc). Cette ingérence dans les affaires d’autres nations sous prétexte de « défendre des turcophones » devrait être très fermement dénoncée. Mais après des années de lâcheté européenne sur les questions de la Grèce (menacée régulièrement par l’armée turque qui revendique les îles de la Mer Egée et viole l’espace maritime et aérien grecs chaque jour) et de Chypre (37 % de l’île occupée illégalement et colonisée depuis 1974 par la Turquie, voilà que les Européens de l’Ouest s’abandonnent les uns les autres, laissant l’Allemagne, l’Autriche et les Pays Bas seuls face aux menaces de plus en plus inacceptables et graves du gouvernement turc et de son sultan autoritaire Erdogan qui voudrait même obliger les pays européens abritant de fortes communautés turques à tolérer un prosélytisme islamiste et un nationalisme radical qui prône le panislamisme, le négationnisme du génocide arménien, l’occupation de Chypre et la dérive dictatoriale d’Erdogan (référendum constitutionnel du 16 avril) dans des meetings politiques sur notre propre sol.

Pour revenir à la position de François Hollande et de Jean Marc Ayrault, il est également vrai que le gouvernement de Hollande a voulu prendre le contrepied de Nicolas Sarkozy qui avait soit-disant contribué à envenimer la situation entre les deux pays en refusant par principe l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne et en bloquant de facto les négociations en vue de l’adhésion. Aussi, depuis le début du quinquennat, François Hollande a tout fait pour plaire à la Turquie et « prouver » que l’Europe et la France ne sont « pas un club chrétien », qu’ils sont des « amis d’Ankara» et qu’ils ne s’opposeront pas à l’entrée de la Turquie dans l’UE, attitude à mon avis folle puisque plus personne ne croit à cette adhésion dont Ankara ne veut plus, ce qui revient donc à faire une fausse promesse... Pour répondre encore à votre question, en faisant cela, Hollande ne va pas vraiment à l'encontre des autres pays européens, puisque beaucoup se sont également couchés devant la Turquie depuis pas mal d'années dont la Grande Bretagne qui a ouvert les négociations en vue de l’adhésion en 2004 sous sa présidence tournante, puis les pays scandinaves et les plus atlantistes - pro-turcs par principe et pour contrer la Russie -, sans oublier l'Allemagne de Merkel elle-même qui s'était littéralement aplatie devant Erdogan et son Premier ministre lors des fameux accords-rackets sur le renvoi de « réfugiés-migrants » clandestins en échange de milliards de l’UE… On observe juste que la France d’Hollande n’est pas solidaire de trois de ses partenaires européens actuellement menacés et insultés au plus haut niveau alors que face à des pays tiers non-européens non membre de l’UE, la moindre des choses serait de se montrer solidaire, ce qui ne veut pas dire la guerre, mais la fermeté et le respect de son camp. Or face à des hommes très autoritaires comme Erdogan qui ne comprend que les rapports de force comme on l’a vu avec la Russie de Poutine qu’il courtise maintenant après une grave crise, il est clair et l’histoire montre que la faiblesse ne paie pas de retour et ne fait que rendre l’autre agressif plus menaçant encore..

Aujourd'hui il y a un tandem Autriche-Allemagne (plus la Hollande depuis peu) qui en a assez des menaces et insultes turques puisqu'il y a beaucoup de ressortissants européens d’origine turque que la Turquie essaie d’embrigader à des fins électorales extérieure et donc invite à ne pas s’intégrer à nos mœurs, valeurs et patries d’accueil pour en faire des armées électorales de réserve. Cela est dangereux et un pays souverain européen comme l’Allemagne ou la France ne peut normalement pas tolérer cela. Tout d’abord pour des raisons de survie – si l’on ne veut pas que des millions de ressortissants deviennent de moins en moins loyaux envers leurs patries d'adoption et ensuite parce le fait d’exiger que la Turquie arrête d'instrumentaliser ces communautés est une mesure de salut publique. En Allemagne, ça s'est traduit par une volonté de Mme Merkel de ne pas accepter certains meetings électoraux populistes qui serviraient pour M. Recep Taiyp Erdogan à gagner son referendum visant à lui donner les pleins pouvoir et à détruire le système parlementaire-démocratique libéral et laïque qui avait pourtant longtemps fait de la Turquie une exception au sein des pays musulmans.

Tous les spécialistes de la Turquie et les responsables européens savent par ailleurs très bien que la guerre civile larvée qui sévit en Turquie entre d’une part islamistes et laïques-kémalistes puis entre nationalistes turcs et minorités dont les Kurdes a des implications sérieuses en Europe, aussi les meetings interdits dans les pays européens pré-cités visaient en fait à faire en sorte de ne pas importer sur le sol européen cette guerre larvée et à ne pas laisser les islamistes-nationalistes de l’AKp utiliser l’Europe et les communautés turques islamistes de l’UE comme des outils d’extension de puissance et de vote en faveur d’une dérive anti-démocratique, d’autant que ces réseaux combattent sur le propre sol européen les Kurdes et les Turcs laïques qui se sentent menacés ou intimidés eux-mêmes sur le sol des démocraties libérales… Que la Turquie mette fin démocratiquement à la démocratie libérale chez elle, se réislamise et troque le kémalisme laïque pour l’idéologie national-islamiste de l’AKP et d’Erdogan, nous n’y pouvons rien, c’est le droit et le choix de la majorité des électeurs turcs si cette option l’emporte. Mais les pays européens ont le droit de ne pas cautionner sur leur sol cette entreprise d’embrigadement de citoyens turcophones qui sont d’abord des résidents et des citoyens européens et qui doivent s’intégrer aux pays d’accueil et que l’on doit, comme les musulmans d’autres pays d’ailleurs, protéger de l’influence des « pôles du totalitarisme islamiste » (Arabie saoudite, Qatar, Pakistan, Frères musulman, AKP et Milli Görüs turc, etc) qui veulent les encarter et empêcher de s’assimiler et même s’intégrer. En Autriche par exemple, les autorités bien plus lucides et responsables que les gouvernements belges, français ou autres, ont interdit récemment toute influence directe et financement de l’islam autrichien par la Turquie et les autres pôles de l’islamisme radical mondial. Ils ont ainsi fait en sorte que les instances prosélytes islamiques contrôlées par Ankara (Milli Görüs, etc) cessent d’encadre les musulmans autrichiens et les mosquées du pays afin de mettre en place un islam européen et autrichien libre de toute influence politique et théocratique extérieure et opposée à nos valeurs et lois en vigueur. Soyons clairs, si nous laissons les pôles de la réislamisation mondiale radicale continuer à encadrer et fanatiser des communautés musulmanes sur notre sol, le syndrome de la sécession et du communautarisme partitionniste deviendra une véritable menace interne, un « limes » intérieur.  C’est ce que j’explique dans mon dernier ouvrage « Les vrais ennemis de l’Occident ».

Il aurait été nécessaire que, face à l'adversité, les Européens, paraissent unis, et l’on ne peut que regretter cette mollesse que sera interprétée par les partisans du néo-Sultan et d’autres comme un « petit Munich ». Face à l'adversité, l'union est sacrée, elle est un principe de survie pour tous les partenaires du pays menacé : celui qui le lâche sera le prochain à être attaqué. La stratégie montre qu’un adversaire ou un ennemi utilise toujours les failles au sein du camp adverse... C'est un message très mauvais et dangereux qu’envoient les pays européens non-solidaires des cibles d’Erdogan lorsque Europe se divise face à un adversaire, Erdogan, qui voudrait faire de son pays une dictature islamique et qui veut étendre son réseau sur notre territoire.

On peut soulever une énorme contradiction quand l'UE, qui est d’habitude si « vigilante » lorsque le moindre populiste « d’extrême-droite » à la Wilders est élu démocratiquement ou monte dans les sondages et qui n'a donc de cesse de critiquer les régimes « dangereux » Hongrois et Polonais ou les mouvements « islamophobes » en Hollande ou ailleurs (PVV, Peguida, AFd, etc) mais qui montre une grande mansuétude envers une Turquie post-kémaliste, « national-islamiste » et néo-ottomane qui va beaucoup plus loin que la Pologne et la Hongrie et qui est de surcroit de plus en plus menaçante envers plusieurs pays européens tout étant quant à elle très fière d’être un « club » musulman en redevenant le « protecteur » des sunnites du monde entier au sein de l’OCI et en coopération avec l’Arabie saoudite et le Qatar.

Il est scandaleux que les Européens passent leur temps à se critiquer entre eux, à s'accuser des pires choses alors que vis-à-vis de la Turquie, lorsque le Gouvernement irrédentiste et néo-colonialiste-ottoman d’Ankara réclame carrément des territoires appartenant à la Grèce (îles de la Mer Egée) et à Chypre, occupée depuis 1974 en violation totale du droit européen et international. Je constate que sur ce point, bien plus graves que les propos antislamistes des populistes et souverainistes européens, les critiques des eurocrates de Bruxelles et des chancelleries européeennes capitulardes sont toujours beaucoup plus discrètes...

Jean-Marc Ayrault a plaidé "l'absence de menace avérée à l'ordre public" pour autoriser cette venue et lancé un "appel au calme". Mais accueillir ce meeting, n'est-ce pas d'une certaine manière se "rendre témoin" et cautionner le glissement autoritaire que connaît la Turquie ?

Je ne suis pas là pour défendre les partis populistes européens, mais ce qui est étonnant c'est que lorsque que des meetings de partis souverainistes et populistes européens sont interdits au nom du refus du « trouble à l’ordre public », personne ne crie à la persécution et nos responsables politiques ne sont pas gênés le moins du monde ; par contre, lorsque le « fasciste-populiste » vient du Sud, n’est pas un Blanc-européen-judéo-chrétien », on est gêné et on ne songe plus, notamment dans notre France culpabilisée adepte de la repentance, à interdire la venue d'un homme politique turc issu d’un parti ultra-nationaliste et islamiste qui vient organiser sur notre sol des meetings politiques en embrigadant des citoyens et résidents français d’origine turque instrumentalisés électoralement au profit d’une puissance étrangère et invités à transformer la Turquie ex-kémaliste en une « démocrature » national-islamiste… Deux poids deux mesures et indignation sélective. Aujourd'hui, la Turquie veut passer d'un régime parlementaire à ultra-présidentialiste, sans contre-pouvoirs avec un président tout puissant et sans Premier ministre à côté duquel Vladimir passera pour un adepte de la démocratie libérale..

Pour revenir à Metz, ce n'est pas une question d'ordre public, car le but de ce genre de manifestation au profit des projets d’Erdogan est bel et bien de transformer la Turquie en une dictature national-islamiste. Certes, c'est parfaitement le droit des citoyens turcs d'avoir le régime qu'ils veulent, de détruire la laïcité kémaliste et de bâtir une nouvelle puissance turque néo-ottomane, mais c'est aussi le droit légitime des Etats européens d'interdire des manifestations qui ont pour objectif de diffuser des valeurs totalement opposées aux valeurs et lois en place dans nos sociétés démocratiques, sachant que ce type d’encouragement à la dictature serait totalement interdit s’il était le fait de partis politiques français ou ouest-européens. 

En accueillant le ministre des Affaires étrangères turc Mevlut Cavusoglu, Ayrault et Hollande ont cautionné totalement ce processus de « dédémocratisation » en cours en Turquie et les appétits irrédentistes du néo-sultan Erdogan qui veut faire des Européens d’origine turcs des sujets éternels et non intégrés de son nouvelle empire.

Si la France avait un minimum de cohérence, d'abord elle serait totalement solidaire de son premier partenaire européen, l'Allemagne, face à une Turquie de plus en plus menaçante et qui manie la diplomatie du racket et de l’insulte publique.

Avec une Turquie de plus en plus agressive militairement, verbalement vis-à-vis de l'Europe, qui n'hésite pas à qualifier les Pays-Bas de "capitale du fascisme" par exemple, tout en rajoutant qu'ils "allaient en payer le prix". Au regard de ces éléments, comment pourrait se solder cette crise diplomatique et comment pourraient évoluer les relations entre l'Europe et la Turquie ? 

Erdogan a dit que l'Allemagne se comportait comme le régime nazi en interdisant des meetings. Il avait traité Sarkozy d’anti-turc « islamophobe » et fils d’un tortionnaire légionnaire « complice du génocide algérien »… On est habitués à la pratique d'Erdogan de la guerre des mots et notamment du « point Godwin » ou « reductio ad hitlerum », puisqu’il a encore ces jours-ci traité la Hollande de pays « nazi, raciste et islamophobe ». Mais ce qui est fou, c'est de se laisser impressionner à ce point et de céder comme le laisse comprendre la complaisance des autorités françaises. A mon avis l'exemple à suivre vis-à-vis d’Erdogan est celui des Russes : la Russie a subi des menaces de la Turquie qui est même passée à l'acte il y a un an et demi en abattant un avion russe. La réaction du Kremlin a été très ferme et également menaçante, tout en évitant l’escalade. La subtilité diplomatique a été alliée à une extrême fermeté et des menaces de représailles générales. Le Tsar a montré les dents et posé des limites au Sultan, rappelant les diplomates turcs, organisant des sanctions économiques et exigeant des excuses et réparations en plus de fortes représailles économiques. Résultat : aujourd'hui les deux pays ont de très bonnes relations depuis que Erdogan est allé faire amande honorable en Russie cet été auprès de Poutine envers qui il s’est excusé par lettre et a accepté de dédomager les victimes russes…

La Turquie a l'habitude des rapports de force. Erdogan use et comprend ces rapports, en tant que nationaliste islamiste à la fois très habile et psychologiquement violent. Face à des pays de ce type et dans le cadre du nouveau monde multipolaire qui s’installe partout et qui n’est pas fait de bizounours mais d’adeptes de la realpolitik, on est respecté que si l’on affiche une fierté de soi, une fermeté minimale et si l’on défend ses intérêts et ne donne pas des signes de faiblesses comme le fait de manquer de solidarité envers son camp. L’Union européenne l’apprendra à ses dépends, et la Grèce et Chypre abandonnés à eux-mêmes et à leur voisin turc menaçant en savent quelque chose… 

Je pense donc hélas que le message de faiblesse de Jean Marc Ayrault et François Hollande vis-à-vis de la Turquie d’Erdogan va inciter Ankara à être encore plus agressive avec d'autres pays européens et même avec nous à la moindre occasion. L’Allemagne qui avait cédé tout au Grand Turc à propos du racket sur les retours de réfugiés « syriens » n’a pas payé de retour pour son laxisme puisqu’elle est insultée et menacée aujourd’hui. Voilà l’exemple à ne pas suivre. C'est la raison pour laquelle il fallait absolument être solidaire des pays menacés et insultés gravement par Erdogan ces jours-ci, car face à des tentatives d'intimidation, céder est une véritable incitation à récidiver…

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