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Ce que perdra(it) la droite en perdant Fillon
©Thomas SAMSON / AFP

Bérézina ?

Au début était l’autonomie, une avancée certaine : les juges devenaient de moins en moins serviles vis-à-vis du pouvoir en place (n’oublions pas qu’ils ont TOUS servis Vichy jusqu’au bout, et que plus récemment ils n’ont pas été nombreux à inquiéter Mitterrand : Richard Nixon a été viré pour 10 fois moins) ; et les banquiers centraux ne provoquaient plus une stimulation inflationniste à 6 mois d’une élection pour complaire au pouvoir en place.

Roland Hureaux

Roland Hureaux

Roland Hureaux a été universitaire, diplomate, membre de plusieurs cabinets ministériels (dont celui de Philippe Séguin), élu local, et plus récemment à la Cour des comptes.

Il est l'auteur de La grande démolition : La France cassée par les réformes ainsi que de L'actualité du Gaullisme, Les hauteurs béantes de l'Europe, Les nouveaux féodaux, Gnose et gnostiques des origines à nos jours.

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Nous progressions dans le sens de la raison, nous bâtissions un écosystème de la pensée critique, nous obtenions des experts plus crédibles et donc plus efficaces. 

Et puis, les choses ont rapidement dégénéré, quand on est passé de l’autonomie à l’indépendance : nos experts non-élus et nos juges sortis de l’ENM n’ont plus de compte à rendre à personne, concrètement (c’est la définition même de l’indépendance). Trichet l’a dit : « Je suis Mr Euro », et « I never pre-commit » et, en gros, si vous n’êtes pas contents de la politique monétaire, c’est le même prix. Quant au Président normal Hollande, il a dit qu’organiser une manif’ de soutien à un candidat trainé dans la boue était un scandale, une atteinte à la République (qui stipule quelque part qu’on ne puisse plus critiquer une procédure). Comme à Moscou, où la moindre dénonciation des irrégularités du système pénal prouvait définitivement votre adhésion aux projets bourgeois, sionistes et anti-soviétiques.  

Recrutés dans un bassin ad hoc et plus ou moins « à vie », très rarement sanctionnés, nos chers technocrates monétaires et judiciaires peuvent désormais tout dans leurs sphères, et ils commencent à envahir la sphère des autres, un phénomène d’OPA classique dans l’histoire des institutions : raison pour laquelle, autrefois, nous avions des protections pour faire respecter la séparation des pouvoirs (les bonnes barrières font les bonnes sociétés), et des temps découplés voire des périodes de trêves pour respecter un peu la chronologie des autres sphères. Par exemple, il n’était pas question, à ces lointaines époques de démocratie libérale, d’accorder des pouvoirs importants à une institution indépendante, l’indépendance vous condamnait à un pouvoir vigoureusement borné (petite parenthèse, ce point est la base de l’ordo-libéralisme allemand que l’on nous vante en permanence, en oubliant de préciser qu’après les violations institutionnelles nazies les ordo-libéraux ont milité pour des sphères étanches, pour des banquiers centraux autonomes mais pas indépendants, et encore aujourd’hui la Bundesbank est truffé de politiciens, et la Cour constitutionnelle de Karlsruhe est truffé de parlementaires ; passons).

La BCE a fait du chantage pour virer des gouvernements, en Grèce, en Italie. J’ai pondu, comme d’autres, des milliers de pages sur le sujet, et sur tout un tas d’autres annexions institutionnelles qui nous ont coûté des années entières de croissance sur le continent, et tout le monde s’en moque, c’est désormais normal, plus personne ne dénonce les conflits d’intérêt entre la mission monétaire et la mission de supervision bancaire, pour ne prendre qu’un exemple. Les juges français ont désormais l’autorisation (??) de polluer une campagne électorale majeure par la mise en examen (la présomption d’innocence, mon œil !!), à quelques semaines du scrutin, d’un candidat majeur qui n’a pas l’air de leur plaire (si je me souviens de mes années à Sciences-po, et si je regarde les élections syndicales, je peux dire que 70% des juges sont à gauche sans trop de risque de me tromper, c’est certes moins marqué que chez les journalistes), au prétexte que ce candidat aurait il y a des années crée un emploi présumé fictif (il est bien le seul dans ce pays !! la moitié des ministres actuels sont des emplois fictifs), ce qui est manifestement bien plus grave en matière de conflit d’intérêts que de passer en très peu de temps de l’inspection des finances à Rothschild puis à Bercy puis à la stature d’homme neuf et intègre et innovant et archi-respectueux de la déontologie.

J’ai eu pendant 7 ans affaire à la justice de mon pays pour des histoires de garde d’enfant (1ère instance, appel, cassation, au moins on peut se battre, avec la décision d’un banquier central il n’y a ni appel ni cassation) ; conclusion : c’est long et c’est cher, c’est extraordinairement inefficace et pas juste du tout, et je ne suis pas le seul à penser que tout l’édifice devrait être repensé, à commencer par les ressources humaines. Des moyens énormes sont mis en œuvre pour des affaires minuscules, des moyens lamentables sont laissés pour des affaires où se joue l’avenir de mineurs. La culture financière des juges en particulier est outrageusement lamentable, ce qui me donne presque envie de défendre Fillon alors que je ne partage pas ses idées (programme trop allemand, etc.).

Nos juges ne sont pas élus comme aux USA, et au train où vont les choses bientôt leurs pouvoirs ne se heurteront plus à un autre pouvoir. C’est la porte ouverte à toutes les fenêtres : les sources de suspicion ne manquant pas, qui empêchera un juge de pirater les élections tous les cinq ans ? Idem pour nos banquiers centraux, qui sont là pour un peu moins longtemps (sauf Yves Mersh) mais qui n’ont même pas besoin d’obtenir un diplôme ou de respecter ensuite une quelconque jurisprudence. Tout ce beau monde s’auto-congratule, se protège et se syndique (SNM pour les juges français, BRI pour les banquiers centraux du monde entier). Montesquieu, Hayek, Madison, Tocqueville, tous doivent se retourner dans leurs tombes.

D’autant qu’une autre sphère intervient pour renforcer la confusion, et au fond elle joue en faveur de l’impunité de nos nouveaux maîtres : le pouvoir médiatique, ultra-concentré (quatre ou cinq groupes commerciaux et financiers très liés aux commandes publiques contrôlent 80% des médias français) et pas toujours très compétent (entendre un journaliste parler de politique monétaire, c’est une torture). Les juges et l’agence de communication de la BCE se servent avec maestria des idiots utiles du journalisme, de sorte que les politiques se retrouvent vite coincés, surtout s’ils sont de droite et qu’ils n’ont pas passé deux ans à Bercy à leur faire de la lèche avec l’argent du contribuable. Les politiques qui passent à travers les embuches désormais sont ceux qui pactisent avec les journalistes (en leur versant au besoin quelques subsides), qui sont jeunes (pas eu le temps de gérer quoi que ce soit de sérieux, ça limite les risques de déterrer des affaires), et qui n’ont pas la moindre intention de faire bouger les choses là où se trouve le vrai pouvoir (je précise : à Francfort, pour ceux qui joueraient les Hibernatus depuis 2008).

Ça me fait un peu rigoler quand la gôche morale nous dit qu’on ne doit pas manifester contre les institutions, elle qui a fait des centaines de Bastille-Nation pendant des décennies contre ces foutues institutions bourgeoises, contre tous ces pourris de juges et de flics à la solde du grand Kapital.

Ca me fait un peut rigoler quand on me dit que les juges doivent aller loin et vite dans cette affaire. Ils ont déjà obtenu en 5 semaines ce qu’aucune loi (loi-de-la-République) n’avait obtenu en 150 ans : désormais les parlementaires y regarderont à deux fois avant d’embaucher leurs épouses. Ils ont déjà été plus loin que le constituant et que le législateur, quelle serait la nouvelle étape ?   

Ça me fait un peu rigoler quand Macron (ex-emploi fictif à Bercy) se vante d’être courageux après avoir démissionné de la fonction publique et après avoir fait financer sa campagne sans l’aide du contribuable : ces choses sont-elles si risquées quand on a la moitié du patronat derrière soi, et quand on a participé à un joli deal chez Rothschild (ce qui ne fait jamais de mal aux finances personnelles) ? S’il se rate en 2017 et en 2022, Macron terminera dans les 4 ou 5 conseils d’administration de son choix, et donnera des conférences sur la nécessaire lutte contre les conflits d’intérêts et pour l’adaptation à un monde nouveau et numérique et digital. Où est le risque ??

(petite parenthèse : on me dit, souvent au centre, que le clivage droite-gauche est dépassé, qu’il doit être remplacé par un clivage entre les gens ouverts et modernes comme Macron et des gens nationalistes comme Le Pen. Attention, attention les centristes. Car imaginons une victoire en 2017 des gens modernes, ce qui est sympathique et assez probable. Bon. A votre avis, en 2022, comment les français feront-ils jouer l’alternance dans ce schéma ??).  

Ça me fait un peu rigoler quand on dit que Fillon participe à une élection pour être le garant des institutions, et qu’à ce titre il ne pourrait pas manifester contre les juges. Absurdistan. Si j’ai bien tout compris, le Président actuel n’est pas Fillon mais Hollande (au passage, ce dernier avait des mots bien plus durs à l’encontre des juges, il y a quelques mois, dans un livre avec deux journalistes, mais passons…) : Fillon peut très bien prétendre que le pouvoir actuel n’exerce pas au mieux sa fonction (ça se voit, le monde entier est au courant) et n’assure pas optimalement le principe de séparation des pouvoirs et de neutralité (sans même parler de la présomption d’innocence, ce bout de chiffon). S’il ne peut même pas critiquer et manifester, lui le chef de l’opposition, qu’on abandonne tout de suite la liberté d’expression, ça ira plus vite, et que l’on construise des statues en or en l’honneur d’Eric Halphen et d’Eva Joly, nos nouveaux modèles d’impartialité républicaine.   

On nous dit maintenant qu’il nous faudrait un personnel politique scandinave. Désolé, c’est idiot. Je vote dans deux mois pour un type qui va avoir le contrôle de 500 ogives nucléaires, qui devrait réformer une vieille et grande Nation, et qui pourrait avoir son mot à dire sur le destin monétaire de l’Europe : pas pour un super-maire dont le point d’orgue du mandat serait d’inaugurer une école d’arts plastiques respectueuse de l’environnement. Je veux voir à l’Elysée un individu teigneux, capable d’en remontrer à Merkel et à Trump, pas un premier communiant qui va disserter à l’étranger sur nos fautes du passé (en les nommant mal, et en s’excusant à peine). Je veux voir à cette fonction un Brad Gilbert, pas un Mats Wilander. On a déjà eu un président « normal » de façon à éviter un obsédé sexuel, nous risquons cette fois de récolter un président qui n’a jamais été confronté aux réalités de terrain parce que nous aurons voulu éviter un homme mis en examen.

Fillon nous a peut-être fait perdre 1 million (si Penelope ne bossait pas), Macron et Le Pen nous feraient à coup sûr perdre des dizaines de milliards (car le pays serait ingouvernable, ils n’auront jamais 290 députés, surtout Le Pen). Dans le même ordre d’idée, le Canard enchainé nous a évité un 2e mandat d’un dangereux trafiquant de diamants qui jouait de l’accordéon, merci, mais les électeurs ont eu accès à quelques vérités dérangeantes sur son rival (son passé, son argent, sa santé, son entourage, etc.) seulement quinze ans plus tard, trop tard : la transparence à géométrie variable entretien si bien l’illusion de neutralité qu’encore aujourd’hui le palmipède s’auto-congratule à longueur de colonnes sur la qualité de ses enquêtes de l’époque, comme si le petit peuple de gauche de 1981 ou de 1988 aurait voté en masse pour un ex-vichyste, aux longues oreilles, cancéreux et compromis dans 20 scandales au moins.         

Demain, c’est décidé, je vais à la manif’ du Trocadero. Pas par sympathie vis-à-vis de Fillon, dont le gros du programme consiste à monter la TVA. Pas par sympathie vis-à-vis de ses troupes, souvent composées de petits bourgeois. En plus il fait froid, il va pleuvoir, et on peut être certain que les flics auront reçu l’ordre de balancer de la lacrymo (ne vivons-nous pas en Théo-cratie ?). Et, pour ajouter l’inutilité à la dangerosité, la Préfecture et Libération y verront 40 000 personnes, même s’il y en a trois fois plus, le script est déjà écrit dans toutes les rédactions. J’y vais quand même, et je regrette que les pancartes contre les juges et contre les médias soient interdites par les organisateurs, des mauviettes. Au rythme où vont les choses, ne pas se courber 5 fois par jour en direction du Ministère de la Justice ou du siège de L’Obs sera bientôt une révolte populiste caractérisée.

Je manifeste pour la liberté d’expression et pour le droit au blasphème contre nos nouveaux maîtres, contre le droit des médecins à décider du jour de ma mort, contre des « enquêteurs » qui passent des milliers d’heures au carré sur des affaires lilliputiennes (je viens du Pas-de-Calais, pas un seul élu socialiste n’y a pas ses cohortes d’emplois fictifs depuis des lustres !) et qui passent moins de temps sur les 30 000 viols commis en France chaque année, contre le droit de juges sans enfants à décider si je peux voir ma fille un week-end sur quatre à condition de verser un demi-SMIC par mois à une rentière, contre le droit des banquiers centraux à s’ingérer dans des affaires qui ne les concernent en rien si l’on fait l’effort de lire le Traité européen, contre l’impunité de ceux à qui on a confié une cible d’inflation en échange de leur indépendance et qui viole cette cible depuis des années, contre la prétention indépendantiste des journaleux qui vivent de subventions et de mécénats, contre la chance insolente de Macron (qui ne peut résulter que d’un pacte avec le diable, au minimum), contre l’hypocrisie de Melanchon qui ne bavardait pas autant sur la morale publique à l’époque de ses anciens mentors Francisque Mitterrand ou Hugo Chavez (dont l’ancien garde du corps a été retrouvé en Suisse avec 12 milliards de dollars), et en bref je manifeste contre la morale des temps nouveaux, morale de moins en moins utilitariste et de plus en plus « déontologique », morale de plus en plus éloignée de celle de Philippe Muray et de plus en plus conforme à homo festivus, et à homo sondagious aussi au passage.

Cette manif’ pour la démocratie est probablement un petit combat perdu d’avance, et j’imagine que les mises en examen pleuvront du coté de mars 2022 ou de février 2027, mais vous avez mieux à faire de votre dimanche après-midi ? Vous rattraperez votre repos au 2e week-end de mai, par l’abstention, et tout ira bien en France : une amende de 200 000 euros pour le couple Fillon, un nouveau locataire illégitime à l’Elysée, mais l’indépendance des juges en sortira renforcée, c’est l’essentiel.

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