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Quand Jean-Luc Mélenchon oublie que l’appartenance à la zone euro rend son programme irréalisable
©Reuters

C'est la fête !!

273 milliards d'euros de relance par la dépense publique, dont 100 milliards d'investissements, et une inflation à 4%, le programme de la France Insoumise propose de sortir la France de la crise....et d'entrer dans une autre.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Atlantico : Ce dimanche 19 février, Jean Luc Mélenchon et ses proches présentaient le chiffrage du programme économique de la "France Insoumise", notamment en prévoyant une hausse de la dépense publique de 273 milliards d'euros, dont 100 milliards d'investissement public. Quelle est la cohérence d'un tel projet ?

Nicolas Goetzmann : Le programme de Jean Luc Mélenchon est très clair, il s'agit d'une relance keynésienne, c’est-à-dire d'une relance de l'activité par le biais de la dépense publique, financée par une hausse des prélèvements pour une part, et par l'emprunt en ce qui concerne l'investissement. Ce qui surprend au premier coup d'œil, ce sont les montants envisagés. 273 milliards d'euros, cela correspond tout de même à une augmentation de 20% des dépenses publiques du pays, qui affiche déjà un ratio parmi les plus élevés au monde, avec 57% de dépenses sur PIB. Concernant les investissements publics, il s'agit d'une augmentation de 100 milliards d'euros alors que le montant annuel actuel est de 75 milliards, il s'agit donc d'une progression de 128%. La plus grosse faille d'un tel programme, au-delà des montants proposés qui sont vertigineux, est théorique, et peut être mise en évidence avec le cas japonais. Lors des décennies 90 et 00, le Japon est frappé par une crise de sa croissance, et une situation de déflation, ce qui est finalement très proche de ce qui se passe en Europe. Au cours de cette période, le Japon a investi massivement au travers de la dépense publique, notamment sur ses infrastructures. Au final, le pays a conservé sa croissance 0, mais a fini son expérience avec un taux d'endettement largement supérieur à 200% de son PIB. Ceci pour une raison simple, la politique monétaire agissait en frein à la relance budgétaire. Et le même phénomène s'est produit en Europe entre 2009 et 2011 ; les gouvernements européens ont répondu à la crise par un surplus de dépenses, mais la Banque centrale européenne a contré le mouvement en rehaussant ses taux directeurs au cours de l'année 2011. Ce problème est aujourd'hui bien connu, et est régulièrement appelé "the Sumner critique", du nom de l'économiste qui a pu le développer. S'il est vrai que le pouvoir budgétaire peut relancer l'économie, en soutenant la demande, on a tendance à oublier que le "maître" de la demande est la Banque centrale. Or, pour le moment, la BCE veille à ce que l'inflation de la zone euro ne dépasse pas les 2% sur le moyen terme. Dès lors, si une relance de 273 milliards d'euros avait lieu, les anticipations de croissance et d'inflation seraient alors sérieusement revues à la hausse, ce qui provoquerait une réaction immédiate de la BCE, qui relèverait ses taux directeurs afin de ramener les anticipations exactement au niveau souhaité, c’est-à-dire à 2% d'inflation sur le moyen terme. Le pouvoir monétaire neutraliserait totalement la relance budgétaire, et la France se retrouverait avec une dette supplémentaire conséquente, et ce, sans ses bénéfices.

Cependant, un soutien des dépenses d'investissement public, notamment des infrastructures, n'est pas en soi une mauvaise idée, cela est même recommandé par de nombreux organismes internationaux, comme le FMI. Mais même en prenant la fourchette la plus large, un montant de 50 milliards d'euros étalé sur une durée de 5 ans, paraît être un maximum au regard des besoins du pays. (Et même le MEDEF propose de tels montants) Mais l'essentiel, pour une telle mesure, est qu'elle soit accompagnée d'une politique monétaire cohérente, c’est-à-dire une politique de relance, ce qui permettrait de réaliser ces investissements sans emprunt, sans alourdir la dette, et sans augmenter les impôts, c’est-à-dire en le finançant sur l'accroissement des recettes fiscales provoqué par le soutien monétaire de la croissance.

Pourtant, Jean Luc Mélenchon indique que son programme débouchera sur une baisse de l'endettement du pays, en raison des conséquences de la croissance sur les rentrées fiscales,  celle-ci découlant de la hausse des dépenses d'investissement. Quelle est la crédibilité d'une telle hypothèse ?

On l'a vu, ce programme ne tient pas dans le cadre actuel européen. En réalité, le projet de Jean Luc Mélenchon suppose une sortie de l'euro et une Banque centrale dévouée. Concernant l'investissement, ce qui pose problème, c'est que si Jean Luc Mélenchon identifie justement le manque d'investissements en France, sa réponse ne résout pas grand-chose. Parce qu'en utilisant la dépense publique pour pallier le manque d'investissement privé, on se prive de la question la plus importante ; pourquoi les dépenses d'investissement privé sont-elles si faibles ?  Et là, la réponse est simple : parce que les anticipations de croissance sont faibles. Avec des perspectives de croissance plus fortes, les entreprises choisiront de réduire la distribution de dividendes pour investir dans l'avenir, ce qui est l'assurance de gains économiques futurs. Or, pour que ces prévisions de croissance se relèvent, et comme cela a été évoqué plus haut, c'est une révision de politique monétaire qui doit être menée avant tout. L'investissement public peut être une très bonne courroie de transmission, elle peut ouvrir la voie pour l'investissement privé, mais elle ne peut s'y substituer. Jean Luc Mélecnhon réitère réellement l'erreur japonaise qui a duré pendant près de 20 ans. 

Une croissance à 2%, une inflation à 4%, sur quelles bases Jean Luc Mélenchon peut-il parvenir à de tels résultats ?

Cela ne semble pas du tout cohérent au regard de ce qui a pu se passer ailleurs. Lorsque les États Unis ont relancé leur économie avec le soutien de la FED, les taux de croissance trimestriels ont régulièrement dépassé les 3% et l'inflation ne décollait pas. Ceci pour une raison simple, il y avait beaucoup de lest dans l'économie du pays, et la relance permettait d'abord d'utiliser toutes les forces inexploitées dans le pays avant de voir progresser l'inflation. Parce que l'inflation est avant tout une conséquence de la hausse des salaires, et cette hausse ne se produit réellement que lorsque le plein emploi est atteint. De plus, une inflation à 4% signifie surtout que le plein potentiel du pays sera exploité, et même surexploité, entrainant une nouvelle dérive économique pour le pays. S'il est absurde de constater une inflation aussi faible au sein du continent européen, comme cela est le cas actuellement, il serait tout aussi absurde de vouloir faire l'inverse. L'important est d'avoir une croissance et une inflation conformes au potentiel du continent. Elle est trop faible aujourd'hui, mais ce que propose Jean Luc Mélenchon est trop important. Cela signifie qu'il cherche à diluer le poids de l'endettement au travers de l'inflation. D'autant plus que si l'on additionne les prévisions de croissance et d'inflation, soit 2% et 4%, on obtient une croissance nominale de 6%, soit un total 50% plus élevé que ce qui a pu être constaté entre 1997 et 2007, lorsque la zone euro "allait bien". Jean Luc Mélenchon propose de sortir d'une crise monétaire pour en entraîner une nouvelle. D'autant plus qu'une croissance nominale de 6% laisse entrevoir des taux d'intérêts à long terme voisins de 6%. 

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