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Cette carte d’Eurostat qui souligne l'étonnante répartition des inégalités de PIB par région en Europe
©Reuters

A plus grande échelle, ça donne ça...

Le contexte européen de faible croissance économique ces trente dernières années explique la relative stabilité de la géographie économique du continent.

Eurostat, l'agence européenne de statistiques, a récemment publié une carte révélant le niveau du PIB par habitant en parité de pouvoir d'achat dans chaque pays européen pour l'année 2014, en tenant compte de la moyenne pour l'UE 28 pour cette même année. Nous avons fait commenter cette carte par Laurent Chalard, docteur en géographie de l'université Paris-IV Sorbonne. 

L’analyse de la carte du produit intérieur brut par habitant en parité du pouvoir d’achat selon les régions européennes en 2014 révèle une certaine stabilité de la géographie économique du continent, les principales zones de richesse et de pauvreté étant à peu près les mêmes qu’au début des années 1990, à l’exception notable de certaines régions irlandaises qui se sont hissées parmi les régions riches, grâce à la croissance économique soutenue de la République d’Irlande des années 1990-2007. Cette stabilité n’a rien de surprenant étant donné le contexte européen de croissance économique molle des trente dernières années, qui n’a pas permis aux processus de redistribution productive, relativement lents et peu importants, de changer en profondeur la carte européenne de la production de richesse.

Cette carte permet d’individualiser des zones de force et de faiblesse de la richesse productive par habitant, qui recouvrent chacune des territoires aux caractéristiques différenciées, c’est-à-dire qu’il n’existe pas un modèle unique de régions peu productives ou très productives de richesse par habitant.

Les zones de force européenne de la richesse productive par habitant

1/ Le rôle joué par la "dorsale européenne"

Sans être géographe, il saute aux yeux pour tout observateur attentif de cette carte qu’il existe une zone de richesse occupant une position relativement centrale, allant des côtes de la mer du Nord, de la Flandre belge et des deux régions de Hollande aux Pays-Bas, jusqu’à l’Emilie-Romagne en Italie, en passant par l’axe rhénan en Allemagne, la Suisse, l’Autriche occidentale et la Lombardie. Ce grand axe de richesse, mis en avant par les géographes français dans les années 1980, est dénommé traditionnellement "dorsale européenne", même s’il a pu être affublé d’autres noms comme la "mégalopole européenne" ou la "banane bleue" du géographe Roger Brunet. Cet ensemble conserve toujours en 2014 son leadership productif au sein du continent, qui repose sur le potentiel industriel le plus puissant, confirmant que l’industrie, quand elle est bien intégrée au marché mondial, demeure un moteur de richesse d’un territoire.

Par ailleurs, le tissu urbain de la dorsale se caractérise par l’importance de métropoles de taille moyenne, comptant, en règle générale, moins de 2 millions d’habitants, et par son dense tissu de petites et moyennes villes dynamiques, ce qui sous-entend que la prospérité est possible en-dehors des très grandes métropoles. Dans ce cadre, l’agglomération de Bâle en Suisse (800 000 habitants avec ses banlieues française et allemande), capitale mondiale de l’industrie pharmaceutique, avec les sièges de Roche et Novartis, en constitue un bon exemple.

2/ Les métropoles qui se développent au détriment des pays 

En-dehors de la "dorsale européenne", parmi les autres régions à la production de richesse par habitant importante, se distinguent des régions dispersées, mais qui présentent les mêmes caractéristiques, aussi bien en Europe occidentale qu’en Europe orientale. Ce sont les régions abritant des métropoles très peuplées, qui émergent comme des îlots de production de richesse au sein de territoires, en règle générale, beaucoup moins riches. On retrouve sans surprise parmi ces grandes agglomérations, les deux-villes globales du continent, Paris et Londres, mais aussi d’autres métropoles de taille moindre, mais à la richesse certaine, comme Madrid en Espagne, Berlin dans l’ex-Allemagne de l’Est, Stockholm en Suède, Helsinki en Finlande, Oslo en Norvège, Copenhague au Danemark, Rome en Italie, Prague en République Tchèque, Bratislava en Slovaquie ou encore Bucarest en Roumanie.

Contrairement à la "dorsale européenne", ces métropoles sont à dominante largement tertiaires, l’industrie jouant un rôle bien moindre dans leur richesse, à l’exception notable de l’Europe de l’Est. Ce sont toutes des capitales d’Etat, qui ont tendance à se développer au détriment des régions avoisinantes, comme c’est le cas pour Madrid, une agglomération de 6 millions d’habitants, capitale culturelle du monde hispanique, dont le dynamisme se démarque du reste des plateaux centraux du centre de l’Espagne, relativement déserts et peu productifs.

3/ Les zones pétrolières de la mer du Nord

Enfin, une troisième zone de richesse productive par habitant importante apparaît sur la carte, en bordure de la mer du Nord en Norvège, mais aussi dans la région d’Aberdeen en Ecosse, qui correspond aux régions qui bénéficient des retombées financières de la production d’hydrocarbures exploités à l’aide de plates-formes en pleine mer depuis les années 1970. En effet, ces régions étant relativement peu peuplées, elles bénéficient d’une rente énergétique qui leur assure un niveau de vie élevé, sur le modèle des émirats du Golfe arabo-persique. La ville de Stavanger en Norvège, qui est le principal pôle de l’industrie pétrolière du pays, en constitue l’exemple-type, affichant une croissance démographique élevée pour une ville de taille modeste (120 000 habitants). 

Les zones de faiblesse européenne de la richesse productive par habitant

1/ La faible richesse persistante de l’Europe orientale en-dehors des grandes métropoles

En contraste avec la riche "dorsale européenne", l’analyse des territoires européens à la faible richesse productive par habitant, fait émerger un bloc relativement compact, dans lequel ne se démarquent que les quelques métropoles précédemment mentionnées, correspondant à la quasi-totalité des régions situées à l’Est du continent, c’est-à-dire les anciens territoires communistes (y compris l’ex-Allemagne de l’Est), qui se caractérisent par une richesse productive par habitant qui demeure très inférieure à la moyenne européenne. En effet, suite à l’effondrement du système communiste, les régions rurales et à dominante industrielle ont vu leur niveau de production, et donc de richesse, atteindre des niveaux très bas, très éloignés des niveaux de production ouest-européens. En conséquence, même si ces régions affichent désormais des taux de croissance économique plus importants qu’à l’Ouest, elles partent d’un niveau tellement faible qu’il leur faudra des décennies pour rattraper leur retard vis-à-vis de l’Ouest. En effet, une région comme le Banat en Roumanie évoque plus le tiers-monde que les riches campagnes d’Europe occidentale ! 

2/ Le maintien d’un retard de développement des régions périphériques méridionales des pays d’Europe méditerranéenne

L’autre grand ensemble de régions de faible richesse productive par habitant, qui émerge de manière flagrante à la lecture de la carte, correspond aux régions périphériques d’Europe méridionale, soit la quasi-totalité du Portugal, le Sud de l’Espagne, dont l’Andalousie, province la plus peuplée du pays, l’Italie méridionale, dont la Campanie (Naples) avec les îles (Sicile et Sardaigne), et la quasi-totalité de la Grèce. Ces régions étaient déjà en retard de développement dans les années 1980, mais les politiques de développement européennes n’ont pas réussi à leur faire rattraper le niveau de vie du reste du continent, du fait de problèmes structurels : clientélisme, mafia, faible investissement productif… Il s’ensuit la persistance de déficits migratoires internes conséquents, comme de la Calabre vers la moitié Nord de l’Italie. 

3/ Des régions rurales et anciennement industrielles d’Europe de l’Ouest à la relative faible richesse productive par habitant

Enfin, un dernier type de régions, dispersées au sein de l’Europe de l’Ouest sur la carte, mais qu’il est possible de regrouper en deux ensembles, présente une faible richesse productive par habitant, même si elle est, en règle générale, un peu plus importante qu’en Europe de l’Est et qu’en Europe méridionale, car ces régions appartiennent à des pays historiquement développés. D’un côté, nous avons affaire à des régions rurales, comme le Pays de Galles en Grande-Bretagne et les régions du Centre de la France. Ce sont des régions à l’industrie peu importante et sans grandes métropoles tertiaires suffisamment peuplées pour entraîner l’économie des territoires avoisinants. D’un autre côté, se retrouvent des régions de tradition industrielle en reconversion, dont le tissu productif est moins source de richesse que par le passé. Ce sont des régions de la moitié nord de l’Angleterre, ancien bastion de la Révolution industrielle mondiale, dont les Midlands et l’Angleterre du Nord-Est (autour de Newcastle), le Nord-Pas-de-Calais et la Lorraine en France, la Wallonie en Belgique, berceau de la Révolution Industrielle sur le continent. L’agglomération de Charleroi en Belgique, considérée comme "la plus moche" du continent par les Néerlandais, constitue la quintessence de ce type de territoire.   

En définitive, l’analyse détaillée de cette carte témoigne de la grande difficulté à réduire les inégalités territoriales en Europe sur le long-terme, les processus de redistribution n’apparaissant pas suffisamment importants pour permettre aux régions en retard de développement de rejoindre, voire de dépasser, la moyenne européenne. La rare réussite de la République d’Irlande, relevant du cas particulier d’un pays qui s’est transformé en une interface entre les Etats-Unis et l’Europe, apparaît difficilement reproductible ailleurs.

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