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77% des Belges ne “sentent plus chez eux comme avant dans le pays” : cette fracture politique qui se répand en Europe et qu’on aurait tort d’assimiler à de la xénophobie sous peine d’aggraver le problème
©Reuters

Etude belge

Une enquête choc sur le "vivre ensemble" en Belgique est parue dans le journal "Le Soir". Pour 77 % des Belges, "on ne se sent plus chez soi comme avant" dans le pays. Entre biais idéologique et procès d'intention, est-il devenu impossible de se questionner sur des sujets sociétaux en France sans se faire taxer de xénophobes?

Yves Roucaute

Yves Roucaute

Yves Roucaute est philosophe, épistémologue et logicien. Professeur des universités, agrégé de philosophie et de sciences politiques, docteur d’État en science politique, docteur en philosophie (épistémologie), conférencier pour de grands groupes sur les nouvelles technologies et les relations internationales, il a été conseiller dans 4 cabinets ministériels, Président du conseil scientifique l’Institut National des Hautes Etudes et de Sécurité, Directeur national de France Télévision et journaliste. 

Il combat pour les droits de l’Homme. Emprisonné à Cuba pour son soutien aux opposants, engagé auprès du Commandant Massoud, seul intellectuel au monde invité avec Alain Madelin à Kaboul par l’Alliance du Nord pour fêter la victoire contre les Talibans, condamné par le Vietnam pour sa défense des bonzes.

Auteur de nombreux ouvrages dont « Le Bel Avenir de l’Humanité » (Calmann-Lévy),  « Éloge du monde de vie à la française » (Contemporary Bookstore), « La Puissance de la Liberté« (PUF),  « La Puissance d’Humanité » (de Guilbert), « La République contre la démocratie » (Plon), les Démagogues (Plon).

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Une enquête choc sur le "vivre ensemble" en Belgique est parue dans le journal "Le Soir". Pour 77 % des Belges, "on ne se sent plus chez soi comme avant » dans le pays.“  Les institutions sont délégitimées, les valeurs-ciment s’effritent, l’individu est soumis à diverses dominations avec un sentiment d’une faible capacité à agir, ce vécu de victimes fait que la peur domine", analyse Benoît Scheuer dans "Le Soir". Est-ce qu'en France les réponses à une enquête du même type pourraient être similaires ?

Yves Roucaute :  D’abord, je ne suis pas sûr qu’en France, on puisse faire ce genre d’enquête. Tout simplement parce que la chape de plomb idéologique est tellement forte que la question du malaise français ne peut même pas être énoncée. C’est d’autant plus grave que ce malaise est celui des classes populaires. C’est d’abord dans les quartiers populaires que la question se pose de savoir comment les Français ressentent leur mode de vie. Dans la mesure où on ne peut pas poser la question, on ne peut pas y répondre. C’est l’effet pervers de cette impossibilité de démontrer les choses qui fait que les élites ont du mal à appréhender le contenu de ce mal-être. On mélange alors beaucoup de choses car on est obligé d’imaginer le contenu de ce mal-être au lieu de faire une enquête qui pourrait nous éclairer sur les causes des difficultés qu’ont les gens avec le vivre ensemble.

Beaucoup de gens ont le sentiment qu’un certain nombre de valeurs s’effritent. On a assisté ces 30 dernières années à une montée à l’extrême des incivilités. Le fameux mode de vie français est mis en cause et c’est assez grave car le processus d’identité commence par la reconnaissance de soi. Cette reconnaissance implique que l’on doit pouvoir se retrouver sur la langue, les coutumes, les fêtes… Chaque société est construite ainsi sur un langage, des us et coutumes, des valeurs. La montée des incivilités est liée au fait que certains habitants ne jouent pas le jeu. Il y a un sentiment d’étrangeté qui en ressort et qui peut conduire dans certains lieux à un malaise, voir, à moyen terme, à des révoltes. Quand ces révoltes passent par le système électoral, c’est une bonne solution, mais cela ne se passe pas toujours de cette manière.

L'arrivée d'un groupe de personne sur un endroit donné a forcément des conséquences à court moyen ou long terme. Pourtant, ce type de résultat est rapidement interprété comme l'expression d'une xénophobie, d'un racisme qui serait latent dans les sociétés occidentales. D'où vient cette incapacité à regarder le sujet de manière dédramatisée, et donc de manière plus lucide ? Et en quoi ce biais de raisonnement s'avère-t-il dangereux pour le débat public ?

Nous avons affaire en France à une vieille idéologie qui nous vient des années 60/50 qui consiste à penser que, par définition, c’est à ceux qui reçoivent de faire l’effort d’accueillir ceux qui sont reçus. Les Français, la France, devait faire l’effort d’intégrer les populations qui arrivent. Cette intégration, à la suite notamment des thèses fumeuses de Bourdieu, Foucault, et quelques autres reprises par la gauche socialiste, devait se faire sur le coup de ce que l’on appelle "le droit à la différence". Ça signifiait que les intégrés avaient le droit de conserver leur précédent mode de vie. Jamais la France n’a refusé de laisser des réfugiés ou des migrants conserver un certain nombre de leur coutume. On n’a jamais demandé aux juifs qui se réfugiaient en France de cesser d’être juifs. Elle n’a pas demandé aux Algériens de ne plus être musulmans. L’assimilation ne signifie pas que l’on refuse la différence, ça signifie que l’on refuse le "droit à la différence". Il y a des différences admissibles et d’autres qui ne le sont pas, c’est pareil dans toutes les sociétés. Le malheur des années 50/60 c’est d’avoir fait croire que toutes les différences étaient admissibles. Cela été un grand malheur car, du coup, quand il a fallu commencer à réprimer un certain nombre de pulsions, d’instinct, de mœurs comme l’ablation du clitoris, la polygamie, le fait d’interdire aux femmes d’aller à l’école… On s’est retrouvé avec une grosse difficulté théorique et politique. Il a fallu interdire des coutumes alors que la gauche et une partie de la droite vivait sur ce principe de droit à la différence. Le débat est revenu avec l’interdiction de la Burka lorsque la gauche a systématiquement refusé de voter cette interdiction.

Lorsque vous êtes à l’étranger et que vous ne parlez pas la même langue, que vous n’avez pas les mêmes coutumes que les locaux, vous vous sentez étranger. Lorsque le même scénario se reproduit dans une cité, là aussi vous vous sentez étranger. Le bon sens le comprend très bien. C’est pour ça que des Français se ressentent étrangers dans leur propre pays. Dire ça n’est qu’un constat. Le constat de quelque chose qui s’est produit et qui tient au fait que l’on a laissé le droit à la différence s’installer et que l’on a sapé les fondements de la République

Comment analyser ce sentiment de dépossession (légitime ou pas) que peuvent ressentir les locaux ? Et quelle tonalité, quel discours faut-il selon vous adopter pour y répondre ? 

Au fond j’ai envie de dire que l’on commet deux erreurs. On est d’abord dans l’incapacité de défendre notre république et la deuxième erreur c’est que si on laisse un certain nombre de ces migrants croire qu’ils peuvent vivre en dehors des mœurs et des usages de la société française, alors qu’il suffirait, quand sont enfant, de leur expliquer, pour qu’ils soient assimilés et vivent très bien avec nous. Le fait est que du coup nous créons nous même notre propre tombeau. Nous creusons nous même la tombe de la France. Notre propre laxisme et le fait que l’on n’impose pas de barrières de manière claire, du coup on perturbe les enfants et on alimente les flux morbides, anti républicains, anti Français dans le pays.  En ce sens, c’est extrêmement dangereux et c’est dans ce sens où le débat public a intérêt à être clair et clairvoyant. Il faut éviter le racisme la xénophobie. On l’évitera d’autant mieux lorsque l’on parlera des faits et que l’on reconnaîtra publiquement que la société française est généreuse mais qu’elle a des fondements solides, des limites et des frontières claires. 

Il suffit d’aller se balader dans les quartiers nord de Marseille, à Trappes pour se rendre compte de l’étendue du problème. Bien sûr les tartufes de gauche vont répondre qu’il y a des gens qui ressentent ce malaise alors qu’ils vivent à la campagne, dans des villages où il n’y a même pas ce genre de problèmes. Sauf qu’à l’heure d’Internet, de la télévision, de la radio ça n’existe pas des villes et des villages coupés du reste du pays. Tout le monde est au courant. On a un malaise général. L’Etat ne prend plus en charge, ne lutte plus contre ce malaise. Pour y répondre, il n’y a qu’une seule solution, c’est la recherche de la vérité, faire l’analyse de situations concrètes, des rapports sociaux, des questions éthiques, religieuses, des modes de vie. A partir de là il faudra dire « voilà ce qui est interdit, voilà ce qui ne l’est pas », voilà ce qui est autorisé, voilà ce qui ne l’est pas. Le discours ne doit pas être agressif, il doit être clair, ferme et un discours qui annonce les répressions contre ceux qui violent les lois de la République. C’est un discours que les Français attentent. Ils n’attendent pas la haine, ils attendent la fermeté, et pas l’inverse. Les Français sont un peuple généreux, qui a accueilli beaucoup de monde mais qui croit à ses modes de vie et veulent qu’ils soient respectés.

S'interroger et essayer de trouver des réponses à des problèmes ou des inquiétudes fondées ou infondées constitue la base du vivre ensemble. Est-ce que paradoxalement, ceux qui prônent le plus ardemment le vivre ensemble et se rependent en procès d'intention ne sont pas ceux qui le menacent le plus?

C’est sans doute là le grand paradoxe de cette gauche. D’un côté, elle prétend au vivre ensemble et de l’autre côté, elle croit que pour y parvenir, il faut balancer les règles du vivre ensemble. Au fond si on reprend ce fameux "droit au vivre ensemble" qui est une des sources de nos maux actuels, on se rend compte qu’il est officiellement pour intégrer les populations mais dans la mesure ou justement il n’y a plus d’espaces intégrés, cela conduit à la désintégration. Si vous voulez intégrer quelqu’un à une équipe de sport vous ne commencez pas par lui dire « toi tu vas dans cette équipe et tu joues comme tu veux ». Ce n’est pas de cette manière que l’on intègre. La vérité c’est que chacun le comprend. Ceux qui parlent le plus de citoyenneté d’intégration, de vivre ensemble sont en général ceux qui cachent leur lâcheté vis-à-vis de la nécessité de prendre des positions fermes pour justement construire quelque chose un ensemble où les gens puissent s’intégrer et intégrer cette « équipe » et ne pas « tirer contre notre camp ». Il est très symptomatique de voir que, avec l’expérience gouvernementale, une partie de la gauche est revenue à un sens plus responsable de la république. La fameuse déliquescence des années 50/60 a pris fin pour une partie de la gauche qui est devenue plus réaliste et qui se rend compte qu’en effet il faut affronter les problèmes auquel font face les Français. Mais elle n’a pas encore les moyens de le faire. On voit en particulier aujourd’hui comment Manuel Valls revient sur quantité de positions qu’il avait lorsqu’il était premier ministre. Cela prouve que pour être élu, les socialistes doivent faire preuve de démagogie et de laxisme. Et lorsque l’on ajoute au déni de réalité la condamnation de ceux qui montrent du doigt cette réalité, cela crée un processus psychologique assez simple à comprendre.

Ces gens qui crient au feu, on les dénonce comme incendiaires. De ce fait on les exclue et on participe à alimenter leur haine et délégitimant leurs souffrances et leurs inquiétudes.

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