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The Americans, de la série de Netflix à la réalité : le manuel du KGB pour recruter des Américains
©wikipédia

THE DAILY BEAST

Un vieux manuel soviétique pour espions nous dit beaucoup de choses sur l'état d'esprit des agents d'aujourd'hui, et pas seulement des Russes.

The Daily Beast par Michael Weiss

« En étudiant les Américains, notre service basé en Italie a identifié un certain nombre de lieux visités par les Américains qui travaillent dans des installations qui sont des cibles intéressantes pour notre service de renseignement. Il a été possible de déterminer que les Américains fréquentent systématiquement les mêmes bars, restaurants et lieux de loisirs. Les Américains se sentent presque à la maison dans ces lieux : Ils boivent beaucoup, se comportent de manière très libre et chantent fréquemment. Les femmes américaines, surtout les épouses des Américains qui sont en déplacement pour une affectation temporaire, boivent et ont des relations avec d'autres hommes ».

Il y a quelque chose de presque rassurant dans cette observation, trouvée dans un vieux manuel du KGB sur le recrutement des agents américains, tant à l'intérieur et à l'extérieur des États-Unis.

Mis à part le stéréotype de bourgeois rustre qui s’ennuient bruyamment à l’étranger, alors que nous sommes dans une Guerre Froide 2.0 c’est un rappel utile de la difficulté qu’ont les espions russes à comprendre la vie des autres.

Aujourd'hui, les agents envoyés par Moscou sont susceptibles de porter des montres Breguet, d’avoir des comptes offshore, et d'éduquer leurs enfants avec l'élite dans des internats suisses. Ils voyagent en bateau ou en jet privé pour rencontrer des PDG, et magnats de l’immobilier à Davos, Chicago ou New York.

Mais ce n’a pas été pas toujours comme ça. Il fut un temps, ou les agents du KGB étaient des serviteurs silencieux de l'Etat, ils ne le dirigeaient pas comme aujourd’hui.

Seuls 100 exemplaires de ce manuel intitulé "La pratique du recrutement des Américains aux États-Unis et dans des pays tiers"  ont été imprimés. Il a été obtenu au cours de l'ère Brejnev par un service secret occidental. Il est paru dans le magazine Reader’s Digest en supplément d’une histoire du KGB, signée John Barron en 1974. Il a été publié "en conformité avec le plan de travail de rédaction et la publication de l'école n°101, approuvé par la direction du Chef du Directorat du KGB sous le contrôle du Conseil des ministres d’U.S.S.R." Les auteurs sont Y.M. Bruslov, N. S. Skvortsov, L.A. Byzov, V. M. Ivanov et N.G. Dyukov, aucun n’est devenu particulièrement célèbre, peut-être parce qu’ils ont sagement suivi leurs propres conseils.

Même si la prose de ce texte historique peut paraître guindée ou superficielle, elle montre quand même les outils et les talents de manipulateurs des agents de l’Est, décrits par leurs concepteurs. Le style a peut-être changé mais pas la substance.

Par exemple, la listedes cibles pour "recruter un agent" aux États-Unis continue d'être ce qu'elle était autrefois. Les cibles les plus recherchées sont les membres du Conseil national de sécurité du Président. Intéressants mais plus abordables sont les fonctionnaires du Département d'Etat (qui, sous l'administration de Roosevelt, ont été infiltrés par des taupes soviétiques, telles que Alger Hiss), du Pentagone, du CIA et du FBI, des grandes institutions financières ou industrielles,  sans oublier les collaborateurs des centres scientifiques, les partis politiques, le commerce les syndicats et les médias.

Ceux qui ont un tropisme idéologique qui leur font apprécier le Kremlin et regarder avec dédain leur propre société, ainsi que employés du gouvernement américains mécontents, continuent d'être considérés comme plus intéressants que les mercenaires prêts à commettre une trahison pour de l’argent. Mais quand la motivation financière est mise en avant, il y a une vision quasi-comique au caractère national filtré à travers le prisme du réalisme socialiste:

"L'utilisation correcte de la motivation financière nécessite une compréhension de la psychologie de l'Américain, qui considère l'argent comme le seul moyen d'assurer sa liberté et son indépendance personnelle, ce qui lui permet de satisfaire ses besoins matériels et spirituels besoins. Pour l’Américain moyen, cette attitude envers l'argent le rend indifférent aux moyens par lesquels il l’obtient... En même temps, il faut garder à l'esprit, que le maintien de ce haut niveau de vie se fait en pillant les peuples des autres pays. En conséquence, il serait erroné de penser qu’un employé d'une institution fédérale américaine puisse être encouragé à collaborer avec les services secrets soviétiques pour une bouchée de pain ".

Robert Hanssen, l'agent du FBI qui a volé et fourni des secrets américains à Moscou pendant les derniers jours du communisme et jusqu'à l'ère Poutine, a reçu 1,4 million de dollars en espèces et en diamants sur une période de 22 ans, soit l'équivalent de 10 fois la pension annuelle d’un employé du gouvernement. Aldrich Ames a envoyé au moins 10 de ses collègues de la CIA à la mort pendant les 9 ans qu’il a passé comme agent double, tout en donnant aux Russes l'identité d’agents américains engagés dans des opérations secrètes avant de finalement se faire prendre en 1994 avec sa complice.

Compte tenu de l'efficacité du FBI en matière de contre-espionnage, (récemment mis en évidence, en 2010, par la capture d'un réseau d'espionnage russe de 10 personnes, dont Anna Chapman était la figure de proue) il y a la peur constante d'être démasqué par un agent américain chargé de dénicher les espions russes.

Les Dangles, nous sommes prévenus, sont toujours prêts à travailler avec un gouvernement étranger ennemi et ils sont particulièrement désireux d'être indemnisés pour le faire. Lorsque le lien est rompu avec leurs contacts, ils sont ceux qui tentent le plus assidûment de sauver ou restaurer la relation. À certains égards, les dangles ont une ressemblance avec le président élu Donald Trump. Leur comportement trop zélé ou paranoïaque peut parfois être trompeur. Dans le cas de Donald Trump, «trop beau pour être vrai » doit être une phrase entendue souvent parmi les maîtres espions russes.

Lorsque Philip Agee, est entré dans l'ambassade soviétique de Mexico en 1973, pour proposer des informations sur les opérations de la CIA, l’antenne du service de renseignement soviétique a trouvé cela trop beau pour être vrai et l’a renvoyé d’où il venait. Alors Agee a proposé ses services à Direccion General de Inteligencia de Cuba, qui selon Oleg Kalugin, alors chef de la division de contre-espionnage du KGB, " a partagé les informations données par Agee, avec nous. Quand je me suis assis dans mon bureau à Moscou, en lisant des rapports sur la liste croissante des révélations venant de Agee, je maudissais nos agents qui ont refusé ses offres de service ".

Agee a grillé quelque 2.000 agents de la CIA en poste partout dans le monde, tout en se présentant comme un lanceur d’alerte diffusant de sales petits secrets comme Assange, célébré par la gauche internationale, alors même que c’était l’un des principaux atouts de Kalugin et du KGB.

Le manuel du KGB évoque aussi, le cas extraordinaire d'un autre dangle qui n’en était pas un.

Il s’agit d’un citoyen américain nommé «Bey», né en Inde, qui travaillait pour la Voix de l'Amérique, une radio soutenue par le gouvernement des Etats-Unis. Sa femme était secrétaire de l'attaché militaire de l'ambassade d'un des pays de l'Est. Un agent du KGB l’a suivi grâce à sa plaque d'immatriculation jusque dans une pharmacie, probablement à Washington. Ils ont engagé la conversation, et l'espion, s’est présenté comme un diplomate soviétique.

Bey a invité son nouvel ami à dîner et à rencontrer sa femme. Réalisant peut-être qui était vraiment son invité, Bey a commencé à critiquer l'Occident et posé des questions telles que où acheter une version en langue anglaise de Das Kapital. Dans le cadre de son travail, Bey a dit qu'il avait souvent voyagé au Moyen-Orient et il avait constaté un certain ressentiment anti-américain, principalement  en raison de l'appui de Washington à l'Etat d'Israël. Les Arabes, à l'époque, appréciaient de plus en plus l'Union soviétique.

Beys a finalement dit à son nouveau confident qu'il avait écrit une série d'articles critiques de la politique étrangère des Etats-Unis, mais pas pour la Voix de l’Amérique. Au lieu de cela, il l’avait publiée sous un nom d’emprunt dans un journal régional. Il se demandait si la Russie serait intéressée pour la publier dans la presse soviétique? L'officier du KGB lui a dit qu'il allait vérifier auprès d’un éditeur qu'il connaissait. La proposition de Bey a été acceptés, et il a touché 100 dollars.

Mais il a provoqué des soupçons. Il a demandé à interlocuteur de ne jamais appeler depuis l'ambassade soviétique au cas où sa propre ligne serait écoutée.

"Il était tout à fait clair," dit le manuel "qu’à bien des égards la conduite Beys de ce similaire était étrange. Ses affinités idéologiques et sa sympathie pour l’Union Soviétqiue étaient incompatibles avec son travail; il y avait aussi le fait qu'il avait des parents à l'étranger qui étaient membres du Parti communiste ; sans oublier les liens de sa femme avec un autre service secret. Tout cela pouvait avoir été calculé pour attirer l’attention de notre service de renseignement sur lui : y compris l’initiative de Beys pour l'écriture d'articles contenant des informations qui pouvaient intéresser nos services; et le fait qu’il ait exprimé la crainte que le FBI découvre son contact avec l'officier du service de renseignement ".

Beys a été contacté par le FBI et a dit à son gestionnaire qu'il avait menti et dit au gouvernement fédéral fait qu'il n'avait pas de contact avec des étrangers. La communication avait été rompue pendant des semaines avec les Russes jusqu'à ce qu’il redemande (de manière provocante) plus d'argent.

"Outre le risque, j'y passe beaucoup de temps. Je ne suis pas assez riche pour le faire gratuitement. Je me rends compte que si j’écris des articles pour vous, tôt ou tard, je vais me retrouver sur la chaise électrique. Je suis sûr que le FBI surveille chacun de vos mouvements. Un jour ils vont découvrir nos contacts et ce sera la fin pour moi. Je ne veux pas perdre ma vie ici, dans ce maudit pays de gangsters et de criminels politiques. Vous savez que je travaille dans une institution fédérale, et j’ai fait le serment d’informer le service de sécurité de tous mes amis et contacts. Si je les cache, non seulement je peux perdre mon travail mais je peux aller en prison. Par conséquent, si vous voulez que je vous donne des infos non officielles, je dois savoir précisément le montant de mes honoraires afin de peser le pour et le contre, entre les risques d'y laisser ma peau et le bien-être de ma famille. Ne pensez pas que j’essaie de vous extorquer de l'argent. Non, je suis simplement soucieux du bien-être de ma famille ".

L'investissement a payé. Non seulement Beys n’était pas un dangle, il était seulement un traitre nerveux, il a donné un rapport sur les plans américains au Moyen-Orient et sur l'organisation de la Voix de l’Amérique en plus de ses futurs programmes en Hongrie et dans d'autres parties de l'Europe de l'Est. En fin de compte, "ses informations étaient fiables et elles ont a fait des dommages considérables aux intérêts américains."

Alors où sont les espions soviétiques ou russes stationnés aux États-Unis non pas comme Philip et Elizabeth dans la série The Americans, mais comme représentant officiel de leur gouvernement ? Ici, comme pendant la guerre froide, peu de choses ont changé, c’est d’abord aux Nations Unies et dans des institutions de ce secteur.

En décembre, Lorsque l'administration Obama a annoncé la fermeture de deux installations utilisées par les services de renseignement russes pour mener des opérations d'espionnage sur le sol américain, l'un dans le Maryland et l'autre à New York, certains ont pensé au Riverdale, un immeuble de grande hauteur dans le quartier du Bronx qui porte le même nom. (L'installation concernée s’est finalement révélée être une propriété en bord de mer à Long Island.)

Selon Pete Earley, auteur du livre Comrade J: The Untold Secrets of Russia’s Master Spy in America After the End of the Cold War  qui relate l'espionnage de Sergei Tretyakov, un colonel du service de renseignement étranger de la Russie, qui a fait défection aux États-Unis, Riverdale est le complexe résidentiel de la plupart des diplomates de la mission permanente russe auprès de l'Organisation des Nations Unies à Manhattan.

Complexe autonome, avec sa propre épicerie, son bar, son garage et sa piscine, Riverdale a été vendu à l'Union soviétique, Earley écrit "sans que l’on se rende compte de son emplacement stratégique pour l’espionnage. Le gratte-ciel construit sur une colline escarpée est l'un des points les plus hauts de la ville. Cachées sous des caisses en bois sur le toit plat du bâtiment il y avait des dizaines d'antennes permettant d'écouter les conversations téléphoniques de New York. "Sa capacité de collecte de renseignements est la deuxième après celle la mission soviétique où l’antenne du KGB était installée. Ces deux stations d'écoute constituaient un système de surveillance dépendant du gouvernement russe, et géré par le SVR.

À Riverdale, au 19ème étage, accessible uniquement aux agents du SVR on pouvait surveiller une zone de plusieurs dizaines kilomètres, intercepter la fréquence de la police, les appels de téléphone cellulaire et d'autres communications tout au long de Manhattan et sur une partie de Long Island et du New jersey. Au fil du temps, le SVR et GRU [renseignement militaire russe] avaient été en mesure d'identifier et d'écouter les transmissions de tous les services officiels dans la région. Ils ont pu identifier la position des agents du FBI et d'autres policiers. Si les Russes voyaient que plusieurs agents du FBI étaient dans le même voisinage que l'un de leurs agents du SVR, Ils savaient qu'il était suivi. Cela permettait ainsi éviter des Dangles et d'autres soucis.

Beaucoup d’agents russes notables sont passés à Riverdale avant d’être placés à d'autres postes dans l’entourage du président russe Vladimir Poutine. Parmi ceux-ci Vladimir Yakounine, le milliardaire ex-président de Russian Railways et avant cela, le premier secrétaire de la Mission Permanente aux Nations Unies, un voisin de Poutine à Saint-Pétersbourg.

Un diplomate a choisi de ne pas y vivre quand il a été nommé ambassadeur de Boris Eltsine aux Nations Unies, préférant différents appartements de luxe à Manhattan, c’est le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov qui a négocié avec John Kerry à Genève et Vienne,.

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