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Entrée en vigueur du droit à la déconnexion: pourquoi en convaincre les salariés sera au moins aussi compliqué que de l’imposer aux entreprises
©Reuters

Mauvaises habitudes

Dispositif contenu dans la loi Travail et concernant les entreprises de plus de cinquante salariés, le droit à la déconnexion entre en vigueur à partir d'aujourd'hui.

Xavier  Camby

Xavier Camby

Xavier Camby est l’auteur de 48 clés pour un management durable - Bien-être et performance, publié aux éditions Yves Briend Ed. Il dirige à Genève la société Essentiel Management qui intervient en Belgique, en France, au Québec et en Suisse. Il anime également le site Essentiel Management .

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Atlantico : Si le pouvoir de se connecter en dehors de son travail permet de faciliter l'accès aux informations et d'améliorer la réactivité, il augmente la charge de travail et empêche une réelle séparation entre les sphères professionnelles et privées. Des études médicales évoquent des risques de surmenage, de dépressio,  et d'augmentation de risque d'AVC. A partir de quand peut-on dire que recevoir des messages professionnels en dehors ses heures de travail devient une souffrance ?

Xavier Camby : Permettez-moi de réagir tout d'abord face à ce qui me semble être une croyance simpliste, néfaste et bien toxique : nous serions les victimes de nos objets ! Ils auraient pris les (télé)commandes de notre psychisme et de nos émotions à notre insu, seraient désormais les maîtres de notre temps et de nos décisions ! Soyons un peu sérieux : il n'a jamais été aussi facile qu'à notre époque de s'isoler. Le simple bouton d'une télécommande nous déconnecte de tout ; nos téléphones ont des modes sommeil, avion, silence et il nous appartient de les éteindre à notre guise. Nous sommes très loin désormais des téléphones filiaires, intrusifs, bruyants et insistants, des téléviseurs ou des radios à boutons qui exigeaient un déplacement pour s'en abstraire...

Veillons donc à ne pas confondre les symptômes et les causes réelles de ce phénomène, très nouveau en effet : l'isolement volontaire, la solitude ou le silence sont devenus insupportables à certains. Cette soudaine confrontation avec eux-mêmes, sans échappatoire, ni aucun subterfuge possible, leur est très difficile et s'avère même souvent insupportable, car bien trop anxiogène. Ce paradoxe est hélas quotidiennement vérifiable : ceux qui se plaignent d'une prétendue hyper-connexion sont les plus réticents à prendre l'initiative de décrocher, et refusent de le faire quand on le leur ordonne. Il s'agit même d'un excellent test pour identifier ceux qui mijotent un burn-out : leur demander de passer une demi-journée dans le silence, sans rien faire. Cela leur est impossible ! Ils vivent en burn-in, une forme de surmenage transitoire qui mène tout droit à l'accident psychique grave.

Quant à prétendre que l'hyper-connectivité augmente la charge de travail et menace la vie privée, je pense que c'est simplement faux. Tous ceux qui font l'expérience volontaire du home-office, avec des horaires variables et/ou adaptés, témoignent du contraire. Le travail est plus rapide, plus simple et plus plaisant quand on peut choisir le moment de le faire, sans contrainte...

Peut-on envisager que l'accessibilité permanente aux emails et aux messages professionnels ne soit pas toujours subite, voire l'associer à une forme d'addiction ? 

A ma connaissance, à de rares exceptions près, il n'y a aucune obligation professionnelle, jamais, de rester connecté sans cesse, sans compensation, ni libres périodes de repos. Celui qui reste connecté les fins de semaine ou pendant ses vacances, c'est parce qu'il le veut bien ! Cela caractérise même souvent les vrais malades (ceux qui souffrent d'une pathologie physique et/ou psychique) : à un inconvénient premier déclaré, ils trouvent un ou plusieurs bénéfices secondaires, non-dits mais réels. Et renoncer à cet inconvénient premier les priverait de ces bénéfices secondaires. Je le répète : il est donc fréquents que se plaignent d'une hyper-connexion (subie ou imposée) ceux qui ne pourraient s'en passer par eux-mêmes. C'est donc bien d'une addiction : ce bruit incessant, cette obnubilation sacrificielle - on a tellement besoin de moi -, cette hyper-activité continue, sans repos, se fondent dans leurs peurs ! Et principalement, la peur de soi-même ! Puis, bien trop souvent, celle de perdre sa production de valeur, donc son emploi.

Je pense - et les faits sont sans contradictions à ce jour dans nos expériences - que ce sont précisément ces peurs, le plus souvent inconscientes ou inavouées - qui constituent la vraie cause du surmenage, du stress, des excès de fatigue, du burn-in et des différentes formes de burn-out, voire de somatisations nombreuses, dont peut-être l'AVC.

Alors que ce droit à la déconnexion entre aujourd'hui en vigueur en France, voilà déjà un certain temps qu'en Allemagne, plusieurs grandes entreprises comme Volkswagen ont mis en place des dispositifs permettant à leurs employés de se déconnecter.  Comment peut s'articuler ce droit à la déconnexion aux besoins des entreprises en France ?

Notre pauvre pays souffre d'une autre pathologie addictive : croire que légiférer est la solution à un problème est un déni de réalité, le début d'une folie non-douce (qui se définit comme la perte du sens commun et de la perception du réel). Je rejoins tout à fait cependant Bruno Mettling dans cette assertion : l'entreprise peut aider ses collaborateurs au bon usage de leurs outils (c'est même sa première responsabilité, en fait). Cette aide cependant ne peut être simplement légale ou réglementaire, ni procéder aucunement d'un système. La vraie question à se poser est : pourquoi cette personne ferait-elle cet usage, éventuellement nocif pour elle-même, des outils que je lui donne pour bien accomplir son travail ? 

De faux leaders et de mauvais managers entretiennent quotidiennement les peurs de leurs collaborateurs, en en faisant même parfois une (cruelle ou sadique) "méthode" de management. C'est toujours à base de menaces, de chantage ou de pression:  "Si vous ne le faites pas, alors..."

Alors, oui. Les victimes de ce mismanagement ont tendance à s'hyper-connecter pour montrer qu'ils font le maximum (en laissant notamment des traces numériques de leurs travaux, attestant ainsi d'un engagement, hélas sans limites). Cette surenchère, née de la peur de perdre son travail ou l'estime de son boss, est la seule vraie cause des souffrances évoquées dans votre première question.

Faire une loi, encore une, au seul regard des symptômes, sans considérer ni traiter les vraies causes, est idiot, inepte et inefficace.

Chez Atlantico, nous avons déjà évoqué ce sujet à plusieurs reprises. L'année dernière, une étude américaine indiquait que 40 % des employés ne voyaient pas d'inconvénient à lire leurs messages professionnels chez eux. Ne faut-il pas voir derrière cela l'expression d'un vide existentiel ?

Cette question est très drôle, en fait ! De plus en plus de collaborateurs font l'expérience inverse : "Si vous aimez ce que vous faîtes, pas un jour vous ne travaillerez" (Lao-Tseu). Ainsi, loin des interprétations psychologisantes erronées, ce constat procède bien plutôt d'une nouvelle plénitude existentielle : j'aime ce que je fais, alors je ne cesse guère de réfléchir et de préparer mes travaux, où que je sois et quoique je fasse. Et donc réciproquement, pendant les "heures ouvrées", il peut très bien arriver que je m'occupe de mes affaires personnelles, avec la meilleure des bonnes consciences. C'est le résultat de mon travail qui m'importe, pas les heures affichées par la pointeuse !

Seuls ceux qui n'aiment pas leur travail et/ou le font à contre-coeur aspirent à créer des caissons étanches et à mettre leur vie en silos !

Les générations qui nous arrivent (ni Y ni Z, je réfute ces appellations étroites et réductrices) en vivent déjà ; chaque startup, chaque créateur de vraies richesses (humaines, sociales, culturelles, environnementales, économiques ou financières) en atteste : nous sommes un, chacun de nous. Et nous aspirons à cette unité, toujours davantage. 

Le taylorisme est bien moribond...et fait place à une nouvelle vie économique, celle du future, celle de la contribution positive.

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