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Non, le populisme n'est pas forcément dangereux pour la démocratie !
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Let my people vote

Le recours au référendum est le plus souvent assimilé de manière péjorative à une stratégie populiste. Et s'il fallait plutôt y voir un moyen de pallier le déficit démocratique d'une société sclérosée et en crise ?

Guy  Hermet

Guy Hermet

Guy Hermet est politologue, directeur d'études émérite à Sciences Po Paris, spécialiste de politique comparée.

 

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Atlantico : Dans sa déclaration de candidature, Nicolas Sarkozy a affirmé  que « les Français étaient dépossédés de leur pouvoir » et qu’il fallait le leur redonner. Il a également indiqué qu’il ne fallait plus avoir peur de la parole du peuple : est-ce à dire que les politiques en ont peur ?

Guy Hermet : Oui, ils ont eu peur du peuple. Dans la vision populiste, les personnalités politiques classiques trahissent le peuple, se préoccupent d’être réélus,  racontent des histoires, mais sont très loin du peuple. Cela ne veut pas dire qu’il est bon qu’ils trahissent le peuple, qu’il faille s’en méfier. Le populiste prétend que le peuple a toujours raison, c’est le seul qui n’a jamais tort .

Mais écouter davantage le peuple, n’est-ce pas nécessaire en temps de crise ?

En général, un leader démocratique a toujours raison de vouloir écouter le peuple, c’est son rôle, c’est une obligation morale. En même temps, en période électorale c’est à qui prétendra être le plus proche des gens. On peut le faire de façon populiste ou de façon plus discrète – comme Bayrou par exemple. De toute façon, c’est une attitude, on n’est pas tout à fait convaincu que le plus cher désir d’un candidat soit toujours d’écouter le peuple – comme les populistes patentés comme Hugo Chavèz qui est persuadé de son rôle.

Le président a affirmé que les grands arbitrages seraient tranchés par le peuple et qu’on recourrait au référendum…

S’il est élu, ce sera peut-être une façon de faire passer des mesures difficiles et nécessaires. Mais c’est la faiblesse de la démocratie, le peuple aime qu’on lui passe la main dans le dos, et on ne peut pas faire des mesures dures.  Le choix du référendum constitue également un risque : s’il ne parvient pas à faire passer – s’il est élu - des mesures par cette voix-là, il pourrait se retrouver dans la position du Général de Gaulle, obligé de démissionner.

Le recours à davantage de référendum comme le propose Nicolas Sarkozy constitue-t-il une proposition populiste ou permet-il de lutter efficacement contre un déficit démocratique en France ?

Historiquement, le populisme est le propre de figures politiques qui prétendent représenter le peuple. Cela consiste à dire que le gouvernement représentatif, les députés, le système parlementaire sont une tromperie ; qu’ils ne représentent pas vraiment le peuple. En France, par exemple, la figure du général Boulanger a illustré cette tendance à la fin des années 1880.

"Populisme" est effectivement devenu un terme fourre-tout. Il s’agit d’une sorte d’insulte, proférée par les professionnels de la politique classique des partis représentatifs, des partis parlementaires, qui leur permet de se refaire une vertu. Ça n’a pas toujours été comme ça, mais ça l’est devenu. 

Quant à la proposition de Nicolas Sarkozy de recourir plus fréquemment au référendum, il ne s’agit pas en soi du populisme, car le populisme est véritablement incarné par un personnage qui prétend représenter le peuple. Nicolas Sarkozy n’est pas Perón dans l’Argentine des années 1950. Mais effectivement, le référendum est une ressource.

De surcroît, les référendums sont encore formulés par les professionnels de la politique qui choisissent le moment du référendum et qui le façonnent. Malgré cela, un recours plus fréquent au référendum peut être un « remède », ou du moins une réponse au populisme. En effet, le populisme n’est pas toujours mauvais, il oblige à mettre au premier plan des questions que jusqu’alors on refusait de mettre au premier plan. A cet égard, le populisme est un problème mais ce n’est pas une maladie.

De toute façon la démocratie représentative a beaucoup de difficulté. Les gens n’y croient plus guère. Les éléments populistes obligent à des réactions, un renouveau, pouvant conduire à un rajeunissement de la démocratie. C’est un stimulant !

Dans ces conditions, le terme de populisme est-il caricaturé aujourd’hui ?

Un tel terme est bien utile dans le jeu politique, il a un peu remplacé le terme « fasciste ». Après la 2nde guerre mondiale, dans les années 1950, l’adversaire, le politicien indigne, c’était un « fasciste ». Maintenant c’est le « populiste ». En France, c’est le terme de « poujadisme » qui a d’abord prévalu, à partir des années 1950 et l’élection du député Pierre Poujade - qui est par ailleurs le plus jeune député jamais élu en France. Ce terme est ensuite resté pour Jean-Marie Le Pen qui avait d’ailleurs été élu comme député poujadiste.

Le terme « populiste » a été transporté en France dans les années 1970. Il faut se rappeler que les premiers partis populistes sont nés dans les partis ultra-démocratiques, que sont le Danemark et la Norvège, dans ces années-là. Ces partis se positionnaient contre l’Etat providence et les partis travaillistes. C’est là qu’on a commencé à parler de populisme.

Aujourd’hui, les grands partis peuvent aller très loin dans leur tendance populiste sans que ce soit toutefois caricaturé. Mais dans chaque parti, il y a toujours deux courants. On trouve d’une part ceux qui se sentent vertueux de ne pas être populistes, - quelques fois parce qu’ils ne sauraient pas l’être, car ce n’est pas facile. Et d’autre part, il y a ceux qui sont prêts à utiliser des méthodes populistes, mais avec plus ou moins de talent. Ce sera donc toujours un objet de débat dans chaque parti.

Les vrais populistes tentent le tout pour le tout. Ils n’ont pas fait la carrière politique dans un parti, tout accepté, monté en grade. Ce sont des gens qui « cassent la baraque», prennent des risques. Ils ont donc une audace particulière, voire un talent particulier. Ceux qui, au contraire, ont fait toute leur carrière dans l’appareil politique classique ne sont pas tout à fait préparés à utiliser des tactiques populistes.

Toutefois, la situation n’est pas la même dans tous les pays. Par exemple, en Allemagne, le parti chrétien social bavarois était  populiste, ce qui ne l’empêchait pas d’être un grand parti classique. De même pour Schroeder. Cette situation peut s’expliquer par le fait, qu’en Allemagne la distance est moins grande entre les professionnels de la politique et la masse des gens qu’en France.

Finalement, dans toute l’Europe sauf en Angleterre, en Espagne, il y a une installation de plus en plus lourde et permanente des formations populistes. Le populisme maintenant va faire plus que se banaliser, la politique devra se faire en tenant compte des populistes. Ce sera soit un obstacle soit un marchepied,  ça dépendra des moments et des pays.

N’y a-t-il pas aujourd’hui un amalgame entre populisme et démagogie ?

On fait souvent ce lien et c’est rarement faux : le leader populiste est généralement décrit comme celui qui fait des promesses impossibles à tenir. Mais le problème, en particulier depuis la campagne présidentielle de 2007, c’est que les figures politiques classiques font aussi des promesses impossibles à tenir et  lancent des mesures parfaitement démagogiques. La semaine de 35 heures est à cet égard emblématique. Cela fait plaisir aux gens mais apporte également plus d’ennui que d’avantages. 

En 2007, la Nicolas Sarkozy – avec son populisme musculaire -  et Ségolène Royal – tout de blanc vêtue, se présentant comme une vierge socialiste – étaient non moins populistes qui ceux leur faisaient ce reproche ; cependant, on accepte désormais une forme de populisme quand il est le fait des professionnels classiques de la politique. Au contraire, quand il s’agit des outsiders, des ceux qui n’ont pas fait toute la carrière politique classique, qui ont transgressé les règles de l’art des métiers politiques, ceux-là sont clairement accusés de populisme, et on leur associe une image négative.

Entre 2007 et 2012, les partis populistes en Europe se sont vus fortement plébiscités. Quelle analyse faites-vous de cette progression croissante du populisme ?

Le phénomène de populisme s’est totalement transformé depuis quelques années et ce n’est pas seulement le fait de la crise. Auparavant, le populisme était effectivement un mouvement qui se manifestait pendant les périodes de crise. Ce fut le cas en France, au moment de la création de la IIIe République ; à l’instauration d’un première République stable, il y a eu une réponse populiste avec Boulanger. Au moment de la crise de 1929, il y a aussi eu émergence de mouvements populistes.

Désormais, le populisme est permanent ; ce n’est pas seulement une réponse à la crise financière et économique, c’est une réponse à la transformation du monde, à la mondialisation. Ce sont toutes ces révolutions qui s’opèrent dans nos sociétés, en particulier en Europe, qui génèrent un populisme. Et on ne peut pas croire qu’il va disparaître dans les 10 ou 15 ans. Il va rester, on le voit presque partout, dans pratiquement tous les pays européens : en France, en Belgique, aux Pays-Bas, en Autriche, au Danemark, en Suède (ce qui est très récent), en Finlande sans parler des pays de l’Est (où toutefois le populisme se trouve plutôt sous la forme nationaliste).

De fait, le populisme se répand et on n’en viendra pas à bout. En France, on voit bien  la banalisation du mouvement populiste. C’est ce qu’on écrivait en France il y a 2 mois : le populisme se banalise, Marine Le Pen devient très civilisée, elle ne profère plus de propos antisémite comme son père. Le phénomène se banalise également dans le reste de l’Europe, où les partis populistes participent au gouvernement, comme en Autriche par exemple. En France, en revanche, il y a une forme de panique, on a jamais tant vilipendé, ostracisé les partis populistes, justement sans doute parce qu’ils se banalisent.

Cette montée du populisme est symptomatique d’une société où l’équilibre ne se fait plus entre les élites et le peuple. Ce phénomène traduit d’un déséquilibre de la société, une fatigue de et avec la démocratie. Les Français - en particulier - attendaient encore, il y a 10 ou 15 ans, quelque chose de la politique, même si les promesses n’étaient pas toujours tenues. Les gens y croyaient alors que ce n’est plus le cas aujourd’hui. Or la démocratie repose sur la croyance de la masse des gens en un avenir meilleur qui leur sera assuré par les hommes politiques démocratiques. Aujourd’hui, au contraire ils n’attendent plus grand-chose qu’ils votent à gauche ou à l’extrême-droite. Il leur reste une forme d’espoir que les personnes comme Marine Le Pen ou d’autres, puissent leur apporter encore quelque chose. L’autre motivation à soutenir les partis populistes provient d’une volonté de voter pour les figures les plus détestées des figures politiques classiques.

Compte tenu du système élitiste qui régit aujourd’hui les instances décisionnelles politiques, que peut apporter le populisme à la démocratie française ?

Quand on entend les hommes et femmes politiques s’exprimer entre eux, avec des personnes de confiance, quand ils parlent « franc », un certain mépris de l’électeur de base est palpable. Churchill, qui était un grand démocrate avait pourtant cet aphorisme : si vous voulez vous faire une idée de ce qu’est véritablement la démocratie, il suffit d’une conversation de cinq minutes avec un électeur de base.

Il existe plusieurs pistes pour renouer avec le populisme, les procédures de référendum en sont une. On peut également penser au tirage au sort entre personnes volontaires pour assurer les responsabilités  municipales, très locales – comme cela se faisait dans la Grèce antique. Ces réponses sont envisageables mais la France, du fait de son système d’élite et de professionnalisation politique, semble plus fermée qu’ailleurs à ces évolutions. 

En hexagone, il y a en effet une énorme distance entre la profession politique et la masse des gens. Il en résulte que si les membres de l’élite politique s’essaient à des pratiques populistes, ils ne sont pas vraisemblables. En 2007, Nicolas Sarkozy, comme Ségolène Royal, avait très bien réussi à utiliser des pratiques, comportements populistes, cherchant à se rapprocher du peuple. Mais une fois élu, il s’est éloigné de cette tendance en accentuant un côté quasiment post-monarchique.

Propos recueillis par Camille Rivière

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