Ce point commun entre Donald Trump et François Fillon passé largement inaperçu en raison de leur style aux antipodes<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
Le combat contre l'emprise des médias dans le discours public est un point qui rapprocherait François Fillon de Donald Trump.
Le combat contre l'emprise des médias dans le discours public est un point qui rapprocherait François Fillon de Donald Trump.
©Capture d'écran

Taisez-vous Elkabbach

Aux Etats-Unis, Donald Trump continue de ne pas ménager les grands médias, qu'ils jugent biaisés idéologiquement. En France, la défiance envers les élites médiatiques semble elle aussi avoir le vent en poupe.

Arnaud Mercier

Arnaud Mercier

Arnaud Mercier est professeur en sciences de l'information et de la communication à l'Institut Français de Presse, à l'université Paris-Panthéon-Assas. Responsable de la Licence information communication de l'IFP et chercheur au CARISM, il est aussi président du site d'information The Conversation France.

Il est l'auteur de La communication politique (CNRS Editions, 2008) et Le journalisme(CNRS Editions, 2009), Médias et opinion publique (CNRS éditions, 2012).

Le journalisme, Arnaud Mercier

Voir la bio »

Atlantico : Alors que Donald Trump a construit une grande partie de sa campagne sur la dénonciation des élites médiatiques aux États-Unis, stratégie qu'il continue d'utiliser une fois élu, quelles sont les origines de ce discours politique visant à stigmatiser la presse en général aux États-Unis ?

Arnaud Mercier : Tout commence après le Watergate et l'obligation dans laquelle a été placée Richard Nixon de présenter sa démission à cause des révélations de la presse (en l'occurrence, le Washington Post) sur la manière dont il avait utilisé les services secrets pour espionner le QG de campagne de ses adversaires démocrates pendant l’élection présidentielle. Les milieux conservateurs, qui n'ont pas accepté cette pression mise sur Nixon par les médias, ont considéré que l'ennemi politique n'était plus seulement le parti démocrate, mais prioritairement la presse. S'appuyant sur des fondations comme l'American Enterprise Institute et d’autres think tanks conservateurs, toute une réflexion a été menée dès la fin des années 1970 pour essayer de rétablir une forme d'équilibre, eux qui considéraient que le pouvoir des médias était trop nettement en leur défaveur.

Cela a pris deux directions : l'une a été d'inciter un certain nombre de chefs d'entreprises et de millionnaires à investir dans les médias pour créer des médias clairement conservateurs. C'est bien ce qu'il s'est passé, puisqu'on a eu des médias de plus en plus conservateurs, avec comme point d’orgue la chaîne d’information continu rivale de CNN, Fox News. Ce mouvement est même allé plus loin, jusqu'au site Breitbart aujourd'hui, site ouvertement xénophobe notamment. La deuxième stratégie a été de dénoncer un liberal bias ("biais libéral", libéral au sens américain du terme, c’est-à-dire de gauche). Dans la bouche des pourfendeurs du liberal bias, il faut entendre cela comme "le biais gauchiste des médias". Des études ont été financées par ces think tanks, sur la manière dont tel ou tel média couvrait tel ou tel événement, de façon à montrer qu'il y avait bien un "biais libéral", que même sous couvert d'une pseudo-neutralité, le propos journalistique était anti-républicain.

À partir des années 1980, aux États-Unis s'installe donc vraiment l'idée qu'on aurait démontré l'idée d'un biais libéral systématique dans les médias américains. C'est allé jusqu'à réclamer qu'au nom du respect d'un certain équilibre, il y ait des tribunes ouvertes à des éditorialistes libéraux et des éditorialistes conservateurs, y compris dans des titres comme le New York Times

Il y a enfin eu une dernière vague, plus générale que celle du biais libéral. C'est ici l'idée selon laquelle les excès de la médiatisation avec l'avènement d'Internet posaient problème (avec des médias qui parleraient trop de ceci et pas assez de cela, etc.). À partir de là s'est développée toute une série de critiques supplémentaires sur les médias. Ce n'est pas seulement l'idée selon laquelle les médias seraient orientés politiquement, mais aussi la dénonciation d'une certaine déconnexion des médias avec la réalité, d'une "bulle" médiatique dans laquelle les journalistes seraient enfermés, avec les hommes politiques, les hommes d'affaires, etc. Ce monde-là, ce qu'on finira par appeler la "classe politico-médiatique" serait donc déconnecté de la réalité des gens. Et cela débouche enfin sur les thèses complotistes, à l’ère des blogs et des réseaux sociaux, où des personnes inconnues, profitent de la désintermédiation journalistique que représentent ces plateformes, pour devenir des producteurs "d’information", ou en tout cas de propos qui imitent les façons de faire journalistiques et qui viennent concurrencer les productions médiatiques, en les contestant comme des "vérités officielles" et/ou comme des "écrans de fumée" cachant de véritables informations.  

En France, François Fillon s'est lui aussi montré assez critique envers les sondeurs et les journalistes, notamment lors du dernier débat télévisé de la primaire de la droite et du centre. Si le style de l'ancien Premier ministre est très différent de celui de Donald Trump, en quoi peut-on dire que le combat contre l'emprise des médias dans le discours public, mais également une certaine stratégie électorale, les rapproche (au moins en partie) ?

Cela fait plus de dix ans maintenant que la droite française, sous l'impulsion notamment de Nicolas Sarkozy, s'est appropriée cette idée de dénonciation du biais libéral. En France, cette critique prend plutôt la forme d'une dénonciation du fait que les journalistes seraient massivement de gauche, donc pas très objectifs, et qu'ils formeraient une sorte d'élites cherchant à imposer une forme d’hégémonie culturelle. Dans le discours de Nicolas Sarkozy,  ils sont associés aux idéaux de mai 1968 et à des "bobos", formant donc une sorte de classe de privilégiés, aux idées libérales, hérauts du politiquement correct. Du coup, l’attaque habituelle de Nicolas Sarkozy est que les journalistes seraient déconnectés de la réalité des "vrais" gens, du peuple. En France, cela a donc pris plutôt la forme d'une critique de type peuple-élite, les journalistes étant assimilés à une élite.

Quand il agit de la sorte, François Fillon s'inscrit donc dans cette habitude depuis quelques années de la droite française, de souligner la déconnexion entre les journalistes et la réalité de la majorité de Français, qui deviendrait donc une majorité silencieuse puisqu'inaudible et invisible pour les radars des journalistes, rendus aveugles par leur ancrage culturel et leur situation supposée de privilégiés. Précisons sur ce point que, d’après l’enquête de L’observatoire des métiers de la presse, la situation des journalistes est très contrastée et que les journalistes chroniqueurs les plus en vue, ceux des plateaux télés sont de vrais arbres qui cachent la forêt, car, en 2014, le salaire moyen des journalistes en CDI qui cherchent à obtenir pour la première fois la fameuse carte professionnelle, est de 2500€/brut,  de 1800€ pour ceux qui sont en CDD et 1700€ pour les pigistes. On est assez loin de grands privilégiés. 

Pour finir, il est intéressant de noter que François Fillon a également instillé l'idée qu'il voulait rompre avec le côté politique-spectacle auquel sont associés les médias. Il se distingue des excès de la communication, excès que représentent Donald Trump et Nicolas Sarkozy. Il a marqué des points auprès d'une partie de la population qui reprochent ces excès de "peopolisation" des médias et les excès de "bling bling" du personnel politique. François Fillon ne veut pas céder à ça, et souhaite que les débats soient recentrés sur la réalité des problèmes, et non pas la superficialité que la presse encourage. C’est une posture de dénonciation des médias qui plait.

Est-ce qu'il n'y a pas aujourd'hui une demande de plus en plus forte de discours anti-médias de la part des électeurs ?

Il est évident qu'il y a ce sentiment, notamment chez les gens objectivement déclassés socialement et/ou économiquement ou qui se sentent en danger de déclassement, qu'une partie des élites politiques, économiques et culturelles sont déconnectées de leur réalité et ne comprennent pas ce qu'ils vivent. Il y a donc chez eux la perception d'une fracture peuple-élite qui s'est agrandie, parce que leurs conditions de vie sont de plus en plus difficiles sur le plan économique, social, sociétal, etc. Ces citoyens ont le sentiment que les réalités de leur quotidien sont niées parce que les médias n’en parlent pas ou trop peu, car ils ne les connaissent pas, ne les imaginent pas.

Du coup, quand vous avez des hommes politiques qui trouvent le bon angle d'attaque pour faire entendre ce type de discours, les électeurs y sont sensibles, bien sûr. Cela passe par un discours qui consiste à souligner ce clivage peuple-élite, voire à le surjouer, quitte, ô paradoxe, à ce qu'un ancien président de la République comme Nicolas Sarkozy se présente comme un candidat anti-système (alors qu'il était au sommet de ce système), ou qu'un milliardaire comme Donald Trump apparaisse comme le candidat qui défendra la classe ouvrière et les salariés précaires…

Tant pour Donald Trump que pour François Fillon, la presse ne fait-elle pas figure de bouc-émissaire idéal, à l'heure où leurs adversaires politiques de gauche se font moins présents ?

Je ne suis pas sûr de ce constat, je crois qu'il est intéressant pour eux de jouer sur les deux tableaux. Vous pouvez vous appuyer le maintien d'un clivage politique, et donc faire campagne contre des adversaires politiques et partisans, et y ajouter ensuite une critique des médias. Vous pouvez insister davantage sur le côté "majorité silencieuse" un jour, et une autre fois sur des aspects plus programmatiques et engagés.

Dans quelle mesure peut-on dire que le système médiatique actuel, aux États-Unis comme en France, s'apparente quelque part à une "machine à exclure" les pensées divergentes ?

Il y a tout d'abord une distinction très importante à faire ici. 

Nous n'avons jamais eu autant de diversité médiatique aujourd'hui, entre les différents formats de presse et grâce à l’Internet qui réduit considérablement le coût d'accès à la création d'un site d'information. Vous pouvez avoir tout ce que vous voulez, des sites d'extrême-gauche aux sites d'extrême-droite.

Une fois dit cela, effectivement, si l'on réduit le système médiatique à la partie la plus visible (les grandes chaînes de télévision et les grands titres de presse), la situation est différente. Mais le facteur explicatif est à recherche dans l’existence d’une vaste contradiction historique. L'évolution de nos sociétés produit de la fracturation, liées notamment à la mondialisation, à la persévérance d'un état de crise économique, à l'européanisation, aux pressions migratoires. Cela produit des tensions sociales et provoque un élargissement du fossé qui peut exister entre des catégories de populations, entre des idéologies. 

Or les médias grands publics restent, eux, toujours prisonniers d’une logique de recherche du grand public, car ils vivent de la publicité et ne peuvent en aucun cas encourager les extrêmes. Ils se retrouvent obligés de tenir un certain niveau de neutralité pour ne froisser personne et rester le plus grand public possible. Cette logique socio-économique profonde est constitutive d'un média grand public. Du coup, le problème naît de la confrontation historique entre ces deux logiques. Les médias restent aussi dépendants de ces impératifs qu'avant, mais dans une société où la fracturation idéologique apparaît de plus en plus forte, alors il peut sembler que les médias sont déconnectés des réalités et des aspirations d’une  part croissante de la population, pour qui il est de plus en plus intolérable de voir les médias agir ainsi…

Dernier point : ce sentiment peut être d'autant plus renforcé que certains ont fait le choix d'utiliser les médias également comme bouc-émissaires politiques, ce qui ne fait qu'accroître le ressentiment.

Donald Trump semble revenir peu à peu sur ses promesses de campagne les plus iconoclastes (emprisonner Hillary Clinton, déporter les musulmans, etc.). Dans quelle mesure peut-il en quelque sorte se le permettre ? Ces promesses surréalistes ne servent-elles pas essentiellement de défouloir politique, d'exutoire pour toute une partie de l'électorat, plus que d'un réel programme électoral ?

Oui, c'est exactement ce que je pense. C'est un vote bras d’honneur, et même doigt d'honneur, à l'instar de ce que proposait Beppe Grillo et son mouvement 5 étoiles en Italie, avec son fameux "vaffanculo Day". On voit bien que pour certains citoyens, le vote devient un acte de revanche sociale. On est prêt à soutenir quelqu'un dont on n'est pas absolument certain qu'il appliquera ce qu'il dit, mais à la limite ce n'est pas si grave, car l'essentiel est qu'il balaie ceux qu'on juge responsables du sort qui nous est fait. Nous sommes vraiment dans le registre du défouloir.

Certaines mesures, comme l'emprisonnement de Hillary Clinton, peuvent effectivement être perçues comme des outrances verbales qui font plaisir à entendre pour son électorat, sans que cela ne soit trop grave si elles ne sont pas appliquées au final. En revanche, revenir trop en arrière sur d'autres promesses comme la construction du mur peut être dangereux pour lui au niveau de ses soutiens… Car ses outrances verbales ont fait naître des espoirs chez des gens pour qui précisément la vie semble marquée au sceau du désespoir.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !