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Pourquoi Daech se fait une gloire de sa barbarie alors que même les Nazis camouflaient leurs crimes
©Reuters

Bonnes feuilles

En reconstituant la préparation et la réalisation des attentats de Paris et Bruxelles, Claude Moniquet, qui a bénéficié d’un accès privilégié aux dossiers des enquêteurs, cerne les motivations de Daech, démonte son fonctionnement, explique pourquoi cette organisation est la plus dangereuse que le terrorisme ait jamais enfantée. D'où vient l’État islamique et quels sont ses buts ? Le pire est-il encore à venir ? À la veille d’une période électorale propice à de nouvelles actions violentes, ces questions sont d’une actualité brûlante. Extrait de "Daech la main du diable", de Claude Moniquet, aux éditions l'Archipel 2/2

Claude Moniquet

Claude Moniquet

Claude Moniquet, né en 1958, a débuté sa carrière dans le journalisme (L’Express, Le Quotidien de Paris), avant d’être recruté par la Dgse pour devenir "agent de terrain" clandestin. Il exerce ainsi sous cette couverture derrière le Rideau de fer à la fin de l’ère soviétique, dans la Russie des années Eltsine, dans la Yougoslavie en guerre, au Moyen-Orient ou encore en Afrique du Nord. En 2002, il cofonde une société privée de renseignement et de sûreté : l’European Strategic Intelligence and Security Center. De 2001 à 2004, il a été consultant spécial de CNN pour le renseignement et le terrorisme, et est aujourd’hui consultant d’iTélé et RTL. Il est l’auteur, notamment, de Néo-djihadistes : Ils sont parmi nous (Jourdan, 2013) et Djihad : d’Al-Qaïda à l’État islamique (La Boîte à Pandore, 2015), de Daech, la Main du Diable(Archipel, 2016) et, avec Genovefa Etienne, des Services Secrets pour les Nuls (First, 2016). Il est également scénariste de bandes dessinées : Deux Hommes en Guerre (Lombard, 2017 et 2018). Il réside à Bruxelles.

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Le plus étonnant dans ce déferlement d’horreur est que l’État islamique non seulement ne s’en cache pas, mais va jusqu’à s’en vanter. Et ceci est nouveau.

Les deux grands systèmes totalitaires du XXe siècle, le communisme et le fascisme, camouflaient leurs crimes. Les Khmers rouges, qui ont assassiné environ deux millions de Cambodgiens, avaient interdit leur pays aux médias internationaux ; les tueries se déroulaient à huis clos.

Le meilleur exemple de ce voile de mystère entourant les grands massacres nous est donné par Heinrich Himmler, chef suprême de la SS, responsable et maître d’œuvre des persécutions nazies et tout particulièrement de la Shoah: non seulement il ne parla jamais publiquement de ce qui se passait dans les camps d’extermination ou de concentration, mais il n’aborda le sujet que dans des discours secrets, devant un aréopage soigneusement limité de hauts dignitaires SS. «C’est une page glorieuse de notre histoire, mais elle n’a jamais été écrite et ne le sera jamais», estimait-il. Ainsi, un des plus hauts responsables nazis, un des plus grands tueurs de masse de l’Histoire, un homme habité par le plus effrayant délire antisémite et chargé de traduire cette folie en actes, savait que le secret devait être préservé parce que le monde – et même la majorité de ses concitoyens – ne pourrait accepter de tels crimes.

Rien de tel avec l’État islamique.

L’EI ne cache pas ses crimes : il s’en fait une gloire et les utilise dans sa propagande. Et il ne s’agit pas de quelques «dérapages» de la part de l’un ou l’autre moudjahid.

Certes, de nombreux volontaires ont posté des images de crimes, photographies ou vidéos, sur les médias sociaux. On a ainsi vu des pères montrant fièrement leurs fils, le plus souvent âgés de moins de dix ans, tuant un prisonnier ou posant près d’un cadavre. Sur Twitter, on a pu suivre les « discussions » entre moudjahidin sur les femmes yazidies vendues comme esclaves. Combien coûtent-elles ? Que peut-on faire avec elles ? Que faire si une esclave donne naissance à un enfant ? Doit-on, si l’on est marié, demander l’autorisation de son épouse pour avoir des relations sexuelles avec une esclave ?

Mais l’État islamique va beaucoup plus loin. Là où aucun système totalitaire n’avait osé franchir le pas, les médias officiels de l’EI diffusent des images de massacres et d’assassinats, se vantent du rétablissement de l’esclavage, nous donnent à voir des hommes précipités dans le vide, égorgés, crucifiés ou brûlés vifs.

La vidéo de la mise à mort du pilote jordanien âgé de vingt-six ans, Moaz el-Kasasbeh, aspergé d’essence et brûlé vif dans une cage au début du mois de février 2015, a particulièrement choqué. Les images atroces, montrées au ralenti, des derniers instants de la vie d’el-Kasasbeh ont été justifiées par l’EI au nom du principe islamique de la qisas – qui prévoit, dans certains cas, qu’un crime soit puni de la manière dont il a été commis. Tout en signalant que la punition par le feu est considérée comme « absolument interdite par de nombreux musulmans », le chercheur Shiraz Maher, du King’s College de Londres, pense qu’il s’agit là d’une démonstration de la manière dont l’EI mène une « guerre asymétrique »: « Toute armée vise à développer un avantage, une supériorité sur ses adversaires. De manière typique, ceci implique l’investissement dans de meilleurs équipements permettant de projeter plus de puissance. L’EI sait que ce n’est pas un domaine dans lequel il peut nous concurrencer. En revanche, ce qu’il a, c’est le pouvoir de l’asymétrie – la possibilité de choquer et de terrifier avec des vidéos comme celle qui vient d’être diffusée. »

En agissant ainsi – c’est le deuxième axe de sa propagande, le premier servant à populariser l’image d’un État fonctionnant de manière normale –, Daech poursuit un double but : effrayer l’adversaire, le paralyser, mais aussi séduire un type de « volontaires» dont il a besoin pour commettre ces crimes – des tueurs, des sanguinaires, des psychopathes.

Ceux-là forment une partie des recrues de l’EI et sont particulièrement représentés parmi ses volontaires occidentaux. Si ceux qui ont gagné la Syrie en 2012 ou 2013 peuvent essayer de nous faire croire qu’ils l’ont fait par générosité, par humanisme, pour aider un peuple écrasé par une dictature, les volontaires qui ont rallié ar-Raqqah après le printemps 2014 ne peuvent brandir cette excuse: ils savaient. Car nous savions tous.

C’est donc délibérément, pour prendre part aux crimes ou en être complices – par fanatisme ou pour en tirer un bénéfice –, qu’ils ont rejoint les rangs des djihadistes. Ceci les rendra d’autant plus dangereux quand ils décideront de revenir dans leurs pays d’origine.

Même al-Qaida, qui n’est pourtant pas une référence morale, a dénoncé la diffusion d’images de meurtres par l’EI. Dans une vidéo de quarante-trois minutes diffusée le 8 décembre 2014, Nasser Ben Ali al-Annasi, l’un des dirigeants d’al-Qaida dans la péninsule Arabique (Aqpa), affirme: «Il est certain que nos frères sont affectés par ces images de décapitation largement répandues ces derniers mois. Nous n’approuvons pas ces pratiques et nous les condamnons fermement. Le fait de filmer cela et de le diffuser pour que ce soit vu par le maximum de gens, au nom de la religion et du djihad, est une énorme erreur… C’est horrible… Ces pratiques sont u

Extrait de Daech la main du diable, de Claude Moniquet, publié aux éditions l'Archipel, novembre 2016. Pour acheter ce livre, cliquez ici

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