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Miracle à Kirkouk : ces jeunes chrétiennes d’Irak ont échappé aux combattants de l’Etat Islamique qui venaient d’envahir leur maison
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THE DAILY BEAST

Monaly Rajeeb et Rand Leith se sont cachées dans la même pièce lorsque les djihadistes ont fait irruption. Leur survie est un miracle.

Danny Gold

Danny Gold

Danny Gold est journaliste pour The Daily Beast.

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Danny Gold. The Daily Beast.

Erbil, Irak 

Monaly Rajeeb et les autres jeunes femmes étaient cachées sous leur lit lorsqu’elles ont entendu les combattants de Daech entrer dans le bâtiment. Des coups de fusils mitrailleurs les ont réveillées vers 4 heures du matin ce jour-là.

Elles ont passé des heures terrorisées, essayant de ne faire aucun bruit et priant en silence que ces hommes n’entrent pas dans la maison alors que les coups de feu retentissaient sans cesse juste à l’extérieur de la maison. Quand les hommes sont entrés dans la cuisine, qui a un mur commun avec la chambre où elle se cachait, tout ce que Monaly pouvait faire, c’était espèrer que son téléphone portable ne fasse aucun bruit. Les combattants fouillaient la cuisine. Ils doivent manger, s'est-elle dit, d’après les bruits qu’elle entendait. Mais, rapidement, les soldats ont quitté la cuisine et se sont dirigés vers la pièce où Monaly et six autres femmes plus jeunes se cachaient. Un soldat de Daech s’est même assis sur le lit sous lequel elles se cachaient.

Vendredi dernier, les soldats de Daech ont lancé une attaque audacieuse sur la ville de Kirkouk, à 130 kilomètres de Mossoul, où la coalition et les forces irakiennes ont, une semaine plus tôt, lancé la plus grande opération contre Daech à ce jour. Alors que l'armée djihadiste commençait à perdre du terrain, elle a mis en place une tactique familière : s'attaquer à un lieu plus vulnérable pour y mener la bataille principale.

Kirkouk, un peu éloigné de Mossoul mais assez près de Hawija, une autre place forte de Daech, mais plus petite, a été la cible d’une attaque spectaculaire. Les soldats de Daech se sont dispersés dans différents points de la ville. On estime leur nombre entre 70 et 100, même si le Dr. Najmaldin Karim, maire de Kirkouk, a déclaré dimanche dernier aux médias locaux que 74 cadavres de combattants de Daech ont été retrouvés.

Les versions sur l’entrée des troupes de Daech dans la ville diffèrent. Certains parlent de cellules dormantes, d’autres de tunnels, et d’autres encore prétendent qu’ils se sont glissés parmi les réfugiés. Toujours est-il qu’ils sont entrés dans la ville, et qu'ils ont lancé une campagne de trois jours de violences sur les habitants de la ville, tuant des dizaines de personnes et se dispersant partout dans la ville. L’une des factions a établi son siège dans des dortoirs universitaires appartenantt à l’église chaldéenne et destinés à l'hébergement des étudiants chrétiens.

C’est la première fois que Rand Leith, une étudiante en médecine âgée de 21 ans, s'est trouvée à proximité de Daech. Originaire de la ville chrétienne de Qaraqosh, elle a fui lorsque Daech a occupé sa ville en août 2014. (La ville a été libérée le week-end dernier).

L’année dernière, un autre raid de Daech est arrivé pas loin de là où elle se trouvait.

Cette fois-ci, elle était, avec onze autres étudiantes chrétiennes, dans une des trois maisons près desquelles les combattants de Daech avaient pris position. Lorsque les coups de feu ont commencé, il faisait encore sombre et les filles se serraient les unes contre les autres, ne sachant pas bien ce qui se passait. Lorsque le soleil s’est levé, les bruits des combats continuaient. C’est à ce moment-là que Rand a entendu des gens marcher près de la maison. Elle a regardé par la fenêtre et a vu un homme en treillis militaire sauter par-dessus le mur. Au début, elle a cru que c’était l’armée ou la police. Elle allait appeler à l’aide mais quelque chose l’en a empêché. "Dieu a fermé ma bouche, parce qu’à ce moment, j’avais compris que c’était Daech'', dit-elle.

A 9 heures du matin, elles ont reçu un appel du coordinateur de l’église qui leur demandait d’aller à l’étage et de s’y cacher. A un moment, les jeunes femmes se sont toutes emparées de couteaux de cuisine, de sprays de produits ménagers, de n’importe quel objet qu’elles pourraient utiliser pour se défendre si les soldats venaient.

Seulement quelques heures après sa libération, Rand sourit souvent et dit qu’elle est encore sous le choc. Elle joue avec ses cheveux, qui forment une longue natte, assise sur un sofa du salon de sa tante à Erbil, la capitale du Kurdistan irakien. Elle s'arrête de temps à autres pour essuyer ses lunettes, elle dit que ses parents ont quitté l’Irak pour la France, et qu’ils avaient essayé de la faire partir avec eux, mais elle avait refusé car elle voulait terminer ses études sur place.

A un moment, lorsque les combats se sont un peu calmés, elle a appelé ses parents pour leur dire qu’elle allait bien et qu’il ne fallait pas s’inquiéter. Au coucher du soleil, les combats se sont intensifiés. Les étudiantes pouvaient sentir la fumée et la poudre à canon et cela les a même rendu malades.

"Les mitrailleuses étaient si proches et si bruyantes, on aurait dit qu’elles étaient dans la pièce" raconte Rand au Daily Beast. Le coordinateur a ensuite appelé pour les informer que l’armée était en route. Deux combattants de Daech s’étaient terrés dans un bâtiment en construction à côté du leur. Il a fallu attendre le matin pour que le terrain soit assez sécurisé pour permettre à l’armée d’intervenir et de sauver les jeunes femmes.

Dans l’autre maison, avec six autres étudiantes, Monaly a eu une rencontre beaucoup plus rapprochée avec Daech. Elle parle des évènements des derniers jours calmement, assise dans le salon de sa maman à Erbil, avec ses deux sœurs.

Plus tôt dans la journée, les soldats de Daech étaient plus proches d’elle que les membres de sa famille en ce moment. Alors que sa mère sert les pâtisseries et le thé, la télévision allumée sur une chaine assyrienne montre une vidéo émouvante du sauvetage de Monaly et des autres survivantes, arrivant toutes dans des vans afin de retrouver leurs familles et amis, en larmes. Récemment diplômée de l’université, elle y travaille comme tutrice. C’est elle qui a rassemblé les six autres étudiantes lorsque les coups de feu ont commencé. "Nous sommes allées dans un corridor où il n’y avait pas de fenêtres et nous sommes restées là-bas jusqu’au matin, mais nous ne nous sentions pas en sécurité car nous étions juste à côté de la porte", dit-elle. Et c’est à ce moment qu’elles ont décidé d’aller se cacher dans une chambre à l’étage.

Le bruit des combats avoisinants s’est fait entendre durant toute la journée. De temps en temps, elles ouvraient la porte pour aérer. Quelqu’un avait donné le numéro de téléphone de Monaly aux forces de police et elle communiquait avec elles. A un moment, on leur a dit qu’il y aurait peut-être des frappes aériennes alors elles se sont cachées sous les lits d’une salle transformée en dortoir. Elles se sont cachées dans des draps pour se protéger des débris et des éclats. Cachées sous les lits, elles ont entendu des gens entrer dans la maison. Elle les ont entendus entrer dans la cuisine, juste à côté. Elles les ont entendus entrer dans leur chambre. Puis, ils se sont assis sur le lit, l’un d’eux était assis exactement au-dessus de Monaly. Monaly dit qu’une partie d’elle pense que les soldats ne voulaient pas s’encombrer avec des jeunes femmes alors que la bataille faisait rage. "C’est un miracle qu’ils ne nous aient pas vues" dit-elle.

Elle ne se souvient pas de tout. Elle se souvient surtout qu’elle espérait que leurs téléphones portables ne feraient pas bruit. Elle se souvient qu’au bout d’un moment, elle a entendu la voix de ce qu’elle pense être le commandant disant aux soldats qu’il était temps de quitter la maison. ''Lorsqu’on a entendu ça, on a enfin commencé à avoir un peu d’espoir", dit-elle. Certains soldats sont partis rapidement, mais un soldat blessé est resté en arrière et est allé dans la salle de bain, où Monaly a entendu l’eau couler. Monaly était encore en contact avec la police, qui a dit aux jeunes femmes qu’il était encore trop risqué pour elles de tenter de rejoindre le poste de police à cause des bombes artisanales. On lui a dit que le seul moyen de sortir était par la porte de derrière et que les filles devaient partir une par une.

Monaly s’est proposée pour être la première à sortir. "J’étais prête. Quelqu’un devait sortir en premier" dit-elle. "Je ne pensais pas, je suis juste sortie". Elle a couru de la porte de derrière vers un petit muret, où un officier de police l’a aidée. Les autres jeunes femmes ont suivi. "Je me suis senti renaitre lorsque le policier m’a attrapée" dit-elle. Peu de temps après qu’elles se soient échappées, le soldat de Daech dans la salle de bain s’est fait exploser.

Najmaldin Karim, le gouverneur de Kirkouk a depuis déclaré aux médias que Daech avait pour but de prendre en otage des jeunes femmes assyriennes. Monaly a eu de la chance. Lorsqu’on a demandé à Layla Aziz, la mère de Monaly, ce qu’elle pense de cette évasion, elle répond : ''C’était comme un miracle, la main de Dieu nous aidé". Et que pense-t-elle du fait que sa fille ait tutoyé la mort ? Layla Azmi a un large sourire et répond simplement : "On n’arrive pas à le concevoir."

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