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Envisageons la possibilité de travailler jusqu’à 75 ans pour sauver l'emploi des cinquantenaires
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Dans les vieux pots...

Le Premier ministre suédois vient de susciter un tollé dans son pays en estimant que la vie professionnelle pourrait se prolonger jusqu'à 75 ans. L'objectif reste pourtant que chacun change sa relation à l'emploi.

Eric Deschavanne

Eric Deschavanne

Eric Deschavanne est professeur de philosophie.

A 48 ans, il est actuellement membre du Conseil d’analyse de la société et chargé de cours à l’université Paris IV et a récemment publié Le deuxième
humanisme – Introduction à la pensée de Luc Ferry
(Germina, 2010). Il est également l’auteur, avec Pierre-Henri Tavoillot, de Philosophie des âges de la vie (Grasset, 2007).

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Le Premier ministre suédois, Fredrik Reinfeldt, a étonné le monde en présentant comme plausible la perspective d’une vie professionnelle prolongée jusqu’à 75 ans. Il n’entendait à l’évidence pas annoncer de la sorte une nouvelle réforme des retraites. En 1998, les Suédois ont mis en place un système considéré par beaucoup comme un modèle, qui comprend notamment, dans le calcul des pensions au moment du départ, des mécanismes d’ajustement automatique à l’évolution de l’espérance de vie et à la croissance. A ce dispositif solide s’ajoutent une relative prospérité économique, le plein-emploi et un dynamisme démographique qui font que la Suède n’est pas, pour l’heure, confrontée à l’urgence d’une réforme pour financer ses retraites.

Pourquoi donc un tel propos, qui peut apparaître comme une provocation inutile ? Le Premier ministre suédois souhaitait manifestement frapper les esprits en soulignant le fait que, par-delà les ajustements techniques nécessaires pour régler les problèmes de financement, la survie de la protection sociale exigera une véritable révolution culturelle, un bouleversement de notre représentation du rapport entre travail et cycle de vie.

La question du financement des retraites  - dans le cadre de sociétés où le temps de l’inactivité croît avec la durée des études et l’espérance de vie - se pose à tous les pays développés. L’enjeu politique est de préserver pour les générations futures l’acquis des trente dernières années, au cours desquelles la pauvreté a quasiment disparu chez les personnes âgées. Dans tous les pays où il existe des systèmes par répartition, les exigences de la compétitivité économique et de la conservation des acquis sociaux ont conduit à choisir de repousser l’âge du départ à la retraite plutôt que d’augmenter les cotisations des actifs ou de diminuer les pensions des retraités. Les réformes, en France comme en Suède, tout en laissant une marge plus ou moins grande de liberté, ont ainsi mis en place des dispositifs qui contraignent de fait les individus à travailler bien au-delà de 60 ans s’ils veulent maintenir un niveau de vie satisfaisant.

En France, l'ère du vieillissement social précoce 

Tandis que les opinions n’ont pas encore fait leur deuil du court âge d’or qui s’achève, durant lequel il fut possible de cumuler départ précoce et pensions substantielles, le problème des gouvernants va désormais être de créer les conditions qui rendront le départ tardif  (objectivement souhaitable) simplement possible. S’il s’avérait effectivement impossible d’aménager des fins de vie professionnelle durables pour les plus de 50 ans, l’appauvrissement des personnes âgées deviendrait à terme fatal.

Ce problème, notons-le, est beaucoup plus aigu en France qu’en Suède. Si le taux d’emploi des 55-65 ans s’est effrité en Suède au cours des trente dernières années, il s’est en France effondré. Par un curieux paradoxe, nous sommes entrés – avec l’abaissement de l’âge de la retraite à 60 ans, puis l’usage des dispositifs de "pré-retraite" comme réponse sociale aux difficultés économiques – dans l’ère du vieillissement social précoce au moment même (dans les années 1970) où l’espérance de vie à 60 ans a commencé à progresser. Le même homme peut ainsi être considéré comme vieux par son patron à 50 ans, tandis qu’à 65 ans son médecin lui trouvera une santé de jeune homme !

Ce que le Premier ministre suédois suggère à juste titre, c’est que l’allongement des fins de carrière s’impose désormais comme un impératif politique. La révolution des esprits, qui conditionne celle des pratiques, consistera à ne plus voir dans le travailleur de 50 ans un pré-retraité, pour le considérer à l’inverse comme étant à l’aube d’une nouvelle carrière. La projection d’une sortie tardive de l’activité est en effet nécessaire pour que les individus et les entreprises investissent dans la formation professionnelle au-delà de 45-50 ans. L’âge moyen de sortie du marché du travail étant en Suède de 64 ans (contre 59 ans en France), Fredrik Reinfeldt estime qu’un salarié suédois change sa "relation à l’emploi" en envisageant la possibilité de travailler jusqu’à 75 ans. Pour produire le même effet, un homme politique français aurait pu se contenter de proposer l’horizon des 70 ans. Il faut avoir à l’esprit le fait que certains jeunes entrent aujourd’hui sur le marché du travail à l’approche de la trentaine, et qu’il leur faudra cotiser quarante-un ans pour toucher une retraite pleine…

La situation politique n’est sans doute pas mûre, en France, pour que l’on pose sereinement cette question des conditions de réalisation de l’idéal (car cela en est bien un - politique - même s’il n’est pas encore reconnu comme tel par l’opinion) d’un allongement des fins de carrière. Certains aménagements seront douloureux et délicats à mettre en œuvre : il faudra considérer la seconde partie de carrière comme une phase de décélération progressive ; probablement admettre la nécessité, au rebours de leur progression à l’ancienneté, d’un déclin des salaires, accompagnant celui de la productivité ; envisager des transitions souples vers l’inactivité, avec le recours au temps partiel ; et, bien entendu, investir massivement dans les formations requalifiantes. Cette mutation culturelle est inévitable, mais, à l’évidence, nul responsable politique français n’est aujourd’hui assez audacieux, ou suicidaire, pour l’évoquer  explicitement.

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