Chantiers de Saint-Nazaire, actionnaire majoritaire à la mer : comment la passivité de l'Etat stratège risque (encore) de coûter à la France un des fleurons de son industrie<!-- --> | Atlantico.fr
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Un chantier STX à Saint-Nazaire.
Un chantier STX à Saint-Nazaire.
©LOIC VENANCE / AFP

Plouf !

Ce mercredi, le groupe sud-coréen STX Offshore & Shipbuilding, propriétaire des chantiers navals de Saint-Nazaire, a été mis en vente par la justice sud-coréenne. Un dossier qui pointe une nouvelle fois les défaillances de l’État-stratège en France.

Jean-Yves Archer

Jean-Yves Archer

Jean-Yves ARCHER est économiste, membre de la SEP (Société d’Économie Politique), profession libérale depuis 34 ans et ancien de l’ENA

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Atlantico : Mercredi 19 octobre, le groupe sud-coréen STX Offshore and Shipbuilding, propriétaire des chantiers navals de Saint-Nazaire, a été mis en vente par la justice sud-coréenne. Dans quelle mesure l'Etat-stratège, et la gestion qui en a découlé, peut-il être remis en cause dans ce dossier ?

Jean-Yves Archer : A ce stade, la gestion du dossier STX par l'Etat est une énigme et c'est évidemment aussi surprenant que regrettable. Dans une toute récente séance de questions au Gouvernement, le ministre de l'Economie a formulé une réponse de verbiage ne comportant aucune indication quant à la décision de principe de l'Etat. Va-t-il déployer tous les efforts possibles pour compenser la chute de l'actionnaire sud-coréen judiciairement reconnu comme défaillant dans l'ensemble de ses activités de holding ?

Comme dirait Martine Aubry, "quand c'est flou, c'est qu'il y a un loup", et effectivement les parlementaires et le grand public sont dans l'incapacité de savoir si une décision a été prise, quelle en est sa teneur rapportée aux enjeux stratégiques et sociaux de l'avenir des chantiers de Saint-Nazaire et surtout qui en serait le bras armé.

Sur le papier, le dossier est limpide : l'actionnaire majoritaire est en cessation de paiements et il souhaite (pressé par sa justice nationale) se défaire de sa participation à Saint-Nazaire qui est, par ailleurs, une belle affaire avec plus d'une décennie (oui, dix ans !) de carnet de commandes et un aspect stratégique puisque ces chantiers sont les seuls à pouvoir réaliser, en France, des bâtiments de grand gabarit pour la Défense (DCNS), à commencer par la coque d'un PAN (porte-avions nucléaire) dans l'optique du futur remplacement du Charles de Gaulle.

Risque de déchirures sociales (2600 salariés), risque pour les quelques 5000 sous-traitants, risque de perte de savoir-faire et de délocalisation de la production si un conglomérat remporte la mise, risque de souveraineté nationale... Autant de facteurs qui militent pour une réunion d'une heure entre le président de la République et Messieurs Sapin et Le Drian. Manifestement, la gestion de ce dossier est partie pour s'inscrire dans une complexité dont ce fameux quinquennat a le secret, surtout en fin de mandature.

Au regard des enjeux et de l'urgence, nous sommes plusieurs à espérer que notre ambassade à Séoul a d'ores et déjà pris attache avec les autorités de justice commerciale locales.

Curieusement, le fait que Jean-Marc Ayrault soit un élu du Grand Ouest ne semble pas avoir activé nos démarches. Où est donc le loup entre ces hauts décideurs publics ?

L'Etat possédant un tiers des actions de la filiale française, quelle position de sa part vous semblerait la plus efficace ?

Dans un communiqué de presse du 10 octobre co-signé par Messieurs Sapin et Sirugue, on peut lire la formulation suivante :

"L’objectif du gouvernement n’est pas de devenir actionnaire majoritaire de la société STX France, mais de peser dans le choix du repreneur pour que les Chantiers de Saint-Nazaire puissent disposer d’un actionnariat industriel solide capable d’accompagner leur développement sur le long terme".

En recourant à une exégèse précise, ce texte ne comporte aucun engagement crédible puisqu'il ne mentionne pas que le "développement sur le long terme" doive obligatoirement se déployer sur le territoire national.

Le communiqué de presse (non soumis au délit de parjure qui n'existe pas dans notre droit comme l'a rapporté l'affaire Cahuzac et les déclarations "les yeux dans les yeux") ajoute : "L’Etat conservera quoi qu’il arrive une position d’actionnaire minoritaire disposant de la minorité de blocage dans le capital de STX France. Le gouvernement reste très mobilisé dans le suivi de ce dossier".

Tout spécialiste du droit des affaires connaît les limites du pouvoir de l'actionnaire minoritaire notamment via des apports d'actifs à des filiales étrangères (délocalisation post-prise de contrôle). Nous sommes donc là en présence d'une proclamation politique et non d'un engagement juridique pris, par exemple, par l'APE (Agence des Participations de l'Etat).

Le calendrier est désormais serré puisque les acquéreurs pressentis doivent formuler leurs offres avant le 4 novembre. Avant le 15 du mois prochain, on saura si STX est happée par la liquidation probable de son groupe d'appartenance : STX Offshore & Shipbuilding.

A voir le résultat concret de la consolidation du plan de charges de l'usine Alstom de Belfort intervenu il y a quelques semaines, on a objectivement du mal à atteler le mot d'efficacité aux méthodes du gouvernement actuel de notre pays.

Sa position de refus de la nationalisation est une erreur car la France procédant ainsi pourrait, dans une seconde phase, effectuer un regroupement avec des chantiers européens, notamment espagnols.

D'autre part, pour reprendre un terme cher à deux personnalités aussi différentes que Dominique de Villepin et Arnaud Montebourg, il y a, chez STX, un cas grandeur nature de "patriotisme économique". Michel Sapin avait su l'évoquer à l'occasion de la viabilité de l'aéroport de Chateauroux-Déols... Autres temps, autres mœurs.

Quels enseignements pourrait-on en tirer pour d'autres entreprises où l'Etat est également actionnaire ?

Par pure tactique électoraliste, le gouvernement vient d'engager près de 10 milliards de dépenses dont certaines – comme par hasard – ne prendront le poids intégral qu'en 2018.

Par pure défausse, l'Etat a refusé d'ouvrir deux dossiers de recapitalisation urgente : EDF et Areva, pour un total de 10 milliards.

Par incompréhension des enjeux, il risque par son inertie de désespérer Saint-Nazaire : il est vrai qu'à l'Elysée, on compte en bulletins de vote possibles davantage qu'en perspectives d'avenir de la France.

Un récent livre d'entretiens en fait hélas foi au plus grand dam de l'APE, de la Direction du Trésor et du dynamique élu de Saône-et-Loire qu'est le secrétaire d'Etat à l'Industrie, Christophe Sirugue.

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