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Armes contre œuvres d'art volées : la mafia italienne s'allie à l’État Islamique
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THE DAILY BEAST

Deux organisations italiennes du crime organisé sont accusées de trafic d’armes avec des combattants de l’État Islamique, et ce en échange d’œuvres d’art pillées en Libye.

Barbie Latza Nadeau

Barbie Latza Nadeau

Barbie Latza Nadeau, est chef du bureau de Rome pour The Daily Beast.

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Barbie Latza Nadeau - The Daily Beast

Rome – Une photo floue montre la tête en marbre décapitée d’une statue romaine. L’image fait office de "ticket doré", généralement utilisé dans les meilleures maisons de ventes aux enchères du monde. Il n’y a pas de certificat d’authenticité pour ces œuvres d’art ; juste des plans, constellés de points rouges. Ce n’est pas une vente aux enchères comme les autres. Les plans en question montrent les tombes grecques et romaines qui viennent d’être pillées en Libye. Ces œuvres viennent d’être mises sur le marché par la 'Ndrangheta calabraise, qui travaille en collaboration avec la Camorra napolitaine.

La salle des ventes est une usine de salami appartenant à la mafia dans le sud de l’Italie. Les photos du butin ont été montrées à Domenico Quirico, un journaliste de la Stampa qui enquêtait sous couvert d’une fausse identité, celle d’un collectionneur d’art. Il travaillait avec la Police Italienne du patrimoine, qui essayait de cerner un réseau de trafic d’oeuvres d'art contre armes qui fleurit au sud de l’Italie depuis des mois. La tête en marbre, qui date de l’époque de l’Empire romain, partira pour à peine 66 000 dollars. Une autre statue plus grande et plus ancienne, datant de l'Antiquité grecque, sera vendue pour un million de dollars même si le dealer a confié à Quirico qu’il aurait pu l’avoir pour 880 000 dollars.

Les révélations de Domenico Quirico ont mis au jour un réseau complexe qui travaille apparemment au vu et au su de tout le monde. Les œuvres volées entrent illégalement en Italie sur des navires sous pavillon chinois qui arrivent de Syrte, à destination du port calabrais de Gioia Tauro, de loin le port le plus dangereux du pays. Il est caractérisé par de très nombreuses habitations illégales, et la plupart sont construites avec des containers de navires abandonnés.

C’est ici que la 'Ndrangheta gère le plus grand trafic de médicaments en Europe depuis des années. Lundi dernier, le ministre de l’Intérieur italien Angelino Alfano a confirmé les révélations du reportage de la Stampa, en ajoutant que le gouvernement italien sait qu’un réseau de trafic d’objets d'art finance le terrorisme djihadiste dans la Libye toute proche... "Nous avons étudié le 'PIB de la terreur' et nous savons que l’une de ses composantes est l’œuvre d’art volée", a-t-il déclaré aux journalistes. "Les œuvres d’art volées alimentent les circuits de Daesh et contribuent au PIB de la terreur".

Les gangs italiens acquièrent les œuvres d’art par des djihadistes pilleurs de tombes en Libye, en échange d’une grande variété d’armement qui va de la kalachnikov aux lance-grenades. La Camorra possède ces armes en très grande quantité grâce à ses liens et son trafic de longue date avec la Russie, la Moldavie et l’Ukraine.

Les armes sont soit passées en contrebande en Libye sur les mêmes navires, soit laissées en Europe pour des combattants étrangers qui les récupèrent en Europe. En septembre, la brigade de la police financière italienne a découvert ce qu’elle a appelé "un véritable arsenal de la Camorra" dans une voiture volée abandonnée dans un parking d’une banlieue dure de Naples.

Dans le coffre se trouvaient 8 pistolets, 4 fusils mitrailleurs, un fusil d’assaut et 650 recharges de munitions ainsi que des silencieux pour les armes, le tout réparti dans des sacs de sport. Selon la Police, les numéros de série avaient été effacés de toutes les armes. La voiture abandonnée n’était pas fermée à clé et les armes étaient prêtes à être récupérées par quelqu’un qui les aurait fait entrer plus au nord en Europe.

Une fois l’échange armes contre œuvres d’art fait, celles-ci sont vendues au marché noir à des collectionneurs qui ne se soucient pas de la provenance. D’après la Police italienne du patrimoine, le gros des pillages faits en Libye finit dans des collections privées en Russie, en Chine et au Japon.

Domenico Quirico a appris que s’il n’avait pas acheté la tête de la statue en marbre, elle aurait été vendue à quelqu’un dans les Emirats arabes Unis qui recherchait une pièce similaire. On lui a également dit qu’un acteur américain connu "avait envoyé quelqu’un pour chercher des œuvres grecques ou romaines pour moins de 50 000 dollars, mais qu’il n’avait rien trouvé encore".

Que Daesh soit présent sur le marché de la contrebande d’œuvres d’art depuis des années n'est pas un secret. Les pillages faits en Irak et en Syrie terminent souvent sur le marché noir. En avril dernier, l’ambassadeur russe auprès des Nations unies, Vitaly Churkin, avait prévenu le Conseil de sécurité que le trafic illégal d’œuvres d’art et d’objets anciens finançait le terrorisme. ''Environ 100 000 objets culturels anciens d’importance universelle sur le marché de l’art, dont 4500 sites archéologiques, sont sous le contrôle de Daesh en Syrie et Irak", a écrit Churkin. ''Le profit retiré de ce commerce illicite d’antiquités et de trésors archéologiques représente entre 150 et 200 millions de dollars par an pour Daesh".

Ces trésors sont évacués par la Turquie et sont directement vendus à des collectionneurs privés. Il est désormais clair que le commerce illicite s’étend aussi à la Libye, où les gangs italiens essaient de se placer dans le business lucratif de fournisseurs de djihadistes. D’après La Stampa, des milices spéciales ont pris en otage des archéologues en Libye afin de leur faire faire des fouilles, et le sale boulot, dans les cinq sites considérés comme patrimoine mondial de l’humanité par l’Unesco.

D’après l’historien d’art et journaliste Luca Nannipieri, dont le livre L’art de la terreur est sorti la semaine dernière en Italie, une bonne partie du butin volé par Daesh termine sa course dans les musées, les fondations après avoir été "lavé", muni d'une fausse provenance et de documents qui lui permettent de rentrer sur le marché officiel. Nannipieri a passé deux ans à suivre la trace de plusieurs antiquités connues pour avoir été sorties de zones contrôlées par Daesh. "Le marché finance un réseau de contrebandiers, de profiteurs, de saccageurs de tombes, tous liés aux fondamentalistes islamistes en Irak, Syrie, Libye et Egypte", explique-t-il. Il a aussi découvert que des tombes anciennes dans les régions de Toscane et du Lazio avaient elles aussi fini par tomber aux mains de contrebandiers de Daesh qui ont des connexions en Italie. "On dit que la beauté sauvera le monde", dit-il. "C’est faux. La beauté et l’art sont souvent les mobiles des meurtres, de la destruction, de l’oppression et de la dévastation".

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