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"L’offre crée la demande"... ou pas : la stratégie économique de François Hollande taillée en pièces par la patronne de la Fed
©Reuters

Hollandomics

En 2014, alors qu'il présentait son Pacte de responsabilité, François Hollande avait déclaré : "l'offre crée la demande". Or, lors d'un discours à Boston ce vendredi 14 octobre, la présidente de la Fed Janet Yellen a indiqué qu'une trop faible demande avait un effet destructeur sur l'offre. Le chef de l’État aurait ainsi commis une erreur d'analyse, qui a conduit à une aggravation de la situation économique de la France.

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue est professeur d'économie à l'université de Lille. Il est le co-auteur avec Stéphane Ménia des livres Nos phobies économiques et Sexe, drogue... et économie : pas de sujet tabou pour les économistes (parus chez Pearson). Son site : econoclaste.net

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Atlantico : En janvier 2014, alors qu'il présentait le Pacte de responsabilité à la presse, François Hollande avait déclaré : "Il nous faut produire plus, il nous faut produire mieux. C’est donc sur l’offre qu’il faut agir. Sur l’offre ! Ce n’est pas contradictoire avec la demande. L’offre crée même la demande". Or, lors d'un discours prononcé à Boston vendredi  14 octobre, la présidente de la Fed, Janet Yellen, a parlé de l'effet destructeur sur l'offre d'une trop faible demande. Quelle a été l'erreur d'analyse de François Hollande ? Dans quelle mesure cette erreur a-t-elle pu conduire à une aggravation de la situation économique française ?

Alexandre Delaigue : François Hollande n'a pas vraiment commis d'erreur d'analyse car pour qu'il y ait erreur, il faudrait qu'il y ait véritablement eu analyse. En réalité, la déclaration de François Hollande comporte peu de réflexion. L'expression "l'offre crée sa demande" était une manière de faire une entourloupe orale : c'est un peu la version économique de l'"abracadabrantesque" qui avait été utilisé par Jacques Chirac. C'est une particularité bien française de considérer qu'à partir du moment où quelque chose a été énoncé, la réalité doit s'y conformer.

Le discours électoral de François Hollande portait sur une promesse de changement des politiques européennes. Or, cette promesse ne s'est pas du tout matérialisée. En conséquence, la solution a consisté à augmenter les impôts - ce qui était contraire aux annonces électorales - puis à partir du moment où ces hausses d'impôt ont posé problème, la solution a été de satisfaire les entreprises en rentrant dans la rhétorique de la compétitivité. Une telle solution revient toujours en France à trouver une manière plus ou moins déguisée de subventionner le vieux secteur productif (les entreprises industrielles), là aussi avec un électoralisme de courte vue et le souci d'éviter de devoir passer à la télévision parce que des usines ferment.

Il n'y avait, dans la politique du Président, aucune perspective macro-économique sur la situation française : est-ce qu'on devait avoir une politique économique de soutien à l'activité ou est-ce qu'on devait avoir en priorité une politique orientée sur le secteur productif ?

Le diagnostic aurait pourtant dû être assez évident : une économie française, à l'instar du reste des pays européens, pénalisée par des politiques budgétaires restrictives d'austérité et à l'époque encore par une politique monétaire qui commençait à peine à changer et qui n'avait pas encore produit d'effets. Ainsi, les problèmes de l'économie française n'étaient pas liés au fait que le tissu productif était devenu moins efficace à cause de réglementations, mais résultaient d'une insuffisance de demande globale, qui pouvait en partie se justifier par les contraintes liées à la construction européenne. Mais c'était un discours qu'il était impossible de tenir - ou du moins que le gouvernement français ne voulait pas tenir -, il fallait donc trouver un discours de substitution, qui a été la rhétorique de la compétitivité. 

Une note du texte de Janet Yellen renvoie au concept de loi de Say inversée. En quoi ce concept de "loi inversée" peut-il s'appliquer au contexte français, et à celui de la zone euro en général ? 

L'idée de la loi de Say est que dans une économie qui fonctionne bien, c’est-à-dire dans laquelle les prix s'ajustent bien, les entreprises produisent, la valeur de cette production est utilisée sous forme de revenus (soit du capital, soit du travail) et ensuite ces revenus permettent d'acheter la production. En d'autres termes, une crise de surproduction ne peut pas avoir lieu si les prix et les marchés s'ajustent bien.   

La loi de Say cesse de fonctionner lorsque, pour une raison ou une autre, certains marchés ne fonctionnent pas bien : le marché du travail n'arrive pas à s'ajuster, il y a de la déflation et tout le monde essaie d'épargner en même temps, etc. Quand la loi de Say cesse de fonctionner, on se retrouve dans un contexte d'économie déprimée. Janet Yellen veut alerter sur le fait que si de tels dysfonctionnements sont maintenus pendant très longtemps, les dommages peuvent devenir irréversibles, ou du moins très longs à corriger.

On peut illustrer cette loi de Say qui cesse de fonctionner de façon concrète. Au niveau des entreprises tout d'abord. Au début, certaines entreprises ont du mal à vendre leurs produits et subissent quelques années de perte. Elles commencent donc par licencier quelques personnels pour faire face à leur situation très difficile. Mais si toutes les entreprises font face à une baisse de la demande, elles ne rétablissent pas leurs situations et certaines font faillite. Reconstituer ce tissu productif qui disparaît prendra beaucoup de temps.

Au niveau de la population ensuite. Des individus qui ont été au chômage pendant 3 mois peuvent retrouver facilement du travail. En revanche, c'est beaucoup plus difficile pour ceux qui ont été au chômage pendant 4-5 ans, même si l'économie redémarre.

Ainsi, du fait de ces dysfonctionnements qui perdurent, il va falloir pendant très longtemps soutenir la demande pour rétablir les anticipations des agents et ramener l'économie à sa situation antérieure. 

Ce constat posé, que faudrait-il faire pour agir en conséquences ? Quelles seraient les politiques à mettre en œuvre en priorité ? Que penser de "l'économie sous haute pression", solution proposée par Janet Yellen pour réparer les dégâts causés par le manque de demande ? Au regard de l'offre électorale en vue de la présidentielle, peut-on considérer que la prise de conscience a eu lieu ? 

La politique monétaire en Europe soutient l'activité autant qu'elle peut le faire, ce qui représente un vrai changement par rapport à il y a 3-4 ans.

Les programmes des candidats de droite semblent a priori viser à soutenir l'activité avec une baisse d'impôts très forte et des baisses de dépenses publiques moins fortes. L'effet budgétaire devrait a priori être un effet de soutien à l'activité. Cet effet sera-t-il très grand ? Au regard des bénéficiaires des baisses d'impôts, on peut en douter. Supprimer l'ISF et baisser les charges ne va pas relancer l'investissement des entreprises ni la consommation. Mais le principe de faire du déficit n'est pas forcément mauvais. Néanmoins, deux problèmes se posent. Le premier problème est qu'il n'y a pas d'offre à gauche qui soit équivalente. Le deuxième problème est que si les gouvernements commencent à faire une politique de relance extrêmement forte, les tensions que cela créera au niveau européen risquent d'être tellement importantes que cela peut pénaliser la BCE et l'empêcher de conduire sa politique. Au final, cela risque donc de poser des problèmes sur les marchés de la dette publique dans un contexte où politiquement la BCE ne pourrait plus autant intervenir sur les marchés de dette publique.  

Tous les dirigeants politiques pendant les périodes électorales font comme si l'Europe n'existait pas. Or, s'ils continuent d'éluder la question européenne, ils vont tous rencontrer le même problème : s'ils n'arrivent pas à faire changer les politiques européennes, à trouver une alternative, tout cela ne mènera à rien, sauf peut-être à une récession supplémentaire. 

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