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Cette Europe devenue détestable car conduite par des gens méprisables
©Reuters

Bonnes feuilles

Après avoir servi de bouc émissaire à la crise de 2008, le libéralisme, désormais réhabilité, tient lieu d’étalon de valeur entre candidats aux primaires de la droite. Pour analyser l’origine du libéralisme et sa véritable nature, Charles Gave, dans une série de billets d’humeur, revient ici sur les grands principes à l’origine de cette branche du Droit ainsi que sur les réalités économiques auxquelles la France de demain sera inéluctablement confrontée. Extrait de "Sire, surtout ne faites rien !" de Charles Gave, aux éditions Jean-Cyrille Godefroy 2/2

Charles Gave

Charles Gave

Charles Gave est président de l'Institut des Libertés, un think tank libéral. Il est économiste et financier. Son ouvrage L’Etat est mort, vive l’état  (éditions François Bourin, 2009) prévoyait la chute de la Grèce et de l’Espagne. Il est le fondateur et président de Gavekal Research et de Gavekal Securities, et membre du conseil d’administration de Scor.

 

 

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16 mars 2015 : Quand les technocrates détruisent l’Europe que j’aimais

Revenons en arrière, aux années 90. L’euro est en préparation et tous « les oints du Seigneur » de service de nous expliquer que l’introduction de l’euro va amener à une croissance plus forte, à une hausse de l’emploi, au développement d’un système bancaire intégré, solide et puissant, à une amélioration extraordinaire de la protection sociale, à des femmes plus belles et à des hommes plus aimables… et que tout cela n’aura aucun coût.

Une citation entre mille : « Maastricht constitue les trois clefs de l’avenir : la monnaie unique, ce sera moins de chômeurs et plus de prospérité ; la politique étrangère commune, ce sera moins d’impuissance et plus de sécurité ; et la citoyenneté, ce sera moins de bureaucratie et plus de démocratie. » Quel génie ! Le sergent Maginot apparaît comme un visionnaire en comparaison de Michel Rocard.

Quelques voix, Philippe Villin, J.-C. Rosa, Jacques Sapir et quelques autres dont votre serviteur, s’élevaient – déjà – à l’époque contre ce qui paraissait être une ânerie économique mais surtout une faute politique. Je ne vais pas avoir la cruauté de montrer une fois de plus les résultats économiques désastreux de ce Frankenstein financier car la réalité parle d’elle-même. En réalité, ma principale critique a toujours été que l’euro allait détruire l’Europe que j’aimais, celle de la diversité, pour la remplacer par une Europe technocratique et inhumaine, ce qui ne manquerait pas de faire renaître les vieilles haines entre peuples tout en permettant l’émergence de mouvements populistes dont l’histoire a montré qu’ils pouvaient être extraordinairement dangereux. C’est sur cet aspect politique que je veux écrire aujourd’hui, car c’est de loin le plus important. Ma thèse, depuis le début, a toujours été que la construction de l’euro avait été organisée par un groupe de gens non élus et ne rendant de comptes à personne pour prendre le pouvoir politique et que donc cela s’assimilait à un coup d’État. En ce qui concerne l’Europe, dès son origine, deux conceptions s’affrontaient :

– Celle de la Démocratie chrétienne, représentée par de Gasperi, Adenauer ou Schuman, fondée sur un principe essentiel de l’Église catholique, la subsidiarité, et ancrée dans des pratiques démocratiques.

– Celle de Jean Monnet, et ensuite de partis socialistes européens qui voulaient créer un État européen, qui aurait vocation à se substituer aux États nationaux. Cet État serait non démocratique mais technocratique (Jean Monnet se méfiait profondément de la démocratie) et géré bien sûr par les hauts fonctionnaires français.

Ces deux conceptions ont navigué de pair tant bien que mal jusqu’à la réunification allemande, où il devint évident que l’Allemagne allait disposer du pouvoir monétaire en Europe grâce à la Bundesbank et au DM.

Les partisans français de l’État européen (Delors, Trichet, etc.) décidèrent alors de faire un coup d’État et de forcer la création de cet État en commençant par la monnaie, c’est-à-dire l’euro, ce qui était censé coincer l’Allemagne, Mitterrand annonçant fièrement alors « qu’il avait cloué les mains de l’Allemagne sur la table de l’euro ». On le vérifie chaque jour.

À l’époque (2002), j’avais écrit « Des Lions menés par des ânes », mon premier livre, dans lequel j’expliquais que l’euro allait amener à trop de maisons en Espagne, trop de fonctionnaires en France et trop d’usines en Allemagne et où j’annonçais un désastre économique sans précédent dans l’Europe du sud. Et pour cause, je ne connais pas dans l’histoire de fixation de taux de changes fixes entre deux pays avec une productivité différente qui ne se soit pas terminée par un désastre.

Et la conclusion de ce livre était que l’euro allait tuer l’Europe que j’aimais, c’est-à-dire l’Europe de la diversité, et faire remonter les vieilles haines ancestrales à la surface. Car toutes les tentatives de recréer l’Empire romain, ce fantôme qui hante notre histoire, se sont terminées dans la guerre et dans le sang.

Comme on pouvait s’y attendre, depuis ce coup d’État, les procédures de remises au pas de ceux qui ne sont pas d’accord sont devenues de moins en moins démocratiques.

Lorsque la crise grecque, la première, commença, un socialiste, Papandreou était au pouvoir. Il accepta les conditions imposées par le FMI qu’il avait appelé à la rescousse (présidé alors par Strauss-Kahn…), à la condition que le peuple grec soit consulté par référendum. Il fut instantanément remplacé, après de sordides manœuvres de couloir, par un dénommé Papademos… ancien vice-gouverneur de la BCE.

Quelque temps après, Berlusconi, le Premier ministre italien, émit l’idée que si l’Allemagne continuait à suivre une politique déflationniste qui tuait ses voisins, alors l’Italie pourrait décider de quitter l’euro. Lui aussi fut promptement débarqué et remplacé par le Quisling de service, un ancien Commissaire européen dénommé Monti, que personne n’avait jamais élu et qui avait fait toute sa carrière à Bruxelles.

Dans les deux cas de figure, un Premier ministre parfaitement légitime qui avait osé remettre en cause la doxa européenne a été débarqué manu militari pour être remplacé par quelqu’un de plus… souple.

Mais tout cela s’est fait dans une certaine discrétion, le but étant de ne pas affoler les populations. Avec les dernières élections grecques, les masques sont tombés. Tour à tour, nous avons eu :

– Barroso, ancien mao/trotskiste et ancien Président de la Commission qui déclare que les élus ne savent pas résister aux demandes incongrues de la population et que donc les responsabilités doivent être exercées par des gens non élus, peu sensibles aux foucades du corps électoral.

– Schauble, le ministre des Finances allemand qui dit que les élections grecques ne changeaient rien. Pourquoi voter ?

– Et enfin Juncker, le fraudeur fiscal, viré par les électeurs luxembourgeois et instantanément nommé comme Président de la Commission européenne qui annonce qu’il n’existe pas de sortie « démocratique » aux Institutions européennes.

Ces trois éminents personnages nous annoncent tranquillement qu’ils s’assoient avec beaucoup d’assurance et sur la démocratie et sur la souveraineté de chaque nation européenne. Et cette attitude est de plus en plus visible chez leurs seconds couteaux. Une participante – grecque – aux dernières négociations à Athènes a dit que l’un des membres de la troïka avait suggéré, pour régler les problèmes de cash-flow de l’État local, que celui-ci ne paye ni les retraites ni les fonctionnaires pendant un ou deux mois. Proposition rejetée avec indignation par le ministre des Finances, cela va sans dire. On ne peut s’empêcher de penser au fameux « Ils n’ont pas pain ? Qu’ils mangent de la brioche », attribué à Marie-Antoinette.

Cela m’amène à poser une seule question : Pour les peuples européens, de quel espoir est porteur aujourd’hui l’Europe telle que les technocrates nous l’ont bâtie ? Qui est prêt à mourir pour cette Europe ? La « démocratie européenne » ressemble de plus en plus à l’évidence aux « démocraties populaires » d’il y a peu. On sait comment on y entre, on ne sait pas comment en sortir. Nous sommes donc en train d’arriver à ce que je craignais par-dessus tout : une délégitimation de l’idée européenne née après la Seconde guerre mondiale et voilà qui me rend fort triste.

À ce point, le lecteur va me demander : mais que faire ? La réponse est toujours la même.

– Croire que le mal existe et lutter contre.

– Savoir dire non.

– Agir individuellement.

– Ne pas croire en un homme providentiel.

– Influencer ceux qui sont autour de vous,

– Éduquer les autres sans relâche.

– Transmettre ce que vous savez.

– Soutenir ceux qui ont le courage de lutter et qui y consacrent leurs vies.

– Se retrouver avec ceux qui partagent les mêmes valeurs. Et ici, je songe par exemple à l’Institut de Formation Politique dont l’Institut des Libertés est proche.

Le pire n’est jamais sûr, et c’est pendant la profondeur de la nuit disait Péguy (je crois, à moins que ce ne fut Bernanos) qu’il est beau de croire à l’aurore.

Extrait de Sire, surtout ne faites rien ! de Charles Gave, publié aux éditions Jean-Cyrille Godefroy, octobre 2016. Pour acheter ce livre, cliquez ici

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