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Le jour où la femme délaissée d'un agent double espagnol a bien failli faire échouer le débarquement allié de 1944
©Reuters/ Herman Wall/US National Archives

C'était pas loin

Il ne fait pas bon être agent secret et avoir une femme impulsive. Ce n'est pas l'agent double Juan Pujol, espion espagnol au service du gouvernement britannique, qui vous dira le contraire. Il s'en est fallu de rien pour que sa femme ne ruine son travail et compromette sérieusement le débarquement de Normandie.

Juan Pujol Garcia, connu sous le nom de code "agent Garbo" était un espion espagnol au service du Military Intelligence, section 5 – autrement appelé MI5 –, le service de renseignement intérieur britannique. Durant la Seconde Guerre mondiale, il s'est fait passer pour un espion nazi et a fait croire à Hitler et ses conseillers que le débarquement des Alliés allait avoir lieu sur les côtes du Nord-Pas-de-Calais, et non celles de Normandie. Un rôle capital, qui lui a valu d'être qualifié par l'historien britannique Christopher Andrew de "plus grand agent double de la Seconde Guerre mondiale, et peut-être de tout le XXème siècle". Il n'empêche que cette opération d'intox a bien failli capoter, suite à une saute d'humeur de la femme de l'agent, Araceli Pujol. Le journal The Washington Post nous raconte comment une dispute de couple a bien failli nous coûter la Libération de la France.

Agent double

Au sorti de la guerre d'Espagne remportée par le dictateur nationaliste Franco, le Barcelonais Juan Pujol Garcia grandit dans la haine du fascisme, et désire œuvrer aux côtés des Alliés au cours de la Seconde Guerre mondiale, "pour le bien de l'humanité". Au printemps 1942, il se fait engager par les services de renseignement britanniques, le MI5. Son rôle : faire croire aux nazis que le grand débarquement des forces alliées aura lieu en Nord-Pas-de-Calais, et non en Normandie. Pour cela, il doit se faire passer pour un espion à la botte du Troisième Reich. Sa femme, Araceli, est mise au courant de la combine, et le couple déménage à Londres pour mener à bien la mission. 

L'épouse de l'agent double est tout d'abord d'une aide sans failles. Un jour, alors que des agents nazis lui demandent où se trouve son mari, Araceli répond sans tressaillir que celui-ci est actuellement en Angleterre, alors qu'il se trouve en réalité au Portugal, en mission pour le MI5. Elle participe également à l'élaboration d'un rapport de contre-espionnage, en imaginant de toute pièce un réseau de 28 espions britanniques, assortis de noms, vies et professions fictifs à transmettre aux nazis, indique le site History.

Mal du pays

Mais voilà, Araceli Pujol ne se fait pas à la vie londonienne. Ne parlant pas un mot d'anglais, l'épouse de l'agent double n'a pas le droit d'échanger avec d'autres Espagnols – l'Espagne franquiste collaborait avec l'Axe – afin de ne pas attirer les soupçons. La seule personne avec qui elle peut discuter est son mari, aux rares moments où celui-ci est présent au foyer familial. À cet ennui s'ajoute un mal du pays, renforcé par le fait qu'Araceli n'apprécie que très moyennement la gastronomie d'outre-Manche. "Trop de macaronis, trop de patates, pas assez de poisson", se plaint-elle.

Dans le but de la réconforter, un espion du MI5 est même galamment dépêché au Portugal afin de lui ramener quelques habits en soie, tissu alors introuvable en Angleterre car consacré à la manufacture militaire. Mais ces efforts n'y feront rien : le 21 juin 1943, Araceli en a ras-le-bol, et le fait savoir à Tomás Harris, un expatrié espagnol également en poste au MI5. Pire, elle menace d'aller tout raconter à l'ambassade d'Espagne si on ne la laisse pas rentrer au pays sur-le-champ, relate la BBC. "Je ne veux pas vivre un jour de plus en Angleterre", s'écrie-t-elle au téléphone. Celle qui avait aidé son mari à tromper les nazis risquait bien de tout faire capoter. "Même s'ils veulent me tuer, je m'en vais à l'ambassade d'Espagne".

Retournement de situation et victoire finale

Pour éviter ce drame, Juan Pujol et son équipe mettent en place une supercherie visant à faire taire cette épouse un peu trop bruyante. Pour faire culpabiliser cette dernière, le MI5 lui annonce que suite à ces menaces de trahison, son mari a été emprisonné pour des raisons de sécurité. Pas dupe, Araceli met en doute de la véracité de ces propos. Mais les services de renseignement poussent le jeu jusqu'au bout, et invitent madame Pujol à venir rencontrer son mari, lequel la retrouve dans une salle d'interrogatoire en tenue de prisonnier. Araceli, bouleversée, s'effondre en larmes et promet de "ne plus rien faire quelque chose qui puisse compromettre le travail de son mari".

Enfin tranquille, Juan Pujol se remet au travail et envoie quatre rapports de désinformation aux nazis entre janvier et juin 1944. Trois jours après que les Alliés commencent à bombarder les côtes normandes, Pujol soutient que ces attaques ne sont qu'un leurre, et que le véritable assaut aura lieu 150 kilomètres plus au nord. Les nazis lui font alors confiance, et Hitler lui-même refuse sept semaines durant d'envoyer des troupes en renfort, persuadé qu'il ne fallait pas mettre toutes ses forces dans la bataille, détailleHistory. Un délai suffisant pour les troupes américaines, canadiennes et anglaises (entre autres) pour pénétrer le territoire français et reprendre le contrôle de la région. Très professionnel, l'agent Garbo a réussi à mener les nazis par le bout du nez sans se faire démasquer. Agent double jusqu'au bout, il reçoit deux médailles : la croix de Fer, remise par les nazis ; et la médaille de l'ordre de l'Empire britannique. Nul doute qu'il ne tienne compte que de la seconde.

Dernière pirouette

Remercié, Juan Pujol s'est alors expatrié au Venezuela pour continuer sa vie. Sa femme le rejoint, mais fragilisé par cette mésaventure, le couple se sépare. Araceli retourne en Espagne avec ses trois enfants, et l'ambassade d'Angleterre locale l'informe un an plus tard que son mari est décédé de la malaria en Angola. Cela n'est encore une fois que pure intox : il s'agit surtout pour le MI5 de faire disparaître l'agent Garbo des écrans radars et ainsi lui éviter d'éventuelles représailles. Une manière, aussi, d'offrir à leur meilleur agent une opportunité de recommencer sa vie. Si l'on ne sait pas si Juan et Araceli se sont remariés chacun de leur côté, on sait en revanche que Juan a pu retrouver ses enfants au Venezuela, avant de s'éteindre en 1988.

Ou comment un homme a sacrifié sa vie amoureuse au profit de la vie de millions d'autres.

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