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Vers une présidentielle 2017 dans le vide ? Quand les sujets qui fâchent sont pris en otage entre la France du déni et celle de l'huile sur le feu (mais laquelle est la plus dangereuse...?)
©Reuters

Verre d'eau à moitié...

Le rapport publié par l'Institut Montaigne (Ifop) sur l'Islam en France révèle deux conceptions de la politique opposées, vouées à s'affronter et structurer les débats lors des échéances politiques à venir.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

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Atlantico : Suite à la publication d'un rapport de l'Institut Montaigne intitulé "Un islam français est possible", et aux réactions qui l'ont accompagné, est-il possible de considérer que la "France politique" se divise aujourd'hui entre ceux qui préfèrent minorer une situation, et ceux qui souhaitent "mettre les pieds dans le plat"(une fracture qui peut également s'observer sur la question de la mondialisation, la question européenne etc...) ?

Eric Verhaeghe : Vous voulez dire qu'il y aurait une France de la lucidité et une France du déni? Je suis assez d'accord avec ce constat. On voit bien que, structurellement, certains préfèrent encore s'abuser sur la réalité en se disant que cela ne va pas si mal. C'est notamment le cas à gauche où tout est prétexte pour se rassurer. A cet égard, les discours de François Hollande constituent de très beaux monuments de déni et d'auto-persuasion. Ils tendent tous à "arranger" la réalité et à prolonger autant que possible une sorte d'euphorie douce sur l'état réel du pays. Face à ce camp, une sorte de franco-scepticisme tend au contraire à tout voir en noir et à percevoir la réalité de façon très négative. Vous avez raison de souligner que cette fracture se vérifie sur de multiples sujets. Les mêmes qui perçoivent une déstabilisation de l'identité française, jettent un regard angoissé sur la mondialisation, où tout leur semble un signal du déclin français. Ce déclin, ils le vérifieront d'ailleurs volontiers pour tout ce qui touche la place de la France dans le monde, notamment en Europe, où notre minoration par rapport à l'Allemagne est flagrante. En fait, ce camp est bien celui d'une sorte d'ambition nationale qi ne peut se satisfaire des demi-mesures ou des satisfactions facilement acquises notamment par la gauche. 

Il apparaît que la France semble divisée entre les optimistes et les pessimistes dans le rapport à l'islam, chaque camp affichant également des nuances dans son approche. Est-il possible de dresser un état des lieux démographique, en termes de rapports de force, entre les différentes approches ?

Vincent Tournier Ce sont des stratégies classiques. C’est la base de la politique : il faut savoir être conservateur dans certains cas, réformiste dans d’autres. Tout dépend des circonstances et des calculs électoraux. Cela dit, dans l’ensemble, on a quand même le sentiment que, sur beaucoup de grands sujets, il y a plutôt une sorte de paralysie. La mondialisation, l’Union européenne, l’avenir du Moyen-Orient ou l’islam lancent des défis importants, mais les débats restent bien modestes. On attend encore que des gens « mettent les pieds dans le plat », pour reprendre votre expression.

Le rapport de l’Institut Montaigne sur les musulmans en France entre dans ce cas de figure. Il présente des résultats très intéressants et devrait susciter un débat important. Mais le problème est que cette enquête peut être interprétée de différentes manières. On voit déjà que les optimistes insistent surtout sur le fait que les musulmans sont en majorité modérés et ouverts sur la laïcité. Pourtant, on observe surtout qu’une minorité conséquente (28% au moins) se situe clairement dans une logique fondamentaliste et aspire à instaurer une contre-société en rupture avec la société française.

Ce résultat devrait donc faire réfléchir. L’existence d’une forte minorité radicalisée (dont on peut d’ailleurs penser qu’elle est sous-estimée dans l’échantillon) montre qu’on ne peut pas s’en tenir à une image trop simple de la situation actuelle. Bien sûr, cette minorité n’est pas forcément violente, mais elle montre quand même que la radicalisation et le passage à l’acte trouvent leur source dans un contexte plus général. 

Or, le problème est que personne n’ose aborder cette question. Beaucoup se contentent d’un argument commode : puisque la majorité des musulmans ne sont pas radicalisés, cela signifie que tout va bien, qu’il n’y a pas de problème avec l’islam. C’est absurde, et même dangereux : on ne peut pas se contenter d’évacuer le problème à partir d’un simple raisonnement arithmétique. Une minorité active peut très bien prendre le dessus, donner le ton, comme cela se passe dans beaucoup de mouvements sociaux ou politiques.

Il serait donc dommage d’utiliser cette enquête pour écarter la seule question vraiment fondamentale : quelles sont les causes de cette logique fondamentaliste qui traverse la population musulmane, et comment la casser ? La question est d’autant plus urgente que le fondamentalisme semble gagner en force chez les jeunes, ce qui est cohérent avec le fait que les djihadistes se recrutent désormais chez les adolescents. C’est cette question qu’il faut mettre au cœur du débat sur l’islam. Tant que cette question ne sera pas posée franchement, il est à craindre que les problèmes continueront de s’aggraver. Or, les réactions officielles n’incitent pas à l’optimisme. On voit par exemple que ce qui est mis en avant, ce sont les victimes du terrorisme, y compris avec l’attribution étonnante d’une médaille. Cette priorité donnée aux victimes a quelque chose de perturbant, qui laisse entendre que le seul débat qui vaille, c’est de savoir comment apporter la plus grande compassion possible envers ceux qui souffrent, et non de comprendre notre ennemi pour le détruire. On peut relier cette attitude à la façon dont Jack Lang, l’actuel président de l’institut du monde arabe, ferme autoritairement le débat en soutenant que «l’islam est une religion de paix, de respect et de tolérance ». La position institutionnelle qu’occupe Jack Lang incite à conclure que l’Etat n’a pas envie d’engager un débat qui l’obligerait à mettre sur la table sa politique étrangère, par exemple ses liens avec l’Arabie saoudite, pays dont on vient d’apprendre qu’il va obtenir la présidence du conseil des droits de l’homme de l’ONU, et où un jeune chiite devrait être prochainement décapité et crucifié. Il serait donc intéressant de poser la question à Jack Lang : l’Arabie saoudite correspond-elle au véritable islam, ou incarne-t-elle un islam dévoyé ? 

Quelle a été la généalogie de clivage qui semble aujourdhui diviser la société française, comment a-t-il évolué au cours de ces dernières années, quels ont été les fais d'actualité qui ont participé à son émergence ?

Eric Verhaeghe : De mon point de vue, il y a une sorte d'effondrement narcissique à gauche, par lequel toute affirmation de notre identité est perçue comme une sorte de manifestation débordante d'agressivité et une source d'angoisse. La gauche est dominée par cette curieuse dépression qui veut que dire qui on est et en être fier plonge dans un telle inquiétude,  une telle culpabilité qu'il faut se le reprocher, se l'interdire, et renoncer à être soi-même pour tout accepter de l'autre. L'effondrement narcissique, c'est la femme battue convaincue d'être responsable de son propre malheur, de sa propre souffrance. L'effondrement narcissique, c'est la victime de harcèlement à l'école qui se convainc d'être harcelée par les autres à cause de ce qu'elle est, des fautes qu'elle a commises. Evidemment, la mode de la victimation et de l'excuse telle qu'on l'a connue à partir des années 80 est au coeur du sujet. On peut même dire que l'orchestration de la culpabilité française par la gauche des minorités, notamment par un Pierre Bergé qui cimente SOS-Racisme, est l'un des principaux leviers de cet effondrement narcissique. Il a conduit la France à s'excuser de tout son passé, y compris de crimes qu'elle n'a pas commis. Entre la colonisation et l'antisémitisme, les Français se sont inventé une espèce d'identité monstrueuse ou de passé coupable qui justifie qu'ils se mortifient d'être ce qu'ils sont, et qu'ils débusquent du fascisme dans n'importe quel moment identitaire. Tant que la France n'aura pas réglé ce problème d'effondrement narcissique, l'affirmation identitaire continuera à constituer un obstacle. Sur ce point, entre Hollande qui déclare que la France n'est pas une identité mais une idée, et Lemaire qui déclare que la France n'est pas une identité mais une culture, la mesure des dégâts est impressionnante.  

Selon ces poids démographiques, est il également possible de dresser le poids électoral de chaque groupe, ainsi que son attachement politique ? Quelles en sont les subdivisions ? Quelles sont les dynamiques observées ?

Vincent Tournier Il est difficile de faire la part des choses entre les sentiments sincères et les sentiments intéressés, que ce soit d’ailleurs chez les radicaux ou chez les modérés. Par exemple, les artistes qui se disent heurtés par certains propos, qui affirment défendre la tolérance et l’amour, sont-ils sincères, ou simplement soucieux de leur carrière ? Un modéré comme Alain Juppé, qui de dénoncer ceux qui « hystérisent » le débat sur l’islam, est-il sincère ou se livre-t-il classiquement à des calculs électoraux ?

Inversement, ceux qui sont accusés de mettre de l’huile sur le feu ne font-ils pas preuve parfois de plus de réalisme que leurs adversaires ? Rappelons quand même que ce sont ceux qui plaidaient pour la guerre en 1938-1939 qui avaient raison, et non les prétendus pacifistes qui n’ont rien compris au film et qui nous ont conduit tout droit au désastre.

Aujourd’hui, ceux qui plaident pour l’apaisement et la modération sont certainement animés par de bonnes intentions, mais ils sont bien en peine de proposer un programme d’action. En outre, affirmer que certains jettent de l’huile sur le feu a pour effet pervers de fermer le débat, ou de l’orienter dans de mauvaises directions. On a ainsi le sentiment que la priorité est de traquer ceux qui sont soupçonnés de ne pas être dans les clous. Le journal Le Monde passe plus de temps à scruter les coquilles d’Eric Zemmour qu’à faire des reportages dans les zones sensibles ou à décortiquer les discours des sites musulmans.

Par ailleurs, dire que certains jettent de l’huile sur le feu mérite d’être relativisé. Compte tenu du contexte extrêmement difficile que nous connaissons, la société française fait plutôt preuve d’un très grand calme. Pour l’instant, personne n’a menacé d’expulser massivement les musulmans de France, ou de les exclure des métiers à risque comme l’armée, la police, les centrales nucléaires ou les transports publics. Personne n’a suggéré d’aller raser les villes de l’Etat islamique. Et quand bien même quelqu’un le ferait, aurait-il du succès auprès des électeurs ? On peut en douter. Même le Front national bascule dans le registre de la modération. Quant aux propositions les plus audacieuses de la droite, elles restent plutôt modérées en comparaison avec ce qui se fait ailleurs. Songeons par exemple aux purges massives qu’organise actuellement la Turquie, pays qui était pourtant supposé entrer prochainement dans l’Union européenne.

Entre une perception du mépris du peuple pour les uns, racisme pour les autres, pour n'évoquer que les positions les plus extrêmes; quels sont les risques et les avantages apportés par chacune de ces approches ?

Vincent Tournier Le risque, c’est que le dialogue devienne de plus en plus difficile. Les clivages s’aggravent et s’entretiennent. Chacun s’enferme dans sa vérité et accuse l’autre de tous les maux. Or, on a besoin aujourd’hui de s’entendre sur certains constats si on veut pouvoir avancer.

Pour cela, il faut commencer par prendre une certaine distance à l’égard de l’accusation de racisme ou d’intolérance, qui vient trop systématiquement, quand elle n’est pas purement et simplement instrumentalisée par des mouvements militants. La France n’est pas un pays raciste. Mais la norme anti-raciste est devenue obsédante : elle traduit une angoisse de ne pas être assez tolérant, d’être trop dominateur ou arrogant. Cette obsession génère une grille de lecture qui surgit automatiquement, pas seulement en France. Il suffit par exemple d’observer les réactions qui ont eu lieu à New York au sujet d’événements récents : lorsque les derniers attentats ont été commis, les premières réactions ont consisté à nier tout lien avec l’islamisme, avant même de savoir quoi que ce soit, comme l’a fait le maire de la ville ; et dans l’autre sens, le moindre événement qui est supposé témoigner d’une hostilité envers l’islam est monté en épingle, comme dans le cas de cette femme voilée qui a été victime d’une brûlure volontaire, alors que cet acte n’était manifestement pas dirigé contre les musulmans puisque d’autres femmes non musulmanes venaient de subir le même sort.

En somme, nous avons intériorisé une grille de lecture. Cette grille de lecture s’inscrit elle-même dans un contexte plus général, qui correspond en gros à la post-modernité.

Ce contexte nous enjoint d’envisager positivement la circulation des personnes, l’ouverture aux autres, la diversité des cultures. Il nous convainc aussi que c’est le manque de tolérance qui est la cause de tous les malheurs. C’est d’ailleurs ce que disent explicitement ceux qui rapprochent la situation présente avec les persécutions d’antan contre les protestants ou contre les juifs. Une telle explication est rassurante : elle permet de donner un sens à l’histoire, tout en aidant à situer les gentils et les méchants d’aujourd’hui. Le problème, c’est qu’on peut très bien soutenir une autre interprétation : ce qui est à l’origine des guerres, c’est autant l’intolérance que la diversité elle-même. Les exemples ne manquent pas, qu’il s’agisse de la Yougoslavie dans les années 1990, ou plus récemment de l’Irak et de la Syrie, sans parler de tous ces pays africains gangrénés par des conflits plus ou moins chroniques. Sans un tyran à leur tête, ces pays multinationaux se sont effondrés dans de terribles guerres civiles. Face à cette triste réalité, on veut se rassurer en se disant que, à leur place, on ferait forcément mieux. On se persuade qu’il suffit d’être tolérant et ouvert pour que tout se passe bien. Mais c’est une illusion. Les conflits identitaires ont des ressorts profonds qui échappent aux individus, même les mieux intentionnés.

Il n’en reste pas moins que ceux qui plaident pour la modération et la tolérance jouent toujours sur du velours. L’air du temps est avec eux : même si les événements les contredisent, ils auront toujours plus de légitimité dans l’espace public que ceux qui plaident pour la fermeté et les solutions radicales. Ces derniers ont beau être plus en phase avec la réalité, ils ne peuvent pas rivaliser et seront toujours considérés comme de dangereux extrémistes, comme le montrent les cabales désormais officielles contre des personnalités comme Eric Zemmour ou Alain Finkielkraut. On est donc dans une situation qui est bloquée. D’une certaine façon, nous sommes intellectuellement désarmés face à nos ennemis, qui le savent très bien et espèrent en profiter.

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