D'Edward Snowden ou de celui qui l'a recruté à la NSA, lequel des 2 ment ? En voyant le biopic d'Oliver Stone, la réponse vous perturbera peut-être <!-- --> | Atlantico.fr
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Pour la première fois, Steven Bay, l'homme qui a embauché Snowden, sous contrat de la société Booz Allen Hamilton, pour qu’il travaille dans une installation de la NSA, à Hawaii, dit que Snowden n'a pas eu accès à ce programme, communément appelé PRISM.
Pour la première fois, Steven Bay, l'homme qui a embauché Snowden, sous contrat de la société Booz Allen Hamilton, pour qu’il travaille dans une installation de la NSA, à Hawaii, dit que Snowden n'a pas eu accès à ce programme, communément appelé PRISM.
©Universum Film / Allociné

The Daily Beast

Que savait vraiment de la surveillance de l'agence, l’homme qui a publié des documents de la NSA ? Snowden et celui qui était son superviseur font des déclarations radicalement différentes.

Shane Harris

Shane Harris

Shane Harris est correspondant pour The Daily Beast sur les questions de sécurité nationale américaine. Il est l'auteur de deux livres :  @War: The Rise of the Military-Internet Complex, et The Watchers: The Rise of America’s Surveillance State.

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Copyright The Daily Beast, par Shane Harris

Soit c’est Edward Snowden qui ment soit c’est son ancien patron qui ment. C’est ce qui ressort des déclarations contradictoires de ces deux hommes concernant ce que Snowden connaissait vraiment du programme de surveillance qu’il a dévoilé il y a trois ans.

C’est un programme qui donne à la NSA accès aux données des plus grandes sociétés technologiques du monde, Facebook et Google compris. Un sujet qui occupe une place importante dans le nouveau film d'Oliver Stone "Snowden" dont la première a lieu vendredi, qui dépeint le héros comme un pirate de génie qui a été le témoin direct des abus de pouvoir commis par la NSA. Ce film ravive une bataille qui couvait depuis longtemps entre Snowden et ses critiques. Et il révèle de nouvelles informations sur la plus grande fuite dont a été victime la communauté du renseignement américain depuis des décennies.

Pour la première fois, Steven Bay, l'homme qui a embauché Snowden, sous contrat de la société Booz Allen Hamilton, pour qu’il travaille dans une installation de la NSA, à Hawaii, dit que Snowden n'a pas eu accès à ce programme, communément appelé PRISM. De plus, Bay a déclaré que Snowden n’a pas compris le régime de surveillance et de contrôle juridique mis en place pour éviter l'espionnage des citoyens Américains, qui est illégal.

"Il m'a demandé deux ou trois fois comment obtenir un accès aux données de PRISM, qu’en interne nous n’appelions pas comme ça" a déclaré, cette semaine, Bay au magazine numérique spécialisé sur la sécurité The Cipher Brief. (L'interview est sortie quelques jours avant la publication d’un rapport accablant du House Intelligence Committee - commission parlementaire du renseignement - dont la sortie semble avoir été calculée pour démolir la réputation de Snowden juste avant la sortie du film. Sur ​​Twitter, Snowden a réfuté avec véhémence le contenu de ce rapport.)

"C’est un des aspects les plus intéressants de cette histoire, mais les gens ne s’en rendent pas compte" a ajouté Bay "Snowden n'a jamais eu réellement accès à aucune de ces données. Toutes les informations concernant les écoutes réalisées à l’intérieur des USA qu'il a révélé, il n'y a jamais eu accès. Donc, il ne comprenait ni la supervisation, ni les règles concernant leur utilisation, ni la manière de traiter ces informations"

Peut-être. Mais dans son témoignage devant le Parlement européen en 2014 (PDF), Snowden a clairement déclaré qu'il connaissait personnellement le fonctionnement interne de la NSA. C’est cette expérience, et le curriculum vitae de Snowden dans le renseignement, qui ont contribué à le faire passer du statut de simple lanceur d’alerte de documents classifiés, au rang de plus célèbre critique d’un système de surveillance mondiale. Un statut qui est celui d’un homme sur lequel des journalistes, des législateurs, et maintenant un réalisateur d'Hollywood, se sont appuyés pour expliquer comment ce système mondial de surveillance fonctionne vraiment.

"La NSA m'a accordé le pouvoir de surveiller les communications dans le monde entier en utilisant ses systèmes de surveillance de masse, y compris à l’intérieur des États-Unis" a dit Snowden aux parlementaires qui enquêtaient sur ses révélations, et il a également montré que la NSA a surveillé le téléphone cellulaire d’Angela Merkel, la chancelière allemande.  "J'ai personnellement utilisé ces systèmes pour écouter des gens en vertu de l’Executive Order 12333 du président des États-Unis et de l’article FAA 702 voté par le Congrès américain" des éléments de la loi sur la surveillance qui régit le programme Prism.

"Je connais les bons et les mauvais côtés de ces systèmes" a ajouté Snowden "ce qu'ils peuvent et ne peuvent pas faire, je vous dis que, sans me lever de ma chaise, je pouvais accèder aux communications privées de tout membre de ce comité, ainsi que de tout citoyen ordinaire. Je jure, sous peine de parjure, que cela est vrai".

Beaucoup d'experts dont le profil est inattaquable ont critiqué les opérations de la NSA de la même manière que Snowden. Et il ne fait aucun doute que les informations qu'il a révélées ont déclenché le plus important débat public sur ​​la surveillance globale qu’ait jamais connu notre génération. Ses fuites ont conduit à des changements dans la loi et certains tribunaux ont qualifié certains programmes de la NSA d’illégaux.

Mais c’est la description faite par Snowden de ses propres connaissances et de son expérience qui a conduit Bay à évoquer ce qu'il croit être une présentation plus crédible du temps passé par Snowden  au sein de l'agence de renseignement la plus puissante du monde

"Je suis frustré que des gens considèrent Edward comme un expert de la NSA dans tous les domaines, alors qu’il n’était qu’une sorte d’analyste junior et qu’il a eu un rôle relativement subalterne" dit Bay. "Ce n’était pas un expert de premier plan connaissant tout sur ce genre de choses. C’est un gars intelligent, ne vous méprenez pas sur mon propos, et il avait l'expérience, mais il était pas un analyste senior ... Il ne comprenait pas les programmes. Il ne comprenait pas le système global."

Concilier le point de vue de Bay et celui de Snowden n’est pas facile. Par l’intermédiaire de son avocat, Snowden a refusé de commenter cet article, et Bay n'a pas répondu aux demandes d'entretien.

Mais les résultats des enquêtes sur les fuites de Snowden, ainsi que des entrevues avec d'autres personnes qui ont soit travaillé avec Snowden ou ont aidé à évaluer les retombées de ses révélations, permettent d’éclairer les deux points de vue.

Tout d'abord, il y a la question de savoir à quoi a vraiment eu accès Snowden au sein du programme PRISM, autorisé par l'article 702 du Foreign Intelligence Surveillance Act. Jeudi, la commission du renseignement de la Chambre a publié une version déclassifiée de son enquête sur les fuites de Snowden et sur sa carrière dans la communauté du renseignement, qui a constaté "qu’il n'a pas réussi la formation de base annuelle pour les employés de la NSA en ce qui concerne l' article 702 ..."

Cette formation de base se compose d'un test, qui a lieu à "livre ouvert" et n’est pas chronométrée. On présente à l’employé une série de diapositives relatives à la NSA face à la loi et aux obligations de l'agence de restreindre ou de "minimiser" l'accès à certaines informations sur les citoyens américains dans le but de protéger leur vie privée. L'employé se voit ensuite poser une série de questions sur ce qu'il vient de voir dans les diapositives.

Si un employé ne réussit pas le test, il ne peut pas avoir accès aux programmes de surveillance régis par l’article 702. Selon des emails internes à la NSA obtenus par Vice en vertu du Freedom of Information Act, en avril 2013 Snowden n’a pas réussi le test et il s’est ensuite plaint à un responsable de la division que le test comportait "des questions pièges." Snowden s’est vu répondre que le test n’était pas conçu pour piéger, et qu’il pouvait le repasser.

Les e-mails ne disent pas si Snowden a repassé le test. Mais si l’on en croit les commentaires de Bay disant que Snowden n'a jamais eu accès aux données des programmes 702, il semble peu probable qu'il y ait eu accès. Le poste pour lequel Bay avait embauché Snowden était le dernier qu'il a occupé, un mois avant de soustraire des documents classifiés de la NSA à Hawaii, un mois après s’être plaint de cet examen de passage raté.

Bien sûr, il est possible que Snowden en savait assez sur les programmes de surveillance régis par l’article 702 pour s’en préoccuper. Après tout, il a été interrogé sur ce qui était autorisé quand il a fait ce test. Et le fait que la surveillance a été menée en vertu de cette loi n'était pas été un secret. L'amendement de 2008 de la loi sur la surveillance existante, qui a conduit à la création de l'article 702, avait provoqué des débats publics très animés entre les responsables du renseignement, les législateurs et les défenseurs des libertés civiles à propos de la portée de la surveillance autorisée.

Bien que le fonctionnement interne du programme de surveillance 702 ait été classifié, le fait qu'il existait, et qu'il visait à recueillir des communications personnelles de sociétés de technologie, n’était pas classifié. Au moment où la loi a été adoptée, de nombreux critiques, y compris ceux avec lesquels Snowden est maintenant en accord, estimaient que la nouvelle loi autorisait une surveillance inconstitutionnelle des citoyens américains.

L’article 702 n’est pas le seul élément que Snowden a révélé. Il a également révélé des détails sur la façon dont la NSA surveillait des ordinateurs dans des pays étrangers, y compris via son travail sur des opérations ciblant la Chine. Dans le film "Snowden", Snowden est présenté comme travaillant sur des opérations de contre-espionnage, essentiellement contre des pirates chinois qui tentent de pénétrer des réseaux informatiques aux Etats-Unis.

"Mon poste chez Booz Allen Hamilton m'a donné accès à des listes d’ordinateurs que la NSA a piraté dans le monde entier" a déclaré Snowden au quotidien South China Morning Post, le 12 juin 2013, après avoir fui Hawaii et avoir atterri à Hong Kong. "Voilà pourquoi j'accepté ce poste il y a environ trois mois."

Cela amène à un autre point important du récit de Snowden disant qu’il était un expert hautement qualifié travaillant sur des opérations de renseignement sensibles. Personne ne conteste que Snowden possède un niveau de compétence informatique plus élevé que la moyenne.

"Quand son curriculum vitae a circulé, il avait l'air solide, et il avait beaucoup de compétences techniques que je cherchais" a dit Bay au Cipher Brief. "Quand nous avons eu un entretien avec lui [en février 2013], nous avions une série de questions techniques standard à lui poser. Et nous avons lui avons posé la plupart de ces questions, il était clair, dès le début que ces questions étaient très simples pour lui." 

"Il maitrisait son sujet", a déclaré Bay. Donc, il a proposé le poste à Snowden.

Mais Snowden n’était pas un super-hacker, a déclaré au Daily Beast un autre ex-employé de la NSA qui a supervisé le travail de Snowden à Hawaï.

"Plusieurs fois il a demandé à devenir un opérateur de l’équipe du TAO" le Tailored Access Operations une équipe d’élite très secrète "mais nous l'avons refusé parce qu'il n'avait pas le niveau technique" a ajouté l'ex-employé, parlant sous couvert d'anonymat. Cette interview a été réalisée avant  que Bay ne fasse ses remarques publiques à propos de Snowden.

"Ce n’est pas quelqu’un d’exceptionnel, mais il s’y connaît bien en matière de cryptographie et il peut parler de la technologie" a déclaré l'ancien employé. Mais, en savoir "10 pour cent de plus que la moyenne" ne vous qualifie pas comme un expert aux yeux de la NSA. Snowden n'avait pas le niveau d’expertise requis pour travailler sur des missions qui exploitent des réseaux informatiques étrangers, ce qui était le travail qu'il voulait faire, ajoute l'ancien employé.

L'ancien employé remarque qu’à Hawaii, Snowden a travaillé sur des opérations impliquant la Chine. Mais, son rôle était celui d’un analyste junior, qui était en soutien d’autres techniciens de niveau supérieur.

Sur la question de son savoir-faire, la commission du renseignement de la Chambre est très sévère pour Snowden, l’accusant de "nombreuses exagérations" et d’être quelqu’un qui "a trafiqué l’évaluation de ses performances, qui a obtenu un nouveau poste à la NSA en gonflant son curriculum vitae et a volé les réponses d’un test de compétence". La commission ne présente aucune preuve pour appuyer ces allégations, du moins dans la version publique, non classifiée, de son rapport.

De son côté, Snowden a répondu sur Twitter en critiquant cette allégation, et d’autres, émanant de la commission. Il a qualifié de "stupéfiante"  l'idée qu'il ait trafiqué une évaluation et a ajouté qu'il avait bel et bien signalé  une vulnérabilité dans le système informatique que la CIA utilise pour mener ses bilans annuels, qui aurait pu être exploitée par des pirates.

Snowden a également réfuté l’accusation de la commission disant qu'il avait commencé à télécharger des documents (1,5 million au total), des mois avant le directeur du renseignement James Clapper nie que les États-Unis ne recueillent de grandes quantités d'informations sur les citoyens américains. Les fuites de Snowden au sujet de la collecte d’information de la NSA sur les données téléphoniques des citoyens américains ont finalement démontré Clapper ne disait pas la vérité.

La commission semble suggérer que Snowden a commencé à préparer son plan de révélation d’informations classifiées bien avant le témoignage de Clapper. Mais Snowden dit qu'il téléchargeait de l'information dans le cadre d'un programme appelé Heartbeat approuvé par la NSA. Dans le film "Snowden", Heartbeat est présenté comme un index créé par Snowden, recensant les nombreuses opérations de surveillance que la NSA effectuait. Cela suggère que Snowden a pu avoir eu un accès lui permettant, au moins de connaître les programmes d’écoutes de la NSA, même s'il n’avait pas accès aux informations obtenues par ces programmes.

Sur Twitter, Snowden a écrit que le programme Heartbeat a été approuvé par les "deux niveaux de sa direction"et qu’il "l’a conçu". La commission, cependant, n'a trouvé aucune preuve pour corroborer cette affirmation, selon un membre du personnel du Congrès au courant de cette enquête.

En fin de compte, ce n'est pas l'expertise technique de Snowden ou sa connaissance de la loi sur la surveillance qui lui ont permis de prendre la fuite avec des informations classifiées. La NSA n’a pas installé d’équipements et institué de règles qui l’auraient aidé à détecter ce que Snowden faisait. L’extraction physique de ces fichiers ne nécessitait vraiment pas les compétences d'un pirate informatique super pointu.

Mais à la suite de cet événement, Snowden est devenu le commentateur le plus en vue des informations qu'il a lui-même volé, et sa présentation de son curriculum vitae, ses connaissances techniques ont fait sa réputation d’expert qualifié pour parler des opérations de la NSA.

C’est cette expertise qui est maintenant remise en question, et ce n’est pas un hasard si la commission a choisi de publier ses observations juste avant la première du film. Snowden est maintenant reconnu par Hollywood, c’est une nouvelle étape de sa carrière de personnage public. La contre-offensive menée contre lui sera donc plus forte que jamais.

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