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On n'a pas seulement assassiné un curé, on a égorgé un vieil homme: pourquoi le plafond de verre pourrait bien avoir volé en éclats à Saint-Etienne-du-Rouvray
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Tabou

Au delà de son habit et de sa vocation de prêtre, l'assassinat du père Hamel à Saint-Etienne-du-Rouvray a montré quelque chose de tout à fait effrayant : dans notre société, il n'y a plus de barrières morales qui protègent les personnes âgées.

Christian Combaz

Christian Combaz

Christian Combaz, romancier, longtemps éditorialiste au Figaro, présente un billet vidéo quotidien sur TVLibertés sous le titre "La France de Campagnol" en écho à la publication en 2012 de Gens de campagnol (Flammarion)Il est aussi l'auteur de nombreux ouvrages dont Eloge de l'âge (4 éditions). En avril 2017 au moment de signer le service de presse de son dernier livre "Portrait de Marianne avec un poignard dans le dos", son éditeur lui rend les droits, lui laisse l'à-valoir, et le livre se retrouve meilleure vente pendant trois semaines sur Amazon en édition numérique. Il reparaît en version papier, augmentée de plusieurs chapitres, en juin aux Editions Le Retour aux Sources.

Retrouvez les écrits de Christian Combaz sur son site: http://christiancombaz.com

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Atlantico : Comment l'opinion française a t-elle digéré les deux principaux attentats de cet été ? Quelles traces sur l'imaginaire collectif ?

Christian Combaz : Pour le comprendre, il faut l'avoir vécu de loin, c'est-à-dire au coeur d'un village français. Jusqu'alors, à tort ou à raison, les gens qui vivaient dans ces univers provinciaux, ruraux, périphériques, voyaient à leur manière les deux cas de figure : en cas d'acte isolé, ils se disaient que c'était réservé à des zones de forte densité, où il n'y avait ni jour ni nuit, où il y avait des fous partout, et que leur monde social à eux, entre la pharmacie et l'épicerie, ne fabriquait pas ce genre de cinglés de proximité. Dans le cas d'un acte collectif comme à Paris au Bataclan, ils se disaient en somme qu'il suffisait de ne pas participer aux grands rassemblements plus ou moins déjantés, comme un concert de hard-rock ou une gay pride et ils étaient tranquilles. Ces certitudes se sont effondrées. L'assassinat d'un curé de province pendant la messe et la course d'un camion fou dans une soirée familiale ont énormément frappé les esprits chez les gens qui forment la France profonde. Ils ont compris que désormais leur mode de vie à eux était compromis aussi.


Avec l'égorgement d'un prêtre, a t-on fait sauter un tabou?

Du point de vue religieux, oui, mais pas plus qu'à la Révolution, et surtout pas seulement. Le choc psychologique principal à mon avis, même pour des gens qui ne croient en rien ou qui ne vont pas à l'église, le témoignage de barbarie suprême, c'est d'abord l'âge de la victime, d'autant que cet âge était très visible. Pour l'assassin, comme pour tous les barbares, la vieillesse n'existe pas. D'ailleurs dans notre société, elle existe de moins en moins en tant que digne de respect. A ce titre, je vous rappelle qu'une manifestante de 74 ans a été plaquée au sol il y a six mois par un CRS de 25 ans, car pour lui c'était un élément à neutraliser, rien de plus.  Ce que je voudrais souligner, et qui a été très peu dit, c'est le caractère symbolique, physiquement, de ce prêtre de 84 ans qu'on a tué, qui n'était pas un vieillard en forme, un octogénaire aux larges épaules, qui n'était pas un "nouveau vieux" en baskets, qui ne ressemblait pas au pape François taillé comme un athlète. C'était au contraire, par son visage ascétique, sa calvitie, la fragilité apparente de sa stature, un vieillard archétypique, l'image même du vieillard de Rembrandt plein de sagesse. L'atteinte physique, la violence suprême infligées à un homme de cette fragile dignité ne peuvent que rendre le crime encore plus odieux à l'opinion, qui finit par comprendre à qui elle a affaire. Déjà, elle aurait pu se souvenir que le directeur du musée de Palmyre, à 82 ans, a été torturé, avant d'être tué, par le même genre de jeunes défoncés en baskets Nike, mais l'épisode français s'est fortement imprimé dans les esprits . Au comptoir de mon village où normalement on hausse les épaules, en pensant que ce sont là des folies de Parisiens, on a changé d'avis.

Dans un pays dont la population est vieillissante, quel impact politique peut avoir ce changement anthropologique ?

Il peut avoir un impact considérable. La figure du vieux prêtre et ses mains noueuses en couverture des magazines ont fait comprendre à tous ceux qui lui ressemblent, et à tous ceux qui vivent avec quelqu'un du même âge, que nous avons entièrement changé d'époque. Si les barrières ont été enfoncées par les assassins de manière aussi cruelle et résolue, un pourcentage considérable de Français a compris qu'il fallait faire sauter d'autres barrières, psychologiques, qui nous séparent de la solution. Pour parler clair, tout le monde comprend que face aux tortionnaires d'octogénaires, face aux gens qui font griller leurs ennemis dans une cage, face à ceux qui menacent de faire sauter des entrepôts chimiques ou de répandre un produit radioactif à Paris, les lâchetés, les arguties, les laideurs de la justice actuelle (qui dans les manuels du futur restera à jamais celle du Mur des cons), les libertés conditionnelles, les cellules équipées de Canal Plus, les bracelets électroniques aussi efficaces qu'une smartwatch, tout cela doit finir rapidement.

Et puis il y a aussi ce fameux plafond de verre, dont on nous dit qu'il est constitué principalement par "le vote retraité". Eh bien à mon sens, le plafond a volé en éclats. Quand vous écoutez "les vrais gens" depuis un mois, on peut dire qu'il y a du verre partout. Et je suis stupéfait que les politiques n'aient pas encore compris que le basculement viendra des vieux. Il est déjà là. Les cheveux blancs désormais sont persuadés d'être gouvernés par des lâches. Et de surcroît aux cheveux teints ,ce qui est perçu par les électeurs âgés comme une lâcheté supplémentaire.

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