Voilà ce qu'entendent vraiment les (nombreux) électeurs américains pas tous rustres ou idiots qui continuent à écouter Donald Trump sans avoir de "haut le cœur"<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
Voilà ce qu'entendent vraiment les (nombreux) électeurs américains pas tous rustres ou idiots qui continuent à écouter Donald Trump sans avoir de "haut le cœur"
©Reuters

Méta langage

Donald Trump s'en prend à la comédie de l'indignation générale, à la comédie des fausses élites qui sont dans un moralisme sélectif et binaire. Et si ses sorties ne venaient pas occulter ce phénomène, on comprendrait mieux le mécontentement qu'il représente.

Gilles-William Goldnadel

Gilles-William Goldnadel

Gilles-William Goldnadel est avocat et essayiste. Il a notamment écrit en 2024 "Journal de guerre : C'est l'Occident qu'on assassine" (éditions Fayard) et en 2021 "Manuel de résistance au fascisme d'extrême-gauche" (Les Nouvelles éditions de Passy). 

Voir la bio »
Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

Voir la bio »

Atlantico : Le discours de Trump, au-delà des sorties excessives et très médiatisées, repose sur une idée importante : "nous ne céderons plus à l'intimidation des gros, des élites, des riches, des influents qui nous font la morale et nous disent quoi faire". Que perd-on à se contenter d'entendre les propos de Donald Trump en tant que tel, plutôt que de comprendre le refus d'un "diktat moral" contre l'establishment ? Dans la polémique Khan, les électeurs de Trump entendent-ils l'insulte à la famille d'un héro de la guerre d'Irak ou le rejet du crédo officiel sur le vivre ensemble, et un islam parfaitement intégré ?

Eric Verhaeghe : Tout d'abord, je ne suis pas sûr qu'en France la réponse de Trump à Khan susciterait autant de polémiques. Sur le fond, Trump n'a pas renié le caractère héroïque du soldat Khan. Il s'est en revanche opposé à la récupération du patriotisme américain par Hillary Clinton sur des thèmes scabreux présentant la communauté musulmane des Etats-Unis comme plus patriote que les blancs. La polémique sur Khan est donc liée à des sujets emblématiques dont personne ne sait ce qu'ils donneraient en France. Imaginez-vous François Hollande expliquer que l'identité française doit plus aux Algériens de France qu'aux Français de souche? J'ai peine à croire que le débat public en France donnerait raison à François Hollande, y compris à gauche. 

Ce faisant, la réaction de François Hollande parlant d'un haut-le-coeur vis-à-vis de Trump illustre bien la façon dont l'élite au pouvoir en France traite le débat démocratique, dans quelle estime elle le tient, et quel regard elle jette sur lui. Avoir un haut-le-coeur, ce n'est pas avoir un désaccord, ni une divergence d'opinion. C'est avoir du dégoût, du mépris, une incapacité à digérer ce qu'on voit. On retrouve ici le président des "sans-dents" qui méprise les pauvres, qui est dégoûté face aux petites gens, et qui n'a aucune empathie pour eux. Ce mot lui a probablement échappé. Mais il nous transporte soudain de l'autre côté du décor, dans les coulisses du pouvoir. Ce n'est plus le président des petites blagues et des bisous qui parle. C'est le président aristocrate, technocrate, en pleine réaction nobiliaire qui parle. Le roi-président méprise son petit peuple. 

Il est frappant de voir que, en France comme aux Etats-Unis, la même confrontation a lieu entre une élite en pleine réaction sur ses privilèges et sa vision méprisante du monde d'un côté, et une constellation d'électeurs en attente d'un renversement structurel des règles du jeu. On s'amusera de voir que ceux qui donnent aujourd'hui des leçons de démocratie suintent le mépris pour le suffrage universel et ne cachent plus guère leur dégoût vis-à-vis de cette manifestation suprême de la vulgarité qu'on appelle le suffrage universel. 

Gilles-William Goldnadel : Je vis la communication de Donald Trump comme une malédiction. Car de fait Trump s'en prend à la comédie de l'indignation générale, à la comédie des fausses élites qui sont dans un moralisme sélectif et binaire (plus largement attentif à l'autre qu'à soi-même). Je comprends la critique émise par Trump quand il explique sans ambages ni fioritures que la France ou l'Allemagne ont eu tort de s'offrir aussi largement à l'immigration islamique. En s'adressant ainsi à ses adversaires, il est en phase avec l'air du temps. Et cet air de temps n'est pas vicié, mais très sain.

En revanche, la malédiction Trump est qu'il en fait évidemment trop. Ayant compris que sa martingale était de ne pas censurer son discours, il finit par dire des énormités. Il n'est pas obligé, s'il ne fait aucune concession à l'Islam ou à l'islamisme, de se mettre à insulter les musulmans, à commencer par ceux qui se comportent remarquablement, et ils sont légion !

Le drame d'une partie de la droite extrême, c'est qu'emportée par son élan libérateur, elle en arrive à dire n'importe quoi. Et si ce que cette droite dit de vrai ne lui est pas pardonné, qu'en est-il quand elle dit n'importe quoi ? Personne au sein de l'establishment ou de ses adversaires ne lui pardonne ce genre de bourdes. 

Cette bêtise de Trump, ou de l'extrême-droite française, est pour moi un cadeau invraisemblable fait à ses adversaires, et une faute morale sur le long terme.

Et si l'électorat de Trump continue à le suivre sur son rejet des élites, il existe un électorat non décidé qui ne sait pas encore qui choisir. Et cette partie de la population est intoxiquée par les médias bien-pensants. 

Immigration, mondialisation, féminisme... Quels sont les sujets sur lesquels ses électeurs refusent désormais la vision officielle et n'ont pas le "haut-le-cœur" de François Hollande ?

Eric Verhaeghe : Incontestablement, la question des identités nationales ou ethniques est désormais au coeur de la rupture entre l'élite et le peuple. Les élites mondiales pratiquent volontiers une sorte de cosmopolitisme dont la dimension caricaturale est gênante. La négation des identités collectives en Occident n'a jamais été poussée aussi loin. 

Pour revenir à l'affaire Khan, il est évident que la manipulation à laquelle le parti démocrate s'est livrée ne peut que heurter les consciences ordinaires. Personne n'a contesté l'engagement de Khan au service de l'armée américaine. Cela suffit-il à déduire que plus aucun débat ne peut avoir lieu sur la place de l'Islam dans la démocratie américaine? On voit bien que Clinton cherche, dans cette affaire, à récupérer le vote musulman et il est assez normal que Trump s'y oppose dans la mesure où il sait que l'identité américaine, à laquelle sont attachés beaucoup d'électeurs américains, ne peut être dissoute autour d'un exemple héroïque. Voilà tout le débat qui constitue aujourd'hui la principale scission dans le débat public. D'un côté, ceux qui adhérent à un cosmopolitisme élitiste où l'identité personnelle n'est plus liée à une "tribu", à une entité collective, à une mémoire. De l'autre, ceux qui se définissent encore par ce qu'ils ont appris quand ils étaient enfants, puis adultes, par la mémoire transmise dans leur famille, par leur passé, par leur région. 

Entre les deux camps, l'incompréhension grandit. Le débat autour de l'Islam en constitue une illustration. D'un côté, ceux qui considèrent que l'Islam est intégrable en l'état dans le corpus démocratique. De l'autre, ceux qui considèrent que cette intégration suppose forcément une laïcisation, ou une adaptation fondamentale. Sur ces sujets, la vision officielle du "pas d'amalgame", du "tous unis", est de moins en moins acceptée comme un discours prenant en compte la complexité du réel. 

Gilles-William Goldnadel :Tous les sujets de société et de politique étrangère sont concernés aujourd'hui. La manière dont sont traitées les questions de politique, des deux côtés de l'Atlantique aujourd'hui, est au cœur de cette remise en cause… Quelle que soit la façon dont ces sujets sont traités, les gens comprennent bien qu'il y a une manière de couver le discours au sein de ce que l'on ne nomme plus l'élite. Car c'est ce qu'ont découvert les gens : les soi-disant élites n'en sont plus. C'est le drame de l'époque : on ne peut plus avoir de respect pour ces gens, qu'autrefois on respectait voire vénérait. 

Entre le négativisme médiatique et la loi des sondages, en passant par le clientélisme, le monde politique est le plus desservi par cette situation. Mais le journalisme dans sa majorité, et c'est encore pire, fonctionne et vit de cette idéologie binaire. Et une partie de la classe des magistrats, on l'a vu encore dans l'affaire de Nice, où, manifestement, l'idéologie, notamment celle du Syndicat de la magistrature, fait qu'ils ont perdu le sens du respect du bon droit. Les enseignants ont la même idéologie : sans parler de l'absentéisme, ils n'ont plus la même dévotion que l'instituteur de la Troisième République. 

L'autre raison, c'est que les gens sont moins incultes qu'avant, moins bêtes qu'avant. Les niveaux d'information, de culture, se sont élevés. On ne peut plus leur raconter n'importe quoi, ne serait-ce que parce qu'ils peuvent vérifier sur internet, qu'ils peuvent croiser les informations tout seul. 

Si l'on cumule perte de l'estime de l'élite et hausse de l'estime de soi, on comprend mieux les enjeux de ce nouvel électorat qui se dessine et ne s'en laisse pas compter. 

Qu'est-ce qui explique cette exaspération massive, aux Etats-Unis et dans de plus en plus de sociétés occidentales contre le Camp du bien? N'y a-t-il pas un rejet avant tout de l’hypocrisie de l'establishment, qui prône par exemple une immigration qu'elle ne connaît pas et ne fréquente pas? Et qui quand on vote contre lui parle systématiquement de "pédagogie" sans même écouter les revendications ?

Eric Verhaeghe : Il est probable qu'on ne soit pas allé au bout de ce qu'on peut comprendre du camp du bien. Celui-ci comporte une véritable ambivalence. D'un côté, il se confond en excuses permanentes vis-à-vis des victimes du monde entier (même s'il introduit des exceptions d'ampleur plus ou moins variables selon les victimes elles-mêmes, le blanc pesant par exemple moins lourd que le noir, ou le Tibétain globalement moins lourd que le Rwandais, etc.) D'un autre côté, il n'a aucune empathie effective pour la victime. Le soutien à la victime est une pure affaire de spéculation intellectuelle. Du coup, on retrouve pléthore de "victimistes" qui refusent, bien entendu, d'inscrire leurs enfants dans les mêmes écoles que les réfugiés, qui, sous aucun prétexte, ne partageraient avec eux une table de café ou de restaurant, et qui ont résolu une difficulté de fond de façon assez simple. Pour mieux vivre leur goût spontané pour la discrimination, pour le refus de l'autre, ils font assaut de profession de foi contraire. Je soutiens partout l'immigration et le multiculturalisme, mais je ne le pratique sous aucun prétexte. 

Cette dualité entre la foi et les actes, comme on disait à l'âge classique, inspire largement la vision du monde bien-pensante. Dans l'absolu, en théorie, le mélange est une bonne chose. Dans la pratique, c'est une façon de déroger au statut de la noblesse qui est inacceptable. Ce mensonge politique est largement au coeur de ce qu'on appelle le "populisme", qui est en fait un simple appel à la sincérité. 

Gilles-William Goldnadel : Parce que la vie est exaspérante. Parce qu'il est exaspérant de faire passer le blanc occidental pour un salaud total. Parce qu'il est exaspérant de considérer ceux qui ne sont pas blancs comme des victimes par nature. Cela devrait d'ailleurs être exaspérant pour les blancs comme pour les autres, mais cela n'est pas le cas. 

La façon d'ailleurs dont on traite aux Etats-Unis la police et la délinquance des noirs me parait exaspérante au regard de la vérité journalistique et au regard de la morale. La manière dont le New York Times raconte qu'en France la façon dont Adama Traoré est mort s'explique par le racisme de la police française est exaspérante. La manière dont on vient de traiter l'affaire de Saint-Etienne-du-Rouvray est aussi exaspérante. La manière dont le JDD reprend ce qui se fait de mieux parmi les musulmans quelques jours après le meurtre, énumérant ensuite les assassinats et omettant les victimes juives nous exaspère. Ce combat est en passe d'être gagné, et le sera si l'on ne se laisse pas emporter dans le n'importe quoi qui caractérise le discours de Trump. Donald Trump a un discours qui charrie le meilleur et le pire.

Hillary Clinton ne risque-t-elle pas de connaître le même sort que le camp du Remain en commettant la même erreur, qui consiste à considérer que son adversaire est un imbécile ?

Eric Verhaeghe : Je lis régulièrement, dans une certaine presse américaine, le concept de "gens intelligents pourtant stupides". Clinton s'appuie aujourd'hui largement sur eux pour faire campagne. Elle est même leur candidate. Ces gens intelligents mais stupides sont tous ces diplômés, tous ces experts, tous ces intellectuels de pacotille, qui connaissent très bien un bout de sujet, et imaginent que la politique est une simple affaire technique. Dans leur esprit, la démocratie est une affaire de standing, et la liberté de parole dépend des titres universitaires. La grande force de Trump est de s'appuyer sur le camp adverse. D'une certaine façon, Trump remet le suffrage universel au coeur de son discours et au coeur de la démocratie. Il explique que le gouvernement doit se préoccuper de la volonté populaire et non de la volonté des intellectuels qui se considèrent au-dessus du lot et qui s'auto-congratulent. 

Manifestement Clinton ne voit pas clairement cette dimension et imagine pouvoir la contre-carrer à force d'arguments d'autorité. Ce me semble être un pari très dangereux, car rien n'exclut un effet "Brexit", c'est-à-dire le ralliement d'une majorité d'Américains à une stratégie de rupture fondée sur une logique identitaire. Pour le reste du monde, ce ralliement constituerait un retournement important et un signal majeur pour l'ensemble des démocraties. François Hollande ferait bien de s'en méfier. 

Gilles-William Goldnadel : On a certes beaucoup exagéré les bêtises de Johnson et Farage, et dans leur cas, ce que vous dites se vérifie. Mais si l'on regarde le cas de Trump, c'est incomparable. Il arrive que le politiquement correct soit correct ! C'est déjà très difficile de dire la vérité, mais si vous êtes en plus emporté dans ce genre de sottise… personne ne vous écoutera.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !