Marine Le Pen a-t-elle montré son vrai visage en se rendant au bal de l'Olympia à Vienne ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Caroline Fourest : "Le plus grave ce n’est pas ce bal, c’est plutôt de considérer que le FPÖ est un parti ami".
Caroline Fourest : "Le plus grave ce n’est pas ce bal, c’est plutôt de considérer que le FPÖ est un parti ami".
©Reuters

Le bal des vampires

Marine Le Pen s'est rendue ce vendredi à un bal controversé à Vienne, à l'invitation du FPÖ, parti autrichien nationaliste. Renouerait-elle avec les vieux démons du FN ? Interview de Caroline Fourest.

Caroline Fourest

Caroline Fourest

Caroline Fourest est essayiste et journaliste. Rédactrice en chef de la revue ProChoix, elle est également chroniqueuse au Monde et à France Culture. Féministe, elle est aussi engagée en faveur de la laïcité et des droits de l'homme.

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Atlantico : Marine Le Pen a créé la polémique ce week-end après avoir assisté vendredi soir à un bal en tant qu'invitée d'honneur de Martin Graf, troisième vice-président du Parlement autrichien. Pouvez-vous nous dire précisément à quoi correspond cet événement viennois ?

Caroline Fourest : C’est un bal que le communiqué officiel du FN présente comme un bal traditionnel viennois. En réalité, il s'agit d’un des événements annuels de l’extrême droite autrichienne.

Le communiqué du FN multiplie les contre-vérités : ce n’est pas un événement anodin, la presse n’y est pas conviée puisqu’une centaine de journalistes a demandé une accréditation et qu’un seul l’a obtenue (il en a fait d’ailleurs un communiqué extrêmement laconique).

D’après ce que des participants ont raconté, cet événement, qui existe depuis 59 ans, s’inscrit dans un décor magnifique où dansent entre eux les nostalgiques du nazisme et du pangermanisme. On y fait applaudir parfois – mais on ne sait pas si ce fut le cas cette année – des négationnistes. L’événement est organisé par des corporations qui ont l’habitude de pratiquer le duel au sabre et d’afficher une balafre en signe de ralliement. Ils ont en commun la nostalgie du national-socialisme.

Marine Le Pen s’est rendue à ce bal comme Bruno Gollnisch autrefois ou comme son père qui fut lui aussi invité d’honneur. Celui-ci – qui a plus le sens de la vérité que sa fille – a eu cette formule pour résumer ce bal : « c’est Strauss sans « Kahn » ». Il faut comprendre tous les sous-entendus qu’il y a derrière cette nostalgie de l’Autriche d’une certaine époque amputée de ces gens qui s’appellent « Kahn »…

Au-delà de ce bal, le but de Marine Le Pen était d’aller à la rencontre de Martin Graf,  l’un des idéologues de l’aile dure du FPÖ, parti autrichien de feu Jörg Haider.

Marine Le Pen devait se douter que sa présence à ce bal serait suivie de commentaires dans la presse. Pourquoi s’y est-elle quand même rendue ?

Jusqu’à présent, tout ce qu’elle fait pour intimider la presse a marché, donc elle doit penser qu’elle peut se permettre beaucoup de choses. Elle envoie des messages de menaces à la presse pour leur indiquer qu’elle portera plainte pour diffamation contre tout article qui présenterait une version peu flatteuse — fût-elle exacte — de cet événement.

Le souci, c’est que lorsqu’elle va aux États-Unis pour rencontrer Ron Paul, elle se rend à un déjeuner privé avec le Cercle des républicains, organisé par Richard Hines, nostalgique de la suprématie blanche aux États-Unis. Quand elle va en Italie, elle rencontre la Ligue du Nord, quand elle va en Belgique elle va voir le parti nationaliste Vlaams Belang. C’est vraiment à travers ses liens internationaux qu’on comprend le mieux sa stratégie : elle n’a aucun problème à fréquenter des négationnistes, des antisémites, des nostalgiques du national-socialisme et du fascisme. Elle en fréquente depuis son enfance. Sa stratégie consiste à fréquenter des gens suffisamment haut placés dans les assemblées pour être, malgré leurs idées radicales, institutionnalisés.

Mais puisqu’ils sont « haut dans les assemblées », ils sont donc légitimes…

Oui. Ca l’intéresse de fréquenter le FPÖ et Martin Graff qui est vice-Président du Parlement. Cela lui donne une légitimation institutionnelle. Et elle ne semble pas avoir de problèmes avec leurs idées.

Marine Le Pen peut donc bien faire des efforts pour ravaler la vitrine du FN et faire un bon score à la présidentielle et aux législatives (si le FN ne fait pas un bon score aux législatives, il risque de disparaître : il a besoin d’argent pour renflouer ses caisses), mais elle ne va pas se couper de tout ce qui fait son monde.

Comment interprétez-vous les quelques bisbilles avec son père ? Celui-ci a admis n’être « pas tout à fait d’accord » avec sa fille sur la retraite à 60 ans…

Jean-Marie Le Pen est un tacticien, mais il dit franchement ce qu’il pense, même quand ses pensées sont douteuses. Il dit ce que disent en privé un certain nombre de militants du FN en désaccord avec la stratégie de Marine Le Pen. Promettre la retraite à 60 ans quand on veut, en plus, se passer de l’immigration - et donc freiner le vieillissement de la population française - est une absurdité économique.

Jean-Marie Le Pen est d’une autre génération, plus obsédée par la guerre d’Algérie, la Seconde Guerre mondiale et la Shoah. Sa fille Marine est certainement agacée que ces sujets puissent nuire à l’image qu’elle essaie de donner du FN.  Attention, je ne dis pas que Marine Le Pen est négationniste, je constate simplement qu’elle n’a pas de problème à fréquenter des négationnistes puisqu’ils forment son monde depuis sa plus tendre enfance.

Sa présence à ce bal constitue-t-elle selon vous une faute politique ?

Oui, c’est une faute stratégique. Mais c’est une faute qu’elle fait à chaque fois qu’elle se déplace à l’étranger. Et son opération séduction a si bien fonctionné avec certains journalistes qu’elle a pu penser qu’elle pouvait y aller puisqu’elle en avait envie, et qu’elle réussirait ensuite à retourner la présentation qu’en feraient certains journalistes.

C’est aussi une façon de conserver sa base traditionnelle. Une partie des sympathisants frontistes a déjà rejoint le Parti de la France de Carl Lang. Et, de toute façon, si elle n’allait pas à la rencontre de ses équivalents à l’étranger, je ne sais pas qui elle pourrait rencontrer.

Selon moi, le plus grave ce n’est pas ce bal, c’est plutôt de considérer que le FPÖ est un parti ami. Il y a chez Marine Le Pen une tendance très nette à privilégier la Troisième voie : ces gens qui ne sont ni capitalistes, ni communistes, mais qui sont surtout favorables à un national-étatisme qui n’empêche pas une certaine nostalgie pour l’extrême-droite des années 1930. C’est une tendance que l’on retrouve très régulièrement dans son entourage, dans son positionnement, dans son vocabulaire et dans certaines de ses fréquentations politiques.

Propos recueillis par Aymeric Goetschy

PS : pour voir le film de Caroline Fourest consacré à Marine Le Pen, cliquer sur ce lien.

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