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Tour de France : héroïsme et douce France, les vraies racines d'un succès jamais démenti
©REUTERS/Jean-Paul Pelissier

Rendez-vous annuel

La première étape du Tour de France a débuté ce week-end. Nombreux seront les Français à suivre cet événement comme chaque année, aussi bien sur les bords de route que devant leur téléviseur, et ce en dépit des traditionnelles affaires de dopage.

Olivier Aubel

Olivier Aubel

Olivier Aubel est Maître d'enseignement et de recherche à l'Institut des sciences du sport de l'Université de Lausanne. 

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Jean-François Mignot

Jean-François Mignot

Jean-François Mignot est sociologue-démographe, chercheur associé au Groupe d’Étude des Méthodes de l’Analyse Sociologique de la Sorbonne (GEMASS).Il est également l'auteur du livre Histoire du Tour de France (La Découverte). 

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Tout au long de l'année, le Tour de France est décrié pour ses histoires de dopage, auxquelles sont venues s'ajouter récemment celles de moteurs cachés dans les vélos des coureurs. Malgré cette mauvaise publicité, le Tour de France demeure le rendez-vous incontiurnable de la France populaire. Nous avons voulu décrypter ce paradoxe caractéristique de cet évènement sportif, avec deux spécialistes : Jean-François Mignot, chercheur associé au Groupe d’Étude des Méthodes de l’Analyse Sociologique de la Sorbonne (GEMASS) et auteur d'Histoire du Tour de France (La Découverte), et Olivier Aubel, Maître d'enseignement et de recherche à l'Insitut des sciences du sport de l'Université de Lausanne. 

Jean-François Mignot : Il existe plusieurs raisons pour lesquelles les Français suivent toujours autant le Tour de France malgré les scandales de triche et de dopage : 

  • On continue d’aller voir le Tour au bord des routes parce qu'il s'agit d'un spectacle gratuit et sympa (beau temps, caravane publicitaire, coureurs, etc.), qui permet d'entretenir une proximité avec les coureurs qui restent des héros modestes, accessibles. Et puis, il ne faut pas oublier l'aspect vacances, qui fait qu'on est plus disponible;
  • On continue de le regarder à la télé indépendamment de son contenu sportif mais pour les paysages, les à-côtés culturels de la course (patrimoine historique, géographique, culinaire de la France), ou pour se faire raconter les histoires d’héroïsme du Tour – le foot fournit des génies mais pas des héros ; c’est le cas de la dernière étape du Tour ;

  • Certains continuent de le regarder à la télé pour son contenu sportif : on peut le faire par chauvinisme (vouloir qu’un Français gagne, sans se soucier de savoir si sa victoire est propre), ou on peut considérer que, même si les résultats sportifs sont peu crédibles, le Tour reste une course sympa (nostalgie des hommes retraités pour le sport phare de leur enfance) ou une course intéressante par ses aspects stratégiques, ou une course spectaculaire par les performances des coureurs.

On peut effectivement parler d'évènement "populaire" dans la mesure où il touche les masses, mais pas parce qu'il concernerait une catégorie socio-professionnelle plus qu'une autre, comme les ouvriés par exemple. Aucune des études existantes à ce sujet n'a montré qu'une catégorie socio-professionnelle regardait plus le Tour de France qu'une autre, même si le public demeure constitué majoritairement de retraités. 

Olivier AubelJe verrais à votre question quatre réponses : 

1. En dépit des problèmes résiduels, y compris du recours au dopage et aux moteurs dans les vélo, la dramaturgie de la course demeure. Mieux encore, le dopage mécanique ou chimique fait partie de cette dramaturgie. Ne peut-on penser que le spectateur aime assister, certes à la victoire, mais aussi la déchéance du tricheur ? Alain Ehrenberg disait que le sport offre le spectacle du "mariage harmonieux de la concurrence et de la justice". Un autre sociologue, Erving Goffman, disait que l’ordre social n’est jamais aussi visible que lorsqu’il est mis à mal. Ainsi, pour constater que le sport demeure un  "show méritocratique", toujours selon Ehrenberg, il est nécessaire que des tricheurs existent. Ainsi peu importe pour le spectateur que la performance soit propre ou sale, dans les deux cas il y aura spectacle : soit celui de la lutte héroïque de Thibaut Pinot gagnant proprement l’Alpe d’Huez ; soit celui de la chute, de la déchéance de Lance Armstrong. C’est à la même logique que peut répondre la médiatisation des procès de cour d’assises : montrer la justice se faisant. 
2. Ce qui fait une partie significative du succès télévisuel du Tour réside dans la vue sur la France qu’offrent les retransmissions. Une partie du public devant sa télévision se déplace pour entendre et voir la France depuis hélicoptère. 
3. Le Tour de France est pour la famille du cyclisme le moment crucial économiquement d’une saison. 80% des retombées médiatiques se construisent durant ces 21 jours pour les équipes. Le Tour est ce qui permet à ASO d’exister dans le cyclisme et aussi de faire exister les autres épreuves moins médiatisées dont elle est propriétaire ( Dauphiné, Paris Nice…). Une bonne part des sponsors des équipes du World Tour ne sont présents que lorsqu’une présence de leur équipe sur le Tour leur est assurée. Les médias eux-mêmes savent que le moment du Tour est profitable, que ce soit pour des ventes directes ou pour les retombées publicitaires. De fait, l’ensemble du jeu d’acteurs du cyclisme a intérêt à ce que ce monument du cyclisme continue d’exister tel qu’il existe. Aussi s’il se trouve des journalistes pour profiter de ce moment en exhumant les plus vieilles histoires, faire vivre cette mythologie du "tous dopés", il y en a autant pour orchestrer une présentation plus positive de l’événement, ceci avec des moyens d’une puissance supérieure. 
4. La dernière est que les lecteurs, spectateurs et amateurs de vélo savent faire la différence entre la campagne annuelle de stigmatisation du cyclisme à vocation commerciale et la réalité de ce sport. La plupart des coureurs sont désormais propres. D’ailleurs le nombre de cas de sanction pour dopage connait une chute depuis 2012 assez importante. Vous me direz…ils sont plus efficaces pour dissimuler si vous aimez les verres à moitié vides. On ne peut pas nier qu’il existe encore des problèmes mais regardons pour une fois les trains qui arrivent à l’heure et non ceux qui sont en retard…Parler de dopage est un marronnier, celui de l’été, au même titre que le Beaujolais nouveau ou la rentrée des classes. En cette période de Tour de France, certains prophètes de malheur font commerce de leur dénonciation de faits anciens. Par une sorte d’escroquerie intellectuelle, ils prétendent ainsi administrer la preuve d’un dopage généralisé et orchestré au sein du peloton et plus largement de la famille du cyclisme. Ils assènent des mesures prétendument scientifiques alors que la littérature scientifique montre l’imprécision de leurs calculs. Certains de ces prophètes mêlant incompétence scientifique (la compétence et l’expertise scientifique reposent sur la reconnaissance des pairs et notamment la publications de travaux reconnus), aigreur de n’avoir pas été reconnus par le cyclisme, et volonté acharnée d’exister dans ce milieu, refont surface tous les ans, invités par des gazettes parfois prestigieuses, publiant des livres de soi disant "cyclistes masqués" qui sont très loins de l’être et assènent des demi-vérités, cherchant à déstabiliser des organisations qui fonctionnent… Quelle base à leur expertise ? Aucune. Posons nous la question de l’intérêt de tous ces dénonciateurs faciles du dopage. Howard Saul Becker parle d’entrepreneurs de morale pour désigner ces gens qui font commerce de l’étiquetage de pratiques en déviance. Pour une part, il y a un commerce de la dénonciation du cyclisme et certains lui doivent leur identité, leur existence. Cela commence à se voir tant leur discours est grossier, emprunt de demi-vérités quand ce n’est pas de mensonges. Donc me concernant, même si tout n’est pas propre dans le cyclisme professionnel, je saluerais l’intelligence et le discernement des spectateurs et amateurs de vélo rompant avec l’idée du "tous dopés". 
Plus généralement, personnellement, je suis assez choqué, désolé, chaque année de voir des journalistes nous aborder ici à Lausanne en nous disant : "vous pouvez me donner la liste des coureurs dopés, je prépare le Tour de France ; Pouvez vous m’expliquer comment ils font pour se doper sans se faire prendre ? Etc. etc… " Nous sommes au contact de ce milieu depuis quatre ans, les choses bougent positivement, des dynamiques de changement s’enclenchent ; certaines équipes ont complètement bouleversé leur organisation pour prendre leurs responsabilités et suivre les coureurs. Ces campagnes annuelles de stigmatisation sans discernement ne font que contrarier ces dynamiques. Faire preuve de discernement consisterait à mettre en évidence ce qui a positivement changé avant d’en revenir à la convocation du docteur Mabuse, des frères Pélissier. Encore une fois, il y a des problèmes mais aussi des choses positives.
Il faut savoir que les usages pharmaceutiques sont bien plus significatifs dans les mondes du travail non sportif avec des conséquences bien plus importantes. Et le battage médiatique n’est pas à la hauteur du problème de santé publique, de santé au travail (voir à ce sujet le baromètre santé des Français de l’INPES). 
Il faut savoir que le cyclisme est un monde de grande précarité pour les coureurs et certaines équipes. Les parangons de vertu et autres entrepreneurs de morale près à couper les deux jambes d’un coureur pris pour dopage seraient-il meilleurs qu’eux face à des contrats de travail qui se négocient tous les ans  et ce tout le long que dure une carrière ? Je ne suis pas là en train de fournir une "excuse sociologique" aux dopés mais juste de dire que pour prévenir avec discernement, il est indispensable de comprendre d’abord. Pour cela, lire le dernier ouvrage de Bernard Lahire, Pour la sociologie - Et pour en finir avec une prétendue "culture de l'excuse", est indispensable…

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