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Le paradoxe nordique ou quand les pays les plus favorables à l'égalité des sexes ont aussi un gros problème de violence domestique
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Mauvais genre

Alors que les pays d'Europe du Nord figurent parmi les sociétés les plus égalitaires au monde, ils sont également en tête de liste des pays européens en termes de violences conjugales.

Yves Raibaud

Yves Raibaud

Yves Raibaud est géographe, maître de conférences à l’Université de Bordeaux 3. Il s'est particulièrement penché sur la thématique des rapports sociaux entre les sexes dans le champ de l'animation professionnelle.
 
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Atlantico : Un article du Washington Post (voir ici) a récemment mis en évidence le "paradoxe nordique" : alors que les sociétés du Nord de l'Europe sont les plus égalitaires, elles sont aussi celles qui présentent les plus forts taux de violences conjugales de l'Union européenne (d'après les résultats d'une enquête menée par la European Union Agency for Fundamental Rights). Comment s'explique ce phénomène et dans quelle mesure le terme de "paradoxe" est-il pertinent, ou discutable ? 

Yves Raibaud : En premier lieu, il faut noter les discontinuités qui existent entre parité en politique, égalité professionnelle, séparation des sexes et violences. Une politique publique orientée vers la diminution des violences conjugales n'a pas forcement de conséquences sur l'égalité professionnelle (exemple de l'Espagne). En France, les progrès en terme d'égalité des droits n'ont pas été accompagnés par un progrès significatif de la parité à l'Assemblée nationale et au Sénat, ni d'égalité dans les salaires.

En deuxième lieu, il faut se rappeler que les violences faites aux femmes font l'objet d'un tabou extrêmement fort : lever ce tabou, c'est prendre le risque de faire apparaître des phénomènes ignorés. Ainsi dans les années 2000, avec les premières enquêtes sur les violences faites aux femmes (ENVEFF), on estimait à 45 000 environ le nombre de viols par an en France. L'enquête VIRAGES de 2015 permet d'avancer ce chiffre à 84 000, dont 60% de mineurs de 18 ans. Le nombre de viols aurait-­il doublé en France ? Non, bien sûr, mais les langues se délient et il est moins difficile de déposer plainte aujourd'hui (par exemple dans le cas de viol conjugal, ou de viol sur mineur par un membre de sa famille) qu'autrefois. Les chiffres donnés par l'Union européenne en 2014 sur les violences faites aux femmes sont fondés sur de l'autodéclaration. Mais si l'on se base sur le chiffre statistique des femmes tuées par leur mari ou conjoint, le paradoxe nordique part en fumée. Les chiffres varient régionalement en rapport avec les politiques de prévention et d'information mises en place par les Etats.

A l'inverse, toujours selon la même étude, les sociétés d'Europe ayant la réputation d'être moins égalitaires car dominées par une culture patriarcale (Italie, Espagne) ont de faibles taux de violences conjugales. Là encore, quels sont les facteurs qui expliquent cette tendance ?

C'est peut­-être le cas en Italie. Ce ne l'est pas en Espagne, où une politique publique volontariste a fait baisser de moitié le nombre de femmes tuées par leur mari en l'espace de 15 ans. Ce qui a été longtemps considéré en Espagne comme un fléau culturel, les violences machistes, est un phénomène en régression. En France, le chiffre diminue lui aussi progressivement (162 femmes tuées par leur mari en 2004, 122 en 2014). L'effet des chiffres de violence annoncée pour les pays du Nord aura probablement un effet choc ! Qui sait si dans dix ans on ne citera pas la Suède comme exemple et l'Italie comme mauvais élève ? Dans ma jeunesse, on résumait la Suède à 3 S : Sexe, Socialisme, Suicide, et on liait cela à la culture protestante et au climat. Aujourd'hui, les phénomènes s'inversent (presque deux fois plus de suicides en France qu'en Suède), d'autres problématiques apparaissent. Dans les recherches universitaires, on se méfie des approches culturelles à l'emporte pièce. Il faut les utiliser, mais aussi les relativiser car les choses peuvent changer très vite.

Que penser des analyses qui considèrent comme acquis le fait que les sociétés plus égalitaires seraient naturellement propices à la diminution des violences, notamment conjugales ? Ne relèvent-elles pas de l'idéologique plus que de critères objectifs ? Pourquoi ont-elles néanmoins autant de succès à l'heure actuelle ?

Cette question peut être aisément retournée : que penser des commentaires qui valorisent les sociétés patriarcales alors qu'elles ont toujours porté leur lot de violences sexuelles : violences faites aux femmes, inceste, polygamie, recours à la prostitution, viols de guerre ? Les sociétés les plus égalitaires n'ont­-elles pas été celles qui protègent le plus les femmes des violences en leur donnant la possibilité de divorcer, de travailler pour ne pas dépendre d'un homme, de contrôler les naissances ? Quel a été l'effet de la loi sur la famille adoptée au Maroc récemment, si ce n'est de permettre aux femmes de quitter des maris violents, ce qui leur était interdit auparavant ? Une hypothèse avancée couramment par les anti-féministes consiste à affirmer que cette liberté nouvelle des femmes serait à l'origine de la violence masculine. Mais alors comment sortir de la spirale de la violence si les femmes doivent se soumettre pour ne pas déclencher la violence des hommes ? Et de quels hommes s'agit­-il : des 7% qui, selon des études américaines, seraient des violeurs potentiels ? Des 20% qui ont frappé une ou plusieurs fois dans leur vie leur compagne ? Des 15% (France) qui sont clients réguliers ou occasionnels de la prostitution ? Ou bien de tous les autres qui s'accommodent du changement, sont pour le mariage pour tous, la liberté de l'avortement et de la contraception ?

Où se situe la France en termes d'égalité des sexes et de violences conjugales ?

La France se situait en 2015 à la 13ème place pour le classement mondial sur l'égalité entre les femmes et les hommes, son plus haut niveau depuis 2006 (70ème place). Nul doute que les effets de la loi du 4 août 2014 sur l'égalité réelle entre les femmes et les hommes, portant obligation à toutes les collectivités et administrations mais aussi aux entreprises privées d'observer des règles de parité dans la gouvernance, une veille statistique sur les questions d'égalité et des dispositifs contre le harcèlement sexuel et les violences de genre aura de l'effet sur ce classement dans les prochaines années. La loi d'août 2012 contre le harcèlement, la loi 2016 sur la lutte contre le système prostitutionnel, la loi de 2016 (Villefontaine) sur la lutte contre la pédophilie sont autant de signes forts qui vont dans le sens d'une diminution des violences sexuelles. L'avis que je partage avec Sylvie Ayral (1) est qu'il faut maintenant s'intéresser à l'éducation des garçons afin que cette violence masculine qui n'est en rien naturelle (sinon tous les hommes seraient des violeurs/violents/dominés par leurs pulsions) s'atténue progressivement. De telle façon qu'il n'y ait pas un paradoxe nordique, mais un exemple français.

(1) Sylvie Ayral et Yves Raibaud, Pour en finir avec la fabrique des garçons, Vol1 et 2, éd. MSHA, 2014

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